Flora, Pâquerette et Pimprenelle se sont penchées sur le berceau de Sa Blondeur Aurore pour lui donner ce qu’il est de bon ton de donner aux femmes depuis la nuit des temps : la douceur, la splendeur, la grâce, l’amour de l’amour, de la cuisine et du ménage. Si cette beauté fatale, quoique un peu fadasse, avait eu dans la vie d’autres passions que celle du tricot, elle n’aurait pas dû attendre 100 ans le baiser d’un prince qu’elle ne connaissait même pas pour être libérée de son sort. Car les contes regorgent de pauvres créatures délivrées par des hommes devant terrasser une autre femme très puissante mais, comme toutes les femmes puissantes, diabolique et cruelle. Heureusement, pendant que Blanche-neige fait la boniche, que Cendrillon courbe l’échine sans jamais se révolter, que Peau d’Ane, après avoir fuit l’inceste, se retrouve à faire la popotte… Yasmine refuse fermement le mari qu’on lui impose et Rebelle décide tout bonnement de faire sans. Les héroïnes d’aujourd’hui n’ont plus besoin de bonnes fées ou de princillons à la coupe bizarre pour se réaliser. Au « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », elles ajoutent le « si je veux ».
Petite fille, Annette Marnat a été bercée par les contes de fées, la mythologie, Brocéliande peut-être, les ondines, ou génies des eaux, les sylphides, ou génies des airs (pas le fromage allégé) et leur univers enchanteur. De là lui vient sûrement ce tracé rond, doux et nébuleux qu’elle nous a offert en couverture de ce numéro. Illustratrice talentueuse d’un monde ouaté et velouteux, à la fois pour l’édition jeunesse et l’animation, sa douceur aquarellée nous a forcés à l’arrêt… sur image. Mais attention, douceur ne veut pas dire mièvrerie et, si elle aime, si elle adore, tous les jours un peu plus fort, la féérie de l’enfance, elle n’en préfère pas moins les princesses qui savent dire non et qui n’attendent aucun chevalier d’honneur pour s’offrir un petit conte. De « Hôtel Transylvanie » à « Vaïana », de « Mia et Le Migou » à « La Belle et la Bête », Annette, dont le prénom se prête, je trouve, à une carrière fantastique, revisite les archétypes et fuit les dauphines qui voudraient encore passer pour des pommes. Nous découvrons, à Villerest, chez elle, une princesse aux pieds nus, pétillante et fraîche, avec ses doutes, ses questionnements, nullement en détresse, nullement en pâmoison. Elle n’est pas là pour être enlevée ni pour sauver le monde mais, cela ne fait aucun doute… pour le saupoudrer d’un peu de sa brume colorée…
Un joli petit canard
Annette Marnat a 37 ans, en paraît 10 de moins, ce qui, du coup, fait une sacrée différence entre nous. On imagine assez facilement la petite fille qu’elle a été : avec de grands yeux mangas lui avalant le reste du visage, lui-même animé de couettes rousses. Parfaite pour une illustration. Elle est née à Roanne dans une famille ayant des penchants marqués pour la médecine et l’aviation. Si on ne sait pas trop d’où lui vient sa boulimie de dessin, on l’encourage dans cette voie qui paraît, de toute façon, inévitable. Elle est sage, timide, un peu froussarde, anticipe le monde sur ses feuilles blanches pour mieux s’en faire accepter, elle qui croit peu en elle. Sans vouloir la contrarier, il lui faut quand même quelques ressources pour passer un Bac Art Appliqué à Lyon Bellecourt, avant de rater le concours d’entrée aux Gobelins de Paris, mais d’être prise à l’Ecole d’Art Emile Cohl. Elle hésite encore entre le dessin animé, l’illustration de livres pour enfants et la mode. Après 4 ans de formation académique, et des nuits blanches de sueurs froides qui n’ont laissé aucune trace sous ses beaux yeux, son choix est fait et elle obtient son diplôme d’illustration. Elle retente le concours des Gobelins et, cette fois, le réussit. Direction Paris et la prestigieuse école de « l’image » sous toutes ses formes. Mais le discours de rentrée, très élitiste, lui laisse une sensation amère. L’enseignement, très technique, ne lui correspond pas et elle décide de faire cavalière seule. Dans divers festivals, elle se fait connaître des éditeurs, qui lui confient de plus en plus de commandes. Elle entretient en parallèle ses amitiés aux Gobelins… tant et si bien que l’une d’entre elles prend une tournure durablement amoureuse. Son compagnon, dessinateur d’animation, la suit depuis ces années là.
L’animation
En 2005, elle est approchée par les studios Folimage, à Valence, qui lui confient les décors pour le film d’animation « Mia et le Migou », du roannais Jacques Rémy Girerd. Cette fable écologique a nécessité des milliers de dessins tous faits à la main. Alors Annette va le jour à Valence, et passe ses nuits à Lyon, à travailler pour les maisons d’édition. C’est le temps béni de la jeunesse sans enfant… Le film, sorti en 2008, compte 1 prix et 3 nominations.
En 2008, elle travaille pour les studios Sony et « Hôtel Transylvanie » (sorti en 2013). Elle prépare quantités de dessins en 2D, à plat, et c’est son personnage de Mavis, la jeune héroïne aux dents longues, qui est retenu pour être animé en 3D. En 2011, elle est engagée par les studios Laika à Portland (les réalisateurs de « Coraline »). Si le projet est avorté, elle est amenée à faire des recherches pour le film « Boxtrolls », sorti en 2014. En effet, les studios n’hésitent pas, parfois, à mixer le travail des artistes. Elle travaille ensuite pour les studios Disney et « Vaïana » (« Moana » aux US), sorti en 2016, ou dernièrement pour la Reine des Neiges 2, qui sortira à l’automne. Elle a également collaboré avec les studios Warner pour le film à venir « Monster on the Hill ». Et Netflix se profile…
L’illustration
Mais ce qu’Annette préfère, c’est la liberté que lui offrent la page blanche et le texte à illustrer. « C’est un travail plus complet que pour l’animation où on ne fait Que des personnages ou Que des décors ou Que de la couleur. Dans l’édition, on peut tout gérer et c’est un régal ! ». Elle n’a aucun mal à convoquer ses souvenirs d’enfant pour dessiner. Des sensations d’alors, elle n’a rien oublié. Lire à son fils des histoires, le soir, dans une atmosphère tamisée, lui apporte justesse et inspiration.
Depuis 2004, elle illustre pour Flammarion, Père-Castor, Milan, Bayard, Fleurus, Hachette, Chocolat, Belin, etc., en recherchant, toujours, l’essentiel, la simplicité, le plaisir enfantin de dessiner, choisissant pour adage une phrase de Saint Exupéry : « La perfection est atteinte non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer ». Son style tout en rondeur, duveteux et laineux, suave et musical, est aussi tendre qu’un nuage de lait. Dans son bureau à la vue moelleuse naissent les héros de nos enfants, sans sexisme ni déterminisme, dans le bruit du silence, ou sur des bandes sonores de chants d’oiseaux. Cette jeune femme casanière, qui ne voyage jamais mieux que dans ses pensées feutrées, indépendante, calme et discrète, a bien des histoires à illustrer, que ce soit celles de femmes libres, de vilains petits canards ou de pirates de légende. Elle doute encore souvent mais méconnaît son talent qui, toujours, devrait trouver l’inspiration dans la dynamique émancipatrice des femmes et la tendance humaine à se raconter des fables.