A couper le souffle
8 marathons, 20 sélections en Equipe de France, 2 fois Championne de France de Trail, 1 fois de course en montagne, 1 fois de marathon, Championne du Monde de Trail en 2017, en individuel et en équipe, au moins 6 entraînements par semaine, 1m58, 45kgs, 10 paires de chaussures par an… . Moi, il n’y a guère que sur ce terrain-là que je peux la battre. Et, clairement, vous avez plus de chances de la croiser au bord du Renaison, dans les Monts de la Madeleine ou en forêt de Lespinasse qu’en boîte de nuit. Surtout en ce moment. Car oui, cette pépite-là est roannaise, et cet O.C.N.I., ou « objet courant non identifié » connaît nos sentiers comme les poches de son Camelbak. Spécialiste de Trail, course en montagne, route, cross et piste, Adeline Roche, 36 ans, est à la grande foulée ce que Troisgros est à la gastronomie : une référence de notre cru. Cette gazelle millésimée, à laquelle on ne connaît heureusement aucun prédateur, tasse de son poids léger bon nombre de nos chemins de traverse, laissant dans nos campagnes la trace de ses baskets de 7 lieues. Les mondes souterrains tremblent souvent sous sa griffe, et plus aucune vipère, plus aucune taupe, plus aucun vers de terre ne connaît, alentours, de repos. De là à dire que l’écosystème est intimidé, non, mais il lui a fallu s’adapter, bouleverser son planning, changer les heures de pause et faire avec cette coureuse qui, elle, n’a que faire des ronces que la nature peut lui tendre. Les sentiers ont dernièrement connu quelques répits, qu’ils en profitent, car Adeline est devenue maman. C’est en plein exercice de ce rôle que nous la rencontrons, sans avoir, heureusement, à lui courir après. Qu’on ne se méprenne pas : elle ne chasse pas le naturel, et reviendra au galop. Sans perdre haleine ni être en fin de course, mais inventant bel et bien le fil à couper… le souffle.
Bonjour Adeline, et félicitations pour cette nouvelle aventure… devenir maman en 2020 était sûrement la meilleure chose à faire !
Merci. Oui, c’est vrai que, sans l’avoir anticipé, je n’ai pas perdu grand-chose sur le plan sportif. Je voulais effectivement faire une pause sur la compétition pour avoir un bébé. Finalement, et malheureusement, il n’y a pas eu de course du tout.
En 2017, vous avez été sacrée Championne du Monde de Trail, soit 50 km en pleine nature. Comment tout cela a commencé ? (Hormis en courant bien entendu…)
J’ai commencé la gym à 3 ans, puis j’ai découvert la course à 10 ans. J’ai accroché tout de suite. J’ai vite participé aux courses enfants comme celle de Tout Roanne Court et, comme mes résultats étaient bons, je me suis licenciée au Club Athlétique du Roannais, une école toutes disciplines. Mon gabarit m’a orientée vers le fond (de 800 à 5000 m). Frédéric Augagneur, à qui je dois beaucoup, m’a entraînée de 1997 à 2012. Avec lui, j’ai fait plusieurs podiums en ½ fond, route et cross-country (course nature hivernale). Mon premier marathon, à 25 ans, en 2h42, a été une belle révélation. Je me suis rendue compte que j’étais à l’aise sur ces distances…
Tellement à l’aise que vous avez remporté le Championnat de France de marathon en 2010
Oui, en 2h38. Je me suis ensuite concentrée sur la course en nature, m’entraînant seule jusqu’en 2016. Grâce à mes classements en compétitions, j’ai été repérée par l’entraîneur de l’Equipe de France de Trail, Philippe Propage. Il m’a beaucoup appris et c’est à ses côtés que j’ai remporté les Championnats du Monde (CM) de 2017 en Italie. Les stages avec l’Equipe de France ont porté leurs fruits ! Pourtant, cette course (50 km avec 3 000 m de dénivelé) a été pour moi une vraie galère. J’ai failli abandonner plusieurs fois à cause de maux de ventre terribles, et une chute, avec blessure, peu avant l’arrivée. Mais je me suis accrochée pour décrocher la médaille. Au final, nous avons été également championnes par équipe.

Et ensuite ?
J’ai été automatiquement sélectionnée pour les CM de Trail long (90 km) en 2018, mais une blessure m’avait mise 6 mois à l’arrêt entre temps. Je suis arrivée 7ème. Ma dernière grosse course a eu lieu fin 2019 pour les CM de course en montagne en Patagonie, où je suis arrivée 2ème, et 1ère par équipe.
Quels sont vos projets ?
Reprendre la compétition dès que possible, car j’ai toujours envie de performer. Même s’il va dorénavant falloir que je concilie mon travail à 60%, ma vie de mère, et mes entraînements quasi quotidiens. Mais j’ai bien l’intention de revenir ! J’aimerais me rapprocher des 2h35 au marathon, et faire, par défi, l’Ultra-Trail de La Diagonale des Fous à la Réunion pour mes 40 ans, soit environ 160 km et 10 000 m de dénivelé positif. 100 m de dénivelé équivalent à 1km sur du plat… Je vous laisse calculer… On l’appelle d’ailleurs « La Diagonale des Fous » car certains ont parfois des hallucinations en arrivant au sommet.
Sympa comme « délire d’anniversaire »… pas de boule à facettes ou de virée genre « Very Bad Trip » alors ?
Non ! Mais ce n’est pas un sacrifice pour moi. Ca ne l’a jamais été. Le sport est mon mode de vie, mon moyen à moi de m’évader, de communier avec la nature qui reste maîtresse de tout, de voyager, de faire des rencontres magiques. Car lorsqu’on gagne, on ne gagne pas seule, il y a toute une équipe derrière : entraîneur, médecin, kinésithérapeute, ostéopathe, etc. Sans parler de mes parents qui m’ont donné un coeur costaud, et la possibilité de faire ce que je voulais. Je ne les remercierai, tous, jamais assez ; tout comme mon mari et mes proches sur qui je peux également compter. J’aime aussi savoir jusqu’où je suis capable d’aller, explorer mes émotions, mon ressenti. Nous les femmes sommes particulièrement bonnes dans cette discipline, car nous savons mieux gérer la douleur et l’endurance. Dans ce sport, plus les distances s’allongent, plus les différences physiques hommes/femmes s’amenuisent.
Vous pourriez en vivre ?
Non, c’est impossible, surtout en tant que femme. Le trail est une niche qui n’est pas encore très reconnue. Mais je suis aidée par mon Club, le même depuis toujours, et par les subventions du Département de La Loire/CDOS Loire et de Roannais Agglomération. Grand merci à eux ! C’est un choix aussi : je ne fais partie d’aucune Team car je ne voulais pas être affiliée à une marque. J’ai simplement un partenariat avec la marque Altra, mais ils connaissent mon état d’esprit. Je ne suis pas fan des réseaux sociaux et préfère rencontrer directement les gens, les jeunes, qui veulent entendre parler de ma discipline. Je suis d’ailleurs marraine départementale de l’USEP.
L’équilibre par le sport, c’est ce que vous aimeriez transmettre ?
Oui, quel que soit notre niveau, c’est une formidable école de la vie. On y apprend la solidarité, la convivialité, l’échange, le respect de la nature qui nous entoure. On a besoin de peu de choses : un Camelbak et des baskets. C’est à la portée de beaucoup de monde. Et tout ce qui gravite autour enrichit l’existence. En tous les cas, moi, je me sens riche. Et j’espère transmettre cet état d’esprit à mon fils.




Club Athlétique du Roannais
Parking du Nauticum
49, rue du Général Giraud, Roanne