Que voulez-vous, il y a des gens comme çà, qui ne peuvent pas s’empêcher de dépoussiérer, de changer les meubles de place, d’intervertir les bibelots, et de regarder sous les tapis. Qui vont même, parfois, jusqu’à fouiner dans le grenier, l’ordonner, oui, ordonner le grenier, réveiller les esprits, et détruire des décennies de tissage arachnéen.
Vous voyez de qui on veut parler ? Ceux capables de ranger les yaourts par date de péremption, de mettre de jolies petites étiquettes sur les bocaux, rangés par famille d’ingrédients puis par taille, de savoir où se trouvent les attaches parisiennes pour que le petit fasse un tableau animé, ou le bouton de rechange d’un manteau acheté en 84, car ils sont aussi tout à fait capables d’avoir gardé le ticket de caisse dans la pochette comptable « achats vestimentaires de 1984 ». Ceux là sont les mêmes qui, en arrivant chez vous, vous demandent pourquoi vous n’avez toujours pas de cuisine à l’américaine, se proposent pour vous aider à péter les murs et « on en profitera pour enlever le point de croix du caniche inconnu et pour séparer la desserte Ikéa du guéridon Louis XVI ». Ceux qui, petits, titillaient sans les détruire les fourmilières pour que les fourmis remettent tout bien propre…
Nathalie Pierron, directrice de notre Musée Joseph Déchelette, est un spécimen de ce genre, la dimension psychopathe en moins. Arrivée au printemps 2017, elle a décidé, sans coup de pied dans la fourmilière, mais avec la ferme intention d’attirer le public, de créer un lien avec l’art de notre temps et de redynamiser le parcours muséographique. Amateurs de faïences révolutionnaires ou de nécropoles antiques, ne tremblez pas, votre musée ne rend pas ses collections. Mais l’actuelle exposition d’Eugène Leroy donne le ton, fixe la barre et ouvre grand les portes de la contemporanéité. Disons qu’un vent nouveau arrive, qui risque bien de faire voler quelques assiettes… Ma foi…du moment qu’on ne touche pas à notre Picasso…
Zébulon des temps modernes
Ce personnage fictif, un tantinet hyperactif du manège enchanté, est sorti du bois joli pour révolutionner notre musée. Nathalie Pierron est une historienne de l’art, contemporanéiste, pour qui les notions de partage et de transmission sont au coeur de tout projet. Elle a d’ailleurs longtemps alterné les postes d’enseignante et d’attachée culturelle, en France et en Suisse, histoire de compliquer le calcul de ses points retraite. Lyonnaise de naissance, elle a dernièrement souhaité revenir en Rhône Alpes, en jetant son dévolu sur notre musée, « où il y a tout à faire ». Alors, puisqu’elle aime travailler sur le long terme et que la rénovation est inscrite à l’ordre du jour, Nathalie a de quoi nourrir ses ardeurs. En arrivant en mai 2017, elle a commencé par reformer une équipe et créer un poste de chargée de communication. Elle a constaté qu’un retard de 25 ans avait été pris dans la numérisation des collections, qu’il s’agisse des herbiers, des trésors textiles ou des quelques 28 000 objets qui constituent une richesse patrimoniale bien supérieure à celle d’un petit musée. Qui sait, par exemple, que nous avons un Picasso à Roanne ? Et surtout, qui l’a vu ? Classé « Musée de France », Joseph Déchelette a une mission, certes, de conservation, mais il faut agrandir les réserves et renouveler ce qui est donné à voir au public, en créant des ensembles plus cohérents et plus attractifs. Et, même si les budgets sont contraints et notre musée classé Monument Historique, il est impossible de faire l’économie d’un parcours muséographique correct et de la mise en accessibilité de l’Hôtel Valence. « N’oublions pas que les musées qui ferment, ça existe », et il serait dommage, voire dommageable, de louper le coche alors que l’offre culturelle à Roanne commence à prendre sérieusement.
Du rififi au musée
Il ne s’agit pas uniquement d’enlever les spots des années 80 ou les bleus et jaunes Giverny sur les murs. L’idée est aussi, et surtout, de renouer avec l’alternance, d’avoir non seulement un musée encyclopédique de faïences et d’archéologie, mais également un musée vivant, animé, capable d’interagir avec ses contemporains. Nathalie souhaite respecter son engagement d’historienne et miser sur l’avenir en s’appuyant sur le passé : les réserves cachent, par exemple, des trésors d’histoire de l’industrie textile et il est impensable de ne pas sauver et exposer ces pans de collection. Tout comme il apparaît primordial de faire venir des artistes contemporains, d’organiser des performances, des conférences, des séances de dessin Modèle Vivant, d’être acteur des journées du Patrimoine, d’entretenir d’étroites relations avec d’autres structures culturelles (le Théâtre, le festival Cinécourt Animé…), et, bien sûr, de faire venir les enfants. Ceux-ci, lors de visites pédagogiques, sont d’ailleurs en train de fouiller les réserves pour préparer « leur musée », visible au printemps 2019. Durant cette même période, de mars à juillet, une exposition temporaire, Muséalies 2, abordera le thème « Faces, Masques et Portraits », et proposera une traversée des visageités du monde. Le musée Picasso nous prêtera pour l’occasion une sculpture de sa période surréaliste, qui côtoiera la gravure que nous possédons déjà.


La lumière en invitée
L’exposition temporaire actuelle est, jusqu’au 14 janvier, consacrée à Eugène Leroy, un des grands peintres français de la 2ème moitié du XXème siècle, dont l’oeuvre fait partie des collections de notre ville depuis que Jacques Bornibus, conservateur du musée de Roanne de 1965 à 1983, l’y a fait entrer. Mort en 2000, Leroy a passé sa vie à revenir compulsivement sur ses oeuvres. Son travail d’épaisseur, d’empâtements successifs, de peinture littéralement pétrie de sa main sur la toile, témoigne de son obsession pour la lumière dans la couleur peinte, et de son appétit gourmand pour la matière picturale elle-même. Pour lui, la lumière EST le tableau, entourée d’ombres, figure fantomatique surgissant des oeuvres. L’exposition s’articule, sur 3 niveaux, autour de l’omniprésence, chez Leroy, de certains thèmes : les têtes, les nus et les paysages. Avec, en pièces centrales, « Eugène et Valentine », commencé en 1935 et achevé en 1985, et son lumineux Paysage de 1966.
S’il manque à cet article l’histoire de notre Musée Joseph Déchelette, c’est qu’il y a trop à en dire pour n’en faire qu’un. C’est donc dans le prochain numéro que nous vous livrerons la suite, non chronologique, de ce reportage. Il nous a semblé opportun de mettre ici en lumière la phase de redéfinition culturelle abordée depuis peu, son ancrage dans notre présent et la réaffirmation de son existence dans un réseau national, avant d’interroger le passé. Une analyse, en somme, sans hypnose ni divan, d’un petit musée conçu dans l’amour qui doit aujourd’hui continuer de se construire, comme un grand, qu’il deviendra assurément.
Photos ©Élodie GANGER
www.museederoanne.fr