« Vous, Puy, vous ne trichez pas, vous osez peindre ! » (Gustave Coquiot -1920)
Pour beaucoup, Jean Puy est un lycée. Des hauts plafonds grandiloquents, des préfabriqués frileux, des photos de classe amidonnées dans la cour d’honneur, des clopes fumées en cachette des pions, des chocs émotionnels dus à l’exercice non consenti du lancer de poids, et, sur un mur, quelque part en face, le tag « sous les pavés, la plage ». Bien sûr, c’est mieux que rien. Mais si notre illustre lycée (d’où sont sortis tellement de talents immémoriaux tristement ignorés pour certains, heureusement ignorés pour d’autres) porte ce nom… c’est qu’il y a, sûrement, un grand homme derrière. Beaucoup d’entre vous le savent, et d’autres, peut-être, vont le découvrir : Jean Puy n’est pas qu’une enfilade de salles de classe mal isolées. C’est, en premier lieu, et surtout, un peintre moderne du XXème siècle, proche du Fauvisme, et pionnier, comme d’autres grands noms du renouveau de son Art, de l’utilisation des teintes vives. Ayant pour but ultime et assumé de reproduire la vie dans son intensité, il est le peintre de l’émotion par la couleur : « des couleurs ravissantes, envoûtantes, séduisantes, ensorcelantes, captivantes, engageantes ! Comme si on n’arrêtait pas de s’en mettre plein la vue », écrivait-il. Indifférent aux clameurs, aux modes, ou aux lauriers de la notoriété, cet amoureux des femmes, des fins d’été de Saint-Alban-les-Eaux et des flots vifs des côtes Bretonnes, invente un style qui lui est propre. Multiple et riche de ses influences. Très remarqué au Salon d’Automne de 1905 par le marchand d’art Amboise Vollard, incontournable en son temps, celui-ci lui achète la totalité de son atelier et le prend sous contrat pendant 20 ans. C’est cette collaboration, teintée de grande amitié, que le Musée Joseph Déchelette et le Musée de Pont-Aven ont voulu célébrer cette année en consacrant à Jean Puy, et à son marchand, une exposition inédite, prodigieuse, immanquable.
Ainsi, et jusqu’en mai, près d’une centaine d’oeuvres vous sont présentées à Roanne, certaines pour la toute première fois. Issues de collections privées, de prêts nationaux et internationaux, elles nous donnent à voir l’étendue d’un art, de portraits en paysages, d’oeuvres graphiques en céramiques insoupçonnées… L’étendue d’une palette rare, de roses à la fête, d’une « manière tendre, fluide, sensuelle, hardie » de faire s’harmoniser beauté et vérité, d’une lumière diffuse qui crie à voix basse combien Jean Puy aimait la vie.

Révélation d’un doux rêveur
Jean Puy est né le 7 novembre 1876 à Roanne, dans un milieu privilégié d’industriels fortunés. Son père est alors concessionnaire des Sources de Saint-Alban-les-Eaux, avant de prendre la direction des Tuileries Cancalon, un quartier aujourd’hui emblématique de Mably. Il a une soeur aînée, qui décèdera à 15 ans, et un frère cadet, Michel, qui deviendra poète et écrivain. Marie, leur mère, meurt prématurément en 1881, et c’est en seconde noce quelques années plus tard que leur père aura 3 autres filles. Jean est un garçon sensible, poète et rêveur, dont l’enfance est bercée par les écrits de Jules Verne et l’Odyssée d’Homère, qui lui donneront, entre autres, le goût de la navigation. Il possèdera plus tard plusieurs bateaux et partira tous les étés en solitaire au large des côtes bretonnes. Son milieu et son temps étant sensibles aux Arts et à la Littérature, il fait des études classiques, sans en être cependant passionné. Seules les lettres françaises et latines l’intéressent et il reconnaît « jouir d’une grande facilité à s’évader dans la rêvasserie du travail sordide conduisant aux baccalauréats », qu’il obtient cependant en section Lettres et Philosophie, et sur les bancs du lycée qui porte désormais son nom. Ne sachant que faire, lui qui est considéré comme « mauvais en dessin d’imitation », et se refuse obstinément à s’engager dans l’administration, penche un temps pour une carrière de marin, à laquelle sa famille ne consent pas. Son père lui suggère l’architecture aux Beaux-arts de Lyon et : « quel rêve soudain pour moi d’évasion. A nous la liberté, les nuits de vadrouille, les femmes qui fument ». Nous sommes en 1895, et Jean Puy découvre la peinture. Il commence bientôt à étudier à l’atelier de Tony Tollet à Lyon, portraitiste réputé. Mais celui-ci ferme au moment de l’affaire Dreyfus, et Jean décide de s’installer à Paris, en 1898. Après un passage décevant à l’Académie Julian, il s’inscrit à l’Académie Camillo, où il rencontre notamment Eugène Carrière, Laprade, Matisse et Marquet, avec qui il noue de solides amitiés, et travaille en commun dans divers ateliers. Dès 1901, il a le sien propre, et commence à exposer, trouvant un écho favorable dans la presse. Il a entre temps découvert la Bretagne, où il séjourne chaque été, avant de rejoindre, dès le 15 août, le Saint-Alban de son enfance. Il peint la vie, la nudité, les femmes qu’il adore en grand timide. Une notamment, Jeanne, mère d’une petite fille et qui, de modèle, devient sa compagne. Ce concubinage « outrancier » n’est pas du goût de son milieu, très catholique, mais n’engendre pas de rupture totale. Jean « compose ». Il est indépendant financièrement, ne souffre aucunement de la misère que d’autres artistes connaissent. Il est libre d’esprit, et libre dans sa peinture. Bientôt, le nom de Jean Puy est un nom à retenir.

