« Quant on met un jean serré, on risque moins de se faire violer ».
C’est un truc qui se dit entre gonzesses, et deviendra peut-être un secret de grand-mère, quand « les filles de 1973 » auront 80 ans. La preuve en est : en 1999, la cour de cassation italienne annule la condamnation pour viol d’un homme, arguant, comme lui, qu’il est impossible d’enlever de force un jean serré à une femme. C’est vous dire si ça protège. En 2008, jugeant une affaire similaire, elle confirme cette fois-ci la culpabilité d’un violeur de femme en jean serré et déclare que celui-ci « n’est pas une ceinture de chasteté ». Merde alors. Il faut croire que les jeans étaient moins serrés en 2008 qu’en 1999.
Remarquez, dans la France de 1979, le viol, considéré alors comme un attentat aux moeurs, exclut de sa définition les pénétrations autres que vaginales , autres que celle infligées par un sexe d’homme, et, bien entendu, le sacro-Saint devoir conjugal, instauré comme obligation depuis 1810. Il faut attendre 1980 pour que par viol on entende « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise », et qu’il soit jugé comme un crime. Il s’agit là de l’expression la plus brutale de la possession des femmes, l’excision n’ayant pas cours dans notre pays. Si nous n’avons pas toutes connu cette effraction de notre corps, toutes avons été confrontées un jour à une violence sexiste ou sexuelle. Messieurs, qui bien souvent nous respectez aujourd’hui comme vos égales, ne le prenez nullement comme un plaidoyer contre votre genre, que j’apprécie personnellement au plus haut point, tant que ma condition de femme n’induit aucune infériorité, aucune contrainte, aucune entrave. Pourtant, ce n’est pas une duperie, le sexisme ordinaire n’est pas à la lanterne. Ici et ailleurs, on porte, plus ou moins durement, la croix liée à notre sexe.
Sophie Lièvre, comédienne et metteure en scène, n’est pas du genre processionnaire, chemin de croix et calvaire. Elle a toujours été révoltée par les violences faites aux femmes, et profite de son art, de sa troupe, pour les faire s’exprimer. Son spectacle « Instantanées » s’est nourri de la récolte de paroles de femmes ordinaires devant caméra. Sans revendication ni dissidence, le résultat est saisissant, bouleversant et brut, non pas brutal. Nous ne pouvions pas passer à côté d’elle comme ça, et puis, je sais pas moi… une fille qui commence sa carrière en crachant du feu ou un sein à l’air avant les femen, ça me parle, ça m’intrigue, ça m’affole, ça m’empoigne. Et la vie ne vaut d’être vécue que par la flamme, ou la femme, qui nous habite.
Tout feu tout flamme
Tandis qu’en Espagne, certaines femmes s’appellent encore « Angoisses », « Douleurs », « Secours » ou «Solitude», quand aucun homme n’a jamais porté le prénom « spasme », « fatigue » ou « je m’en bats lec », Sophie naît à Chirassimont en 1982, en pleine ruralité. De son enfance elle se souvient comme d’une fête et conserve de saines bases familiales. Sage, élevée dans la joie et la bienveillance, rien à priori ne la prédestine à monter des barricades. Mais elle aime s’exprimer au travers de la MJC de son village. A l’adolescence, alors qu’elle décide de faire le lycée théâtre de Feurs, elle se confronte à la « vie réelle » via l’expérience de ses amis: violences sexuelles, viol, avortement, harcèlement, homophobie… Elle ressent alors le besoin de revendiquer les valeurs qu’on lui a inculquées. Ainsi, après quelques mois de fac à Lyon, elle commence le spectacle de rue, les performances engagées, et le feu lui apparaît comme le moyen de cracher sa colère. Elle devient donc cracheuse de feu, entre autres, et passe plusieurs années à vivre dans des milieux alternatifs, à Genève d’abord puis dans la Vallée de La Roya dans les Alpes Maritimes. Elle retrouve là les héritiers des communautés des années 70, qui vivent de manière autonome en « collectif ». Elle rencontre le père de ses enfants et est maman pour la 1ère fois à 20 ans, pour la seconde à 22. Elle apprend le crochet, fait du fromage de chèvre et n’a guère de temps à consacrer à l’art. Qui lui manque pourtant. A 25 ans, ses enfants sous le bras, elle rejoint Nice pour renouer avec le théâtre. De ces années là, elle conserve les automatismes du bio, de la seconde main, de l’entraide et des soirées sans TV, même si elle s’offre une machine à laver, comble du luxe, qu’elle regarde tourner…
Retour aux sources
