Sarment de femme
Le vin s’accorde au féminin. Très bien même. Ça coule de source. Pourtant, les femmes ont longtemps dû compter sur une espérance de vie supérieure à celle de leur vigneron de mari pour mettre la main à la grappe. Tu veux faire du vin ma fille ? Soit veuve d’abord. Après on verra. Françoise Joséphine de Lur-Saluces (Château d’Yquem), Alexandrine Pommery ou Nicole Barbe-Clicquot ont attendu la révérence finale de leurs tendres époux pour faire entrer leur domaine dans l’histoire. Et, il y a 20 ans encore, on pouvait lire devant la cuverie Romanée-Conti : « Interdit aux Dames ». Ben voyons. Si certains grands châteaux viticoles appