De tous les actes, le plus complet est celui de construire (Paul Valéry)
L’architecture a, de tous temps, transcrit dans l’espace l’ADN d’une époque. Comme le langage traduit (ou trahit?) la pensée, elle est un témoignage des courants et des volontés propres à un temps donné. De la Mésopotamie à l’Égypte, des temples grecs aux édifices publics romains, des 1ères églises, romanes, gothiques ou baroques, du classicisme de la monarchie absolue à l’éclectisme du XIXième siècle, l’architecture raconte l’histoire commune. Les stratégies militaires, l’empire romain
décadent et les chrétiens sortant de la clandestinité, les règles strictes de la renaissance, l’ostentation et la grandiloquence des monarques, la transformation de la société par la révolution, l’ère industrielle, le modernisme, l’après guerre concret et l’instabilité de la fin du millénaire… Elle revendique des besoins calqués sur le cours de notre évolution. Elle peut être, de Babylone à Florence, de Barcelone à Budapest, tour à tour subtile, monumentale, réceptacle de lumière, ornementale, urbaine, rationnelle, cohérente ou oblique et azimutée… Liée à l’art, mais parfois délaissée par la philosophie, l’architecture est dans le quotidien de l’homme tout en étant, bien souvent, extraordinaire. C’est une discipline ambivalente, sans être contradictoire, à la fois poétique et technique, rationnelle et dans l’émotion, utilitaire et exubérante, assumant une fonction tout en gravant dans la marbre les symboles d’une époque. C’est une artiste douée en maths, une terrienne lunaire, une casanière qui aime se faire voir, et continue aujourd’hui de tatouer sur la peau parcheminée de nos villes, de nos villages, l’histoire de l’homme.
Alors peut-elle, face au merdier écologique, au bordel énergétique, à l’inconscience environnementale et au charnier de nos ressources, constituer une alternative sage et poétique ? En tous les cas, l’architecture, en ce début ravageur du 3ème millénaire, se veut, autant par décret de l’état d’urgence que par philosophie, vertueuse, respectueuse et en quête de méthodes durables d’éco-construction.
Didier Mignery, architecte spécialisé en surélévation, comme il y en a eu pour les labyrinthes ou les châteaux en Espagne, est un des premiers à avoir entendu l’appel, quasi mystique, d’un ciel disposé à accueillir les constructions en hauteur. La population augmente, en plein malaise urbain et social, notre terre est en insuffisance respiratoire, alors, forcément, nous aimons l’idée de sauver les murs en les sur-élevant, et d’accepter un petit tour dans les chambres de bonnes, dans une joyeuse et impérative explosion de photosynthèse. Avec un roannais, en plus… ça fera plaisir à la famille…
UN ARTISTE DU TERRITOIRE
Didier est né à Roanne et fait partie des chanceux ayant eu connaissance très jeune de leur vocation. C’est à Jean Puy qu’il tire ses premiers plans sur la comète, auprès de Mme Carcel, professeure de dessin qui ne laissait personne indifférent… Lui l’a adorée, comme je l’ai moi redoutée, mais il faut dire que j’étais bien incapable de dessiner un mouton au Petit Prince. Elle a décelé chez moi une inaptitude proche du handicap, et, chez lui, un talent précoce. Alors, tandis que je me prenais une porte, elle lui en a ouvert quelques unes qu’il emprunte toujours. Après, notamment, un stage de 3 jours en architecture, il décide que telle sera sa voie. Par choix, et parce qu’il est littéraire, il passe un bac A1 (philo et maths), option dessin. Il est accepté à l’école d’architecture de Lyon puis à l’école Polytechnique Fédérale de Lausanne. Là, il engrange les connaissances, réalise différents projets, dont certains sont publiés dans les revues spécialisées. Formé par des profs d’exception, il est embauché à Paris alors qu’il n’est pas encore diplômé. Ces 2 dernières années d’études, un peu particulières, sont très structurantes pour son raisonnement, lui permettant d’apprendre in vivo comment se construit une ville. Passionné par le devenir urbain, et prêt pour l’aventure de l’indépendance dans un Paris « enivrant », il créé en 2002, avec un confrère, « Zoomfactor Architectes ». Sans oublier une antenne à Roanne, aujourd’hui encore implantée à Numéripark. De son père, qui travaillait pour le Toit Familial, il a conservé l’ADN « logement locatif social », un côté « service public », et l’envie de faire pour la ville « quelque chose d’incarné, avec épaisseur ». C’est à Roanne, à laquelle il est naturellement attaché, qu’il fait ses armes, et ses réalisations ici font s’enchaîner les projets ailleurs. Mais le plus déterminant d’entre eux, fondateur pour ses orientions futures, soit sa première surélévation, met 10 ans à voir le jour.