Installée à Nice, elle prend des cours du soir au théâtre, poursuit en parallèle des études, dont elle est boulimique. Elle obtient une licence de géographie, se frotte à la psychanalyse, se forme à l’art thérapie et prépare actuellement son diplôme d’Etat de Professeure de Théâtre. Elle rejoint l’ « Attraction Compagnie », dirigée par Jean-Jacques Minazio, aux côtés de qui elle travaille 10 ans. Cette troupe « patchwork », qui réunit circassiens, musiciens, poètes et comédiens sans formatage d’école, lui laisse une liberté de ton qu’elle chérit et entretient depuis. La grande rigueur poétique de son directeur la porte et elle s’essaye avec lui à la mise en scène et à l’écriture. Elle mène de front sa vie de maman, d’étudiante, et d’artiste qui doit manger. Ne vivant pas encore de ses créations, elle enchaîne les petits boulots. C’est d’ailleurs cette précarité qui la ramène sur nos terres en 2012. Bientôt installée à Ambierle, et en quête de légitimité, elle retrouve un réseau alternatif qui lui convient parfaitement. Afin de se « reposer » de la domination masculine dont elle a parfois fait cruellement les frais, elle décide de créer ses propres projets. Des projets sans lynchage de comédiens, basés sur la confiance en soi et une certaine valorisation du « ratage ». Pour elle, comme pour Jacques Brel, le talent, « c’est quand on a envie de faire quelque chose ». A ce titre, tout le monde peut faire du théâtre, il suffit d’aller chercher la bonne émotion chez la bonne personne. Elle monte un laboratoire, devenu « le labo d’In’pulse », expérimental et en lien avec des auteurs contemporains, travaille en partenariat avec les structures sociales du roannais. En 2015, elle crée «In’Pulse Création », réunissant des participants de divers bords artistiques, professionnels ou non. Sophie vit depuis 5 ans de son travail, dans un esprit de troupe, sans hiérarchie, répondant parfois à des demandes institutionnelles autour du droit des femmes, des violences, des addictions… Parmi ses créations : Souliers Rouges, un conte d’Andersen ré-écrit « au plateau », soit sur scène, avec une équipe pluridisciplinaire de 10 personnes, joué les 4 et 6 février derniers dans la salle du Grand-Marais.
Instantanées
Ce projet là, initié en 2015, est né de ses échanges personnels avec la comédienne Claire Fleury. Leurs expériences du sexisme ou de la violence ordinaires les décident à dédier un spectacle aux femmes elles aussi ordinaires. Mieux : de leur donner la parole. Ainsi, face caméra, les volontaires, de tous âges et de tous milieux, s’expriment durant 5mns sur un des thèmes proposés : avortement, viol, maternité, ménopause, amour, célibat, etc. 50 « paroles » ont ainsi été récoltées, et d’autres vont l’être, notamment en prison. Les textes sont ensuite retranscrits tels quels, en seul en scène, en duo, ou en quatuor avec Marie-Laure Perotti, Cécile Beauchet, et Claire Fleury. L’idée est de proposer un spectacle « à la carte » et en perpétuel mouvement, car, si certains textes sont immuables, d’autres changent au gré des rencontres. Création, mise en scène, rythme et dramaturgie ont un rôle central puisque chaque texte est « joué » de façon différente, sans caricature ni imitation, pour qu’aucune femme ne puisse être reconnue. De l’électricienne qui n’aime pas les mômes à la femme qui n’a pas envie d’être une petite chose fragile, de celle qui saigne son avortement à celle qui parle de ses amants en jogging, entre « ménopause délivre moi » et « aimer, c’est savoir rompre », Sophie prête son jeu et sa voix à la femme multiple, à l’épouse, à la mère, à l’allumée, à la Diane, à la Vestale, à la mijaurée ou à la geisha. Comme dirait une grande femme de notre enfance « on s’amuse, on pleure, on rit », mais il n’y a ni méchant ni gentil. Des moments difficiles, ça oui, mais sans atermoiements, sans fureur, sans cri. Des moments de femme, sans fard, sans jugement, mais avec, en filigrane, de la musique, des clopes, du champagne et, gravé sur la peau de Sophie… le nombre de femmes tuées par leur conjoint depuis le début de l’année.
Après des siècles d’histoire faite par les hommes, de tribunes tenues par les hommes, de littérature écrite par les hommes, où même Hugo pouvait se permettre « Les femmes se prennent, comme les lapins, par les oreilles », ces paroles de femmes, Pénélope ou Putain, Infidèle ou Vertueuse, Victime ou Amazone, qui souvent sont les mêmes, sont autant de garde-fous contre la folie d’un monde purement, ou salement, masculin.
Prochaines représentations en solo :
- le 4 mars à Bonson (médiathèque)
- le 6 mars à St Etienne (amicale laique chaléassière)
- le 7 mars à Chirassimont
- le 10 mars à Mably (salle Pierre Henon CFA)
- le 11 mars à l’IUT de Roanne
Mickael Pras, attaché de diffusion : 06 95 84 90 28
inpulsecreation@gmail.com
facebook: @Sophie Lièvre