Une légende en marche
Elles sont nombreuses, les légendes, à nous le raconter. La Chine dit avoir enfanté un empereur qui, un jour béni, fit bouillir de l’eau sous un théier sauvage, tandis qu’une brise légère faisait piaffer ses branches. Quelques feuilles tombèrent et improvisèrent une boisson au goût providentiel de « reviens-y ». Et l’homme connut le thé. L’Inde nous parle d’un prince missionné pour aller prêcher en Chine les préceptes de Bouddha, et ayant fait voeu de ne pas dormir pendant les neuf ans que durerait sa tâche. Ben voyons. Ce (peut-être) plus grand mytho de tous les temps mordit fortuitement des feuilles de thé sauvage qui, grâce à leur pouvoir revigorant, lui permirent de ne jamais flancher… Et l’homme connut le thé. Au Japon, qui fait rarement dans la dentelle, c’est déjà un peu plus gore… le même prince aurait fini par s’endormir et, fou de rage contre lui-même à son réveil, aurait décidé de s’arracher les paupières avant de les balancer dans un fourré. Radical. Bien plus tard en se promenant, la membrane conjonctive probablement irritée, il constata qu’un arbuste avait poussé au même endroit. Joueur, il goûta ses feuilles et n’eut plus jamais envie de fermer les yeux. Et l’homme connut le thé. Quoi qu’il en soit, le thé est apparu en Chine, où il était déjà apprécié bien avant notre ère (400 ans av.J-C.) pour ses vertus thérapeutiques. Devenu populaire sous la dynastie Tang (608-907), qui inventa aussi le jus de fruits, il ne tarda pas à s’étendre au reste de l’Asie. Paris dut attendre les années 1630 pour s’en envoyer une tasse, une fois les premières caisses arrivées à Amsterdam. L’Angleterre, instantanément accro, contra bientôt les prix prohibitifs fixés par les Chinois en les rendant dépendants à l’opium. Ok, le procédé n’était pas joli joli mais elle disposa ainsi d’une monnaie d’échange. La fin justifie les moyens. Ces petits malins d’anglais développèrent la culture du thé dans d’autres pays (Inde, Sri Lanka anciennement Ceylan, Afrique Noire…) afin de satisfaire une consommation occidentale grandissante. Aujourd’hui, le principal pays producteur reste la Chine, mais l’Inde, le Kenya, le Sri Lanka, le Viêt-Nam et la Turquie apportent une contribution non négligeable au magot mondialement convoité. Heureusement, car depuis que le thé a également conquis le Sahara, l’insatiabilité des Touaregs et autres nomades berbères aurait pu mettre en péril ce rituel planétaire.
Que dire alors de l’insatiabilité française et de cet engouement bien latin pour les plaisirs d’Orient ? Jusqu’à preuve du contraire pourtant, la potion magique : c’est nous. Et si en fait nous avions dans nos gènes depuis des temps immémoriaux… de la théine ? Et si le mythe nous avait été volé ? Et si d’irréductibles Gaulois étaient en train de nous le restituer ? On s’emballe certainement un peu, mais une chose est certaine : La Fabrikathé, nouvellement installée à Pouilly-les-Nonains, crée en ce moment même tout un écosystème pour que son thé (et pas que…) prospère sur nos terres… Alors oui, cet atelier de fabrication de thés et tisanes biologiques écrit sa propre légende. Celle qui un jour peut-être voyagera jusque dans la province de Kagoshima, berceau du thé ombragé Gyokuro, et expliquera la folle histoire de celui qui trouva un terroir français à son thé d’exception.
Une jeune marque qui monte
Julien David, sommelier du thé, entreprend l’aventure en 2016 lorsqu’il ouvre son atelier à Renaison : la Fabrikathé, ou FBKT. Cet épicurien venant du milieu du vin concilie ainsi quelques unes de ses passions : la gastronomie, les voyages, l’artisanat et… le thé. Fin connaisseur ayant beaucoup « bourlingué », expert en dégustation, il crée dès le début des recettes exclusives, haut de gamme et imaginatives. Via un réseau étoffé, de Maîtres Thé, sommeliers, voire ethnologues…, il source une matière première de très grande qualité, en accord avec le cahier des charges du label Ecocert. Très bien entouré (pharmacienne-herboriste, ingénieure alimentaire-diététicienne nutritionniste, ancien chef en restauration gastronomique et autres puristes du thé…), il maîtrise tout en interne et propose une gestion sur mesure de ses clients. Il fallait s’y attendre : la Fabrikathé connaît un succès rapide auprès des particuliers comme des professionnels. Il faut dire qu’elle est un des seuls ateliers d’assemblage de thés en France, la plupart des marques se contentant d’apposer leur étiquette sur des produits déjà préparés. Seulement voilà… avec 160 revendeurs sur le territoire (épiceries fines et maisons de thés), 3 boutiques en nom propre à la fin de l’année (il en existe déjà une à Lyon 7ème : « La Parfumerie »), un site marchand et environ 300 clients en hôtellerie restauration (dont l’Intercontinental de Lyon)… le site de production renaisonnais devenait trop petit. Sans compter que l’effectif de l’entreprise est passé en 1 an de 7 à 17 salariés. Ainsi donc, Julien a embarqué tout son petit monde en début d’année dans un espace de 1500 m2 à Pouilly-les-Nonains, d’où il est originaire. Traçabilité quand tu nous tiens… Là, une boutique de 300m2 permet aujourd’hui d’exposer les quelques 500 références de thés et infusions préparées artisanalement dans l’atelier attenant. Les clients peuvent également trouver toute une gamme d’épices FBKT (lancée il y a peu sous la marque « Escale aux épices »), ainsi que d’autres produits locaux.