DÉMÉNAGER SUR LES TOITS
En 2005, alors que ses bureaux à Paris, situés dans une ancienne boucherie avec vitrine, lui offrent une vue inspirante sur l’immeuble d’en face, son imagination monte les vitesses…bien au-delà des châteaux de cartes. Il n’a pas l’argent pour acheter et propose au propriétaire un échange de bons procédés : lui se charge des travaux contre 2 niveaux plus le toit. Le deal est accepté. S’ensuivent quelques années de difficultés juridiques avec les voisins jusqu’à ce que, les lois s’adaptant aux temps changeants, les toits deviennent exploitables. C’est ainsi qu’il réalise, pour lui, en 2015, une première surélévation, avec vue imprenable sur la mer et le Mont Blanc. Au moment même où il se retrouve seul aux commandes de Zoomfactor Architectes , comptant alors 7 salariés. Le succès ne l’épargne pourtant pas, car la surélévation permet désormais aux copropriétaires d’un immeuble de faire face, en vendant leur toit, aux travaux de mises aux normes énergétiques. Tout en baissant le montant des charges et en apportant une plus-value à leur bien rénové. Le cercle vertueux est en marche. France 2 lui consacre un reportage en 2016, puis un autre, comme si cela ne suffisait pas, en 2017. La folie, douce ou violente, de la notoriété, le fait rentrer dans une autre dimension où, sans stupéfiant ni prédisposition pour les nuits sans sommeil, il doit pourtant assumer son succès grimpant.
À L’IMPOSSIBLE NUL N’EST TENU
Pour gérer tous les projets qui se présentent, il doit effectuer des études de faisabilité qui lui coûtent cher. Il se met alors en tête de créer un logiciel lui permettant de s’auto-générer du travail. Avec un cousin, il développe, en juillet 2017, un outil informatique capable de déterminer en un temps record, avec un coût marginal proche de 0, si un projet est, ou non, réalisable. Il rentre bientôt dans la French Tech (label français attribué à certaines start-up du territoire), et la petite dernière devient une start-up de l’immobilier. Les deux entités, Zoomfactor Architecture et Upfactor surélévation, qui travaillent de concert, regroupent 13 salariés (dont 1 à Roanne), et disposent aujourd’hui d’un potentiel de développement immense. Didier envisage d’ailleurs une levée de fonds pour partir à la conquête des toits de l’île de France et des 10 plus grandes villes françaises. Il a une avance sur les autres, grâce à son outil « open-source », de prospection et d’analyse, qu’il compte bien conserver. Cette nouvelle conception de l’architecture, qui n’est plus seulement réservée à une élite, liée à un patrimoine, à un permis de construire ou aux monuments historiques, concerne toutes les villes et tous les bâtiments rattrapés par la rénovation énergétique. Cette grandiose idée d’effectuer une radiographie des toits exploitables peut rendre un service primordial pour un développement urbain responsable.
Il reste bien sûr à Didier peu de temps pour instagrammer en vieille cylindrée, lui qui abrite à Roanne sa passion pour les automobiles anciennes, ou pour dénicher, lui qui est aussi musicien, les pépites rock, pas très jeunes non plus, chez nos rares disquaires. Mais il faut ce qu’il faut… L’architecture est, pour certains, le « fondement de toute existence » (« arché » signifie en grec « le commencement »), elle est aussi , c’est certain, l’art et la manière de conserver le passé au présent, en donnant au futur une caution dont il a plus que jamais besoin. Pour cette cause, Didier est prêt à quelques sacrifices car, si Paris ne s’est pas fait en un jour, il lui en faudra plusieurs pour donner à ses toits des airs de jardins suspendus et de shoots d’oxygène pour une terre en manque.
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