Il fut un temps où il n’allait pas bien à tout le monde. Il allait à tout le monde, mais bien, c’était une autre histoire. Le Marcel était une arme à double tranchant qui pouvait, toute fourberie dehors, se retourner contre celui qui le portait. La faute à ses icones qui, dans l’imagerie populaire, n’étaient pas là pour acheter du terrain : Marlon Brando en ouvrier gaulé, Bruce Willis en sauveur moite et protéiné, Fifty Cent en jogging 3 pièces énigmatique, Sigourney Weaver en ptite culotte face à un Alien poisseux… Il y avait du niveau, du muscle bandé, de la sueur, de l’adrénaline et, parfois, des yeux qui sentaient le sexe. Dans nos vies de tous les jours, on ne pouvait pas se permettre… Et, si pour certains, le Marcel pouvait être un atout style, il était pour d’autres le truc de trop, la fausse bonne idée. Disons qu’à une époque, heureusement révolue, il n’y avait, d’ « Un Tramway nommé désir » à « Plouc Fiction », qu’un fashion faux-pas… Maintenant, tout a changé car il existe une sorte d’entre-deux, de « oui mais non », d’intermédiaire entre le tout et le rien par le truchement de la coolitude. Car oui, dans la cool-zone, plus besoin de gainer tous les jours. Exit le turbin et le cambouis, l’esbroufe et le goret libidineux, le Marcel est tendance, instinctif et sûr de lui. Seul ou accompagné, les codes ont changé, il s’affirme en toute décontraction, avec la force tranquille de qui n’a rien à prouver.
C’est pourtant bien dans la besogne et la sudation qu’il a été inventé, dans les années 1860, par un manutentionnaire des Halles de Paris qui, las de voir ses gestes entravés par des manches de laine, décide de les couper… Marcel Eisenberg, bonnetier roannais, a vent de la libération des bustes ouvriers, et décide de fabriquer un maillot de corps auquel il donne son prénom. Il le produit en masse et, bientôt, du paquetage des poilus à celui des premiers vacanciers payés, son débardeur est sur tous les fronts. Mais attention, seules les couches populaires peuvent le porter sans chemise. Qualifié de « singlet » ou de « wifebeater » (tabasseur de femme) aux Etats-Unis, il devient dans les années 50 le symbole du mâle chaud-bouillant. Même les joueuses de tennis se l’approprient et, en 1980, le Marcel rentre dans le dictionnaire… Les Etablissements Marcel ne résistent pourtant pas aux délocalisations et sont liquidés dans les années 90.
Voici donc l’histoire d’une renaissance portée par Thomas Sardi, jeune rénovateur d’éclat d’un débardeur décomplexé qui s’offre un aller simple pour le monde du basic incontournable et du « jamais sans mon Marcel ».




Bonjour Thomas, tu démarres, à 45 ans, une nouvelle aventure avec « Les Tricots Marcel », qu’as-tu fait dans une autre vie ?
J’ai commencé à travailler à 19 ans dans l’entreprise familiale « Mado Marcel » à Neaux. J’y suis resté 16 ans, jusqu’à sa vente en 2009. J’ai eu envie de changer de vie, de voir autre chose, et, passionné de sports de glisse, je suis parti à Bali. J’y suis en fait resté jusqu’en 2017, en revenant un an à Roanne entre temps. Là-bas, en plus du surf, j’ai surtout fait de l’immobilier.
Et comment passe-t-on du surf à Bali au Marcel à Roanne ?
Quand je suis revenu m’installer ici en 2017, à Saint-Léger exactement, j’avais dans l’idée de reprendre une activité artisanale ou artistique. Et puis un jour, je suis tombé sur un post parlant de l’ancienne entreprise Marcel, fermée dans les années 90. Je m’appelle Thomas Lucien Marcel, les locaux de Mado Marcel étaient proches de ceux de Marcel Griffon… Autant de Marcel, c’était un signe non ? Et voilà, je me suis mis en tête de créer le « savon de Marseille » de Roanne en faisant renaître le fameux Marcel.
Quand as-tu démarré ?
En mai 2019. Le temps de déposer la marque, qui ne l’était pas, de créer la société « Etablissements Marcel », et de tout mettre en place. Je voulais absolument rester local et mettre en avant le savoir-faire historique de notre région.
Comment est-il fabriqué ?
Avec une grande exigence de qualité dans le processus ! Les couturières réalisent la coupe et la confection de manière traditionnelle, à partir de coton Pima, dont seule la filature est réalisée en Grèce. Le tricotage se fait à Riorges, la teinture au Coteau, les étiquettes sont faites à Saint-Etienne. L’emballage, « la Boîte à Marcel » est fourni par le Cartonnage du Roannais. Le logo, des altères avec des yeux, a été créé par un ami, Kamel Yahimi, ancien directeur artistique de « Who’s next ». Le photographe est de Roanne, et les mannequins, non professionnels, aussi.

Tu vas jusqu’au bout de la démarche !
Oui, c’était le postulat de départ : un projet éthique et social, puisque nous faisons travailler aussi des personnes fragilisées par le handicap via l’Ithac de Riorges.
Le Marcel est présent dans les boutiques ?
Uniquement à Roanne chez Alice et Malo et à l’Office du Tourisme, ou à Paris chez « Jean-Louis la nuit », une sorte de bar-galerie de prêt-à-porter. L’essentiel des ventes se fait sur le site internet.
Tu restes sur le concept du « mono-produit » ?
Je voulais en effet un mono-produit, mixte enfant et adulte, décliné du 4 ans au XL en 12 couleurs, à porter ajusté ou oversize, en sous-vêtement ou comme haut. Mais tout évolue et le maillot de corps « Lucien » vient de sortir des ateliers. A l’avenir, j’aimerais compléter avec un sweat ras-le-cou et un sweat zippé. Et, pourquoi pas, des produits dérivés, et des séries limitées signées par des artistes…
Que peut-on te souhaiter ?
Que la notoriété grandisse et que notre Marcel devienne un peu la Praluline des dressings : un incontournable emblématique de Roanne. Du Made in Roanne à offrir et à s’offrir.

www.lestricotsmarcel.com