La légende dit des Patrouilleurs de France qu’ils sont le nec plus ultra des beaux gosses, placés bien avant les Pompiers de Paris, les Carabinieri ou les chirurgiens, sur l’échelle des avions de chasse du Mont de Vénus. C’est certain, oui, qu’ils doivent avoir moins de problèmes d’accroche qu’un passionné de tuning en survêtement Tacchini (et mocassins Nebuloni). Si l’habit ne fait pas le moine, disons que l’uniforme permet, encore, de sauter quelques étapes.
La légende dit aussi, de ces acrobates aériens, qu’ils ont tous été indiens d’Amérique dans une vie antérieure, ayant pour totem le condor, et comme nom quelque chose signifiant « Qui Perce les Airs Avec Ses Yeux ». C’est certain, oui, qu’ils doivent avoir 12 sur 10 à chaque oeil, l’aisance intestinale d’un marin de haute mer, et, au compteur, les heures de vol d’un vieil épervier.
Ce n’est pas par hasard, d’ailleurs, que l’oiseau de proie emblématique figure sur les insignes de grade. Pas par hasard non plus, que leur carnet de bal des Officiers est plus rempli que l’agenda d’un généraliste à Roanne. Rappelons qu’il n’y a guère qu’au sein de la Patrouille de France qu’un charognard (celui qui avale les fumées de l’avion leader), soit lui aussi admiré, convoité, et décroche les étoiles du ciel pour les mettre dans les yeux des filles (expression empruntée aux dragueurs à la sauvette des baloches des non-officiers).
Nous avons, justement, embarqué pour un monde de légende. De monte-en-l’air de haut vol, d’équilibristes d’envergure, de corsaires des sommets et d’exhibitionnistes funambules. Une légende vivante, même si elle cherche les ennuis, les risques et le grand frisson, en paradant dans les boulevards du ciel.
La Patrouille de France, la « Grande Dame », arrive, dans des volutes de fumées tricolores, pour la 23ème édition de notre meeting aérien, dédié cette année à Georges Remy, disparu en 2017, qui a été le responsable de cette manifestation de 1973 à 2006. Car Roanne est une ville de fêtes aériennes depuis septembre 1912. Plus d’un siècle, donc, de décollages, de vrilles, de voltige, de reportages photos sensationnels, d’articles de presse euphoriques, de héros ailés, et d’indifférence totale pour les aviophobiques.
Alors, moi qui, toute ma vie, ai rêvé d’être une hôtesse de l’air, et de voir le bas d’en haut, j’ai eu envie de m’acheter une petite panoplie pas chère, histoire de marquer le coup. Mais l’équipe du Bruit Qui Court, très à la limite de l’irrévérence, m’a asséné : « Alex, tu as passé l’âge, tu vas être ridicule, tu es maman maintenant, il faut arrêter les conneries ». Soit.
Allons-y, alors, en toute sobriété, en considérant les jolis pilotes hors de portée des mamans, mais en espérant, tout de même, un peu de turbulences…
UN CENTENAIRE PLEIN GAZ
Mirage, Rafale, Jaguar, Tornado, ces noms là n’ont assurément pas peur du vide. Comme leur illustre ancêtre, le Blériot XI, premier avion à réaliser, en septembre 1913, les acrobaties aériennes du pilote Adolphe Pégoud. Celui-ci inventa une nouvelle discipline, avant d’avoir un prénom difficile à porter. Les premiers vols en patrouille remontent, eux, à la première guerre mondiale, sans que la synchronisation artistique soit, malheureusement, une priorité. C’est en 1931 que la première patrouille officielle est créée, par des moniteurs de l’Ecole de Perfectionnement au pilotage d’Etampes. Suit celle de Dijon en 1934, qui relie par des cordes jusqu’à 18 avions. Plus tard, alors que, ça y est, plus aucun nouveau né ne s’appelle Adolphe, un vétéran de la patrouille d’Etampes, le Capitaine Perrier, forme celle de Tours en 1946. Les formations acrobatiques se multiplient à compter de cette année. Les avions de guerre ont désormais une mission de représentation et préparent, tout doucement, le lancement de carrière de Tom Cruise dans Top Gun.
C’est à Alger, le 17 mai 1953, lors d’un meeting, qu’un commentateur désigne l’escadre du commandant Delachenal comme la « patrouille de France ». Le terme plaît et est officialisé par l’État Major quelques mois après. Par la suite, la Patrouille de France est représentée successivement pas d’autres escadres, jusqu’à être dissoute en 1964, en raison d’une restriction budgétaire. C’est alors que l’école de l’air de Salon de Provence reprend le flambeau, avec une nouvelle flotte de 11 CM170 « Fouga Magister ». La Patrouille de France s’affirme comme la plus prestigieuse unité de l’armée de l’air et accepte en toute conscience sa mission de représentation diplomatique. En 1980, l’ « Alphajet » lui offre un rayonnement planétaire, et c’est à la statue de la liberté qu’elle fait tourner la tête en 1986. Deux années restent à souligner dans sa jeune histoire : 2010, où-enfin, ouf, c’est pas trop tôt, on a failli attendre- la commandante Virginie Guyot devient la première femme leader, et 2012, où les 60 ans de la Patrouille de France rassemblent 120000 personnes à Salon de Provence.
ET PENDANT CE TEMPS LÀ, À ROANNE
Si notre ville n’a pas inventé les fumigènes, elle a été parmi les premières à célébrer l’excellence des ailes françaises. De 1912, date du premier rassemblement amical d’avions dans un champ de notre campagne, au dimanche 23 septembre 2018, l’histoire entre Roanne et les airs s’écrit sans chercher d’épilogue. Notre meeting a 45 ans et se renouvelle tous les 2 ans depuis 1973. Depuis que Georges Remy, alors membre des ailes Roannaises, a décidé de faire danser des avions de légende sur notre piste bleue. Ce père fondateur, recrue de la section aviation du CE des ARCT, pour lesquelles il travaillait, s’est livré corps et âme pour faire de Roanne un haut lieu des fêtes aériennes. Ainsi, le 23 septembre 1973, il montre pour la première fois à son public des montgolfières, des planeurs, les avions Farman, Blériot, Morane… et, avec l’appui de l’aérospatiale et de l’armée de l’air, des corvettes ou encore des avions à réaction militaires. Le succès est colossal et lui permet de convaincre les décideurs locaux et départementaux de le suivre. Dès le 2ème meeting, en 1974, la Patrouille de France vient propulser son escadrille au dessus de nos têtes. Pour ne manquer, depuis lors, aucun rendez-vous. Georges visite alors de nombreuses ambassades et unités étrangères. Il réussit, aidé par la force de conviction de son épouse Michèle, à rameuter les Red Arrows, les Frecce Tricolori, les délégations belges, suisses, marocaines, etc. Les clubs roannais se sentent pousser des ailes et, dans un boucan d’enfer, se regroupent au sein de l’interclub ICAR. Et ce sont 300 personnes, la plupart pilotes de leur état, qui préparent aujourd’hui l’évènement. Protégé des Dieux, habituellement rancuniers face aux mortels qui les surpassent, le meeting ne déplore à ce jour aucune perturbation, qu’elle soit accidentelle ou climatique. Il est à présent incontournable et représente le plus gros meeting associatif français. Roanne est d’ailleurs devenue un gros pôle de formation de pilotes privés et professionnels, mais aussi le lieu de naissance d’un grand nombre de pilotes de chasse.
Si nous vous livrons l’intégralité du programme 2018 dans le « A la Une » de ce numéro, soulignons la fidélité des 9 trinômes mécaniciens-pilotes-avions de la Patrouille de France qui viendra, cette année plus que jamais, nous présenter ses « Schtroumpfs», soit les 3 dernières recrues, sans regarder à la dépense, ni de kérosène, ni de fumigène.. En faisant, comme toujours, les choses en grand, et en nous jetant bien plus que de la poudre aux yeux. Car, bien sûr, nous ne demandons pas à notre spectaculaire escadrille de briller par sa discrétion, mais bien de rouler des mécaniques, d’envoyer les gaz et au diable le mal des transports, en nous rajoutant au compteur quelques bien belles heures de vol…
Crédits photos : ©Denis Blettery
MEETING AERIEN
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