Un projet responsable, pour un développement durable
Julien souhaitait un modèle économique différent, une croissance en arborescence, modérée, maîtrisable, et avec le moins d’impact écologique possible. S’il présente une des plus belles cartes françaises de thés d’origine et de thés assemblés, sa capacité de production n’est pas extensible à souhait, car il trouve sa matière première (à 98% bio) chez de petits producteurs dont le rendement est celui dicté par la terre. Bref, à la grande distribution, il préfère les niches et l’exception. L’assemblage se fait dans une bétonnière, de façon artisanale. Les fruits bios lyophilisés côtoient des huiles essentielles et extraits 100% naturels provenant d’une société rachetée en 2019 qui fait réaliser son extraction à Grasse. Les mousselines utilisées pour les thés et infusions en sachet sont entièrement compostables, tandis que le séchoir pour plantes médicinales et aromatiques fonctionne avec une pompe à chaleur peu consommatrice d’énergie… Sur le papier, la Fabrikathé coche déjà toutes les cases d’une petite entreprise vertueuse. Mais, profitant de l’installation à Pouilly-les-Nonains, Julien a vu plus grand et a créé « FBKT La Plantation » qui, sur environ 6 hectares, devrait accueillir quelques invités hors-norme : un potager bio destiné aux besoins des salariés en légumes,(dont ils se régalent au moment où je vous parle), un conservatoire à vocation pédagogique, une parcelle dédiée aux plantes aromatiques et médicinales, une autre aux arbres fruitiers, un espace de bouturage des plantes mères et, le clou du spectacle, le point d’orgue de cette conquête raisonnée du sol… 2 hectares de théiers. 5 écotypes de camélia sinensis (théiers) sont plantés pour l’instant en test d’acclimatation mais devraient, d’ici 10 ans, représenter 20% d’autoproduction. L’idée, même si les circuits courts sont déjà une évidence pour la FBKT, est de limiter les importations, de travailler sur les écotypes et de créer tout un écosystème propice à quelques cueillettes impériales en république française. Des ruches devraient également compléter cet ensemble vivant ne demandant qu’à être essaimé.
Qu’est-ce qu’on boit alors ?
Des thés d’origine bien sûr, provenant de 24 pays différents. Du thé noir, un Darjeeling à l’arôme fleuri, un Ceylan corsé et citronné ou encore un Assam sombre et épicé, au thé vert doux, tonique et végétal, du Matcha ou « roi des thés verts », au thé bleu OOlong ou « dragon noir » automnal et malté, en passant par le thé blanc, fait de bourgeons duveteux de printemps. En réalité, les mêmes plantes sont utilisées pour chaque couleur, mais leur oxydation est traitée différemment après cueillette afin d’obtenir des caractères gustatifs multiples et mystérieux. Quant aux grands crus, ou breuvages d’exception, quelques sommeliers aventureux, flibustiers du genre, s’en vont aux quatre coins du monde pour y débusquer les théiers sauvages ou les petits producteurs de cultivars traditionnels. Vient ensuite, pour les inconditionnels des saveurs mêlées, l’étape de l’assemblage artisanal avec des fruits rouges, des pétales de fleurs, des marrons glacés, du caramel, du chocolat, des épices odorantes ou des arômes naturels FBKT (vendus aux passionnés de cuisine maison, chocolatiers, brasseurs, etc. sous la marque « Culinaide »). Chaque recette réunit autour d’une même table un expert en thé, un ingénieur en recherche et développement et un expert en dégustation. Les boissons du monde (Lapacho, Rooibos, Matés…) et les infusions (« J’suis pas du matin », « J’ai trop forcé », « Un pipi et au lit »…) répondent aux mêmes exigences de qualité et de subtilité. Maintenant, c’est à vous de jouer, et d’habiter le rituel, avec ou sans nuage de lait, pour « oublier le bruit du monde » ou trouver la force de s’y jeter, bu très chaud à petites gorgées, ou glacé à l’ombre d’un cerisier, dans un verre à thé marocain ou une tasse brunie par tant de cérémonies… L’idéal étant, comme l’affirme la tradition touareg, de réunir trois conditions pour faire le thé : le temps, les braises, et les amis. Si vous n’avez pas les braises, nous vous souhaitons tout le reste.
354 Route de Roanne
42155 Pouilly-les-Nonains
04 28 72 00 90
www.fbkt.fr
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