Un fauve et son marchand
A Paris, le Salon d’Automne de 1905 fait scandale. Matisse et ses amis, dont Jean Puy, y exposent des oeuvres colorées, bariolées, des corps dénudés aux formes libres. Les critiques sont hostiles à cette modernité et inventent l’expression de « cage aux fauves ». Mais le marchand Ambroise Vollard, fin limier de l’Art, découvreur de talents de premier plan, dont Picasso, remarque les toiles de Jean Puy. Il lui achète les quelques 200 tableaux de son atelier et le prend sous contrat. Cette collaboration durera jusqu’en 1924. Car Vollard, au-delà d’aimer la peinture de Puy, aime l’homme : drôle, discret, antimilitariste, anticlérical, bon vivant sans excès, aimant les femmes sans en faire des objets, fidèle en amitié, fuyant la vie urbaine, sensible et sensuel. Il le fait collaborer avec le céramiste André Metthey et plusieurs dizaines de pièces uniques voient le jour jusqu’en 1910. Certaines font partie de l’exposition du Musée Déchelette. L’expérience est résolument moderne à une époque où l’art et l’artisanat sont clairement différenciés. Vollard est un novateur par qui le succès arrive. Il introduit son protégé auprès de grands collectionneurs russes et suisses, même si Puy n’a que faire de la célébrité et se détourne peu à peu de la peinture d’avant-garde. Après la guerre, dont il revient traumatisé, moins audacieux, moins sûr de lui, il devient un artiste indépendant qui ne s’ancre pas dans la modernité. Sa gamme chromatique est très personnelle et sert son interprétation émotionnelle du monde. Il épouse Jeanne en 1922, pour en divorcer en 1924, et n’aura pas de descendance. Vollard reste son marchand attitré jusqu’en 1924 puis il se retire progressivement de la scène publique, et s’adonne de plus en plus à son activité d’éditeur. En lien avec celle-ci, il continue à passer à Puy quelques commandes, d’estampes, de caricatures, etc. Il continue, surtout, à apprécier l’homme et sa compagnie. Jean Puy demeure un peintre d’importance dans les grandes collections de l’entre deux guerres, mais son tempérament mélancolique, encouragé par les déchirures de la guerre, le pousse à rester en retrait du monde. Après la mort accidentelle de Vollard en 1939, il quitte Paris et s’installe définitivement à Roanne en 1940, chez sa soeur Madeleine Vindrier, au 46 rue Pierre Dépierre.
Un peintre et sa ville
Jean Puy est casanier et très attaché à sa famille. Il aime écrire et entretient de nombreuses correspondances, dont il reste quelques truculences, envoyées à son grand ami Matisse ou à son frère Michel. Il passe les 20 dernières années de sa vie à peindre et à exposer, en étant un animateur dévoué de la vie culturelle locale. Généreux de son temps, il aide avec bonhomie de nombreux jeunes artistes, dont Pierre Etaix. Les critiques sont élogieuses à son égard, et il est alors de bon ton, dans la bourgeoisie, de posséder un « Jean Puy ». Gai et tourmenté, bavard et pudique, sociable sans faire de bruit, il se partage, suivant les saisons, les expositions, et les villégiatures de ses chers amis, entre le sud, Paris, la Bretagne, dont il peint passionnément la violence des flots, Roanne et Saint-Alban-les-Eaux, dont il peint en nuances la douceur de vivre. Il aime la vie, et connaît le plaisir de peindre sans chercher à plaire. Georges Besson dira d’ailleurs de lui qu’il « était un peintre anachronique, ne cherchant pas à laisser croire que pour paraître profond, il suffit d’être abstrait ». Son style intimiste va au coeur de l’objet, du paysage, du modèle, des scènes d’intérieur, pour en retenir la vie, le rêve, le secret. Jean Puy s’éteint en 1960 à Roanne, laissant derrière lui une oeuvre encore mal connue, voluptueuse et charnelle, tendre et gourmande, audacieuse et sensible, où les roses se fanent en beauté, et les gris rendent à l’atmosphère le voile qu’elle perd dans le fauvisme. Une oeuvre faite, selon René Domergue, « à la fois de probité, de voluptueuse tendresse, de pudeur, de pudeur sensible où se glisse un rien d’ironie. Bref, pris entre la ferveur de dire et la crainte d’oser, Jean Puy, sans crier, par son subtil langage, est l’interprète ému, sensuel et gourmand, – ô combien ! – du bonheur ».

Exposition
« Jean Puy-Ambroise Vollard : Un Fauve et son Marchand »
Jusqu’au 17 mai 2021 (sous réserve des annonces du gouvernement)
Musée Joseph Déchelette, 22 rue Anatole France, Roanne
04 77 23 68 77