« De porcelaine et d’acier »
Elle nous vient d’une terre de feu, faite d’argilites rouges et friables donnant une roche gréseuse riche en oxyde de fer. Modelé en gorges et canyons par des cours d’eau serpentant librement, le Rougier de Camarès est un Colorado balayé par le vent, au carrefour d’influences multiples, et aussi singulier que grandiose. Cette terre de sang, que l’on croirait ardente, parsemée de thym et de bruyère arborescente, offre un paysage lunaire, presque chimérique, un Yellowstone Aveyronnais, un trip en plein contraste entre le bleu du ciel et le rouge de sa robe. Pas étonnant que cette roche de passion forge des destins atypiques où l’on n’est rien sans marotte, sans flamme et sans un sentiment d’appartenance à une terre aussi puissante que fragile.
Emmanuelle Bernat, ou Emmane, nous vient de là. Son art aussi, sûrement. Son art contrasté, fait, sans dissonance, de porcelaine et d’acier. Un art qui joue avec la douceur, la froideur, la force et la fragilité. Et nous invente, jour après jour, un métier. L’Aveyron l’aurait bien gardée… mais la chance a tourné, et c’est sur nos terres qu’elle s’est durablement installée. Après avoir raflé l’aligot, le roquefort, les Laguiole, Le Larzac, et même le plateau de l’Aubrac, la moindre des choses était de partager les talents, et de les faire voyager.
Emmane, artiste aciéramiste, a déposé, comme des valises, son atelier dans l’arrière boutique de Ribambelle, un espace dédié aux métiers d’art dans le centre ville de Roanne, après avoir passé plusieurs années à la Cure de Saint-Jean-Saint-Maurice. Elle fait maintenant partie de notre paysage, de nos associations engagées dans de nobles promotions, de nos énergies positives, et de nos esprits libres. Ses créations, aériennes, aquatiques, suspendues, posées, enracinées, déployées… sont autant de fils tendus vers une nature omniprésente qui, de source d’inspiration, devient une forme de respiration.
L’enfant des terres rouges
Emmane naît en 1987 dans le mini Colorado du Rougier de Camarès. Ses parents sont agriculteurs et veillent sur leur troupeau de brebis laitières, qui pâturent de mars à octobre pour donner un Roquefort d’exception (Gaec de Galamans). Petite, elle passe son temps à bricoler et à puiser dans sa terre rouge l’énergie créatrice qui l’anime chaque jour. Elle et ses deux grands frères s’imaginent plus tard aux commandes de la ferme, l’un produisant des pommes au milieu des brebis, l’autre créant les étiquettes et les emballages design, Emmane les vendant… aux côtés d’objets qu’elle aurait fabriqués. Leurs parents les encouragent à imaginer la vie qu’ils veulent. Quoi de mieux, finalement, que de donner à ses enfants des racines, oui, mais des ailes, aussi. Stimulée par la matière à portée de main, travailler à la fois la terre et le métal devient vite une évidence pour Emmane, même si elle ne sait pas encore comment aborder la création hybride. Elle passe un bac Arts Appliqués à Rodez, puis s’inscrit à l’Ecole Nationale des Arts Appliqués « Duperré » à Paris, dont elle ressort 2 ans plus tard avec un diplôme de métier d’art en céramique. Elle y apprend toutes les techniques (grès, porcelaine, faïence) et y mène un projet personnel de « vaisselle sonore » à double fond, pour nous amener à « regarder les petits riens du quotidien ». Elle poursuit ses études à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Art « Olivier de Serre », toujours à Paris, pour y apprendre le travail du métal, de la bijouterie à l’architecture, en passant cette fois ci un DMA option décor architectural en métal. En 2ème année, elle crée des meubles dont les formes très organiques lui sont inspirées par l’observation du « chou rouge ». En 2009, nouvellement diplômée, Emmane fait partie des lauréats du concours des Jeunes Créateurs d’Atelier d’Art de France, et expose au salon « Maison et Objet ». Elle passe ensuite en alternance une licence pro Ecrema, donnant à de jeunes créateurs les clés pour entreprendre. Auprès de son maître d’apprentissage Guillaume Piéchaud, artiste designer et sculpteur, elle développe sa technique de mise en forme des aciers.
De La Cure à Ribambelle
Emmane se met en quête d’un atelier, afin de créer sa collection. Car sans elle, pas de clients. Mais l’entreprise n’est pas simple à Paris. Elle cherche alors un endroit central entre la capitale et sa région natale. Au beau milieu du périmètre choisi, avec punaise rouge sur tableau en liège : la Cure de Saint-Jean-Saint-Maurice, pôle Métiers d’Art de Roannais Agglomération. Elle s’y installe donc en pépinière, de 2011 à 2013, en atelier de 2013 à 2020. « Je ne connaissais absolument pas la région et j’ai été ravie de l’accueil chaleureux et bienveillant qu’on m’a réservé. Dès mon arrivée, des inconnus étaient là pour m’aider à emménager. Je me suis installée dans une ambiance d’entraide exceptionnelle ». Il faut dire qu’une jeune femme seule travaillant le métal a de quoi intriguer. Il faut dire, aussi, qu’il existe ici entre artistes et artisans d’art une solidarité et une réciprocité importantes. Ainsi, et dès le début, Emmane se sent chez elle, entourée, soutenue, prête à inventer le métier qui est le sien, « aciéramiste », mêlant le travail de la porcelaine et des métaux en feuille (inox, corten, acier). Elle crée au départ essentiellement des luminaires, puis se constitue une collection d’objets pour la décoration intérieure et extérieure. Via le collectif Ribambelle, destiné à valoriser la création artisanale contemporaine, un magasin de créatrices voit le jour en septembre 2019, rue Jean Puy à Roanne. Emmane fait partie de l’aventure. Depuis le 1er décembre 2020, la boutique a investi un local plus grand rue Maréchal Foch, où notre aciéramiste a déménagé son atelier. Elle y donne aujourd’hui des cours et accueille temporairement d’autres artisans d’art.
Implication et inspiration
Emmane, comme ses parents avant elle, a toujours été engagée dans des projets associatifs. Elle a besoin du collectif pour avancer et défendre son métier. La synergie insufflée par l’Agglomération et l’AMAR, dont elle a été la présidente en 2013, lui permet un partage d’expériences et de connaissances essentiel à sa créativité. Parlons-en d’ailleurs, de cette créativité. Ses oeuvres, d’inspiration onirique souvent, scandinave ou japonaise parfois, se rapprochent de plus en plus de la nature, de lignes animales pures : papillons, colombes, mangeoires en porcelaine non gélive, tuteurs et jardins suspendus, fils d’hirondelles en corten (un alliage de 10 éléments dont 7 métaux avec rouille protectrice), raies manta, vases, luminaires et tout un bestiaire de porcelaine, d’acier, ou les deux, qui s’étoffe d’année en année… Elle travaille également sur commande, notamment pour les créations en métal. Ses réalisations se trouvent à Paris, Pézenas et Montpellier, ainsi que sur les nombreux salons et marchés auxquels elle ne manque pas de participer. Dans son atelier, prodigieusement suranné, où la lumière, après les terres rouges, devient son élément, Emmane affine aujourd’hui les formes venues d’ailleurs de ses créations de demain. De porcelaine laiteuse ou d’acier docile, pleines de courbes rassurantes et d’intentions d’envol à peine voilées.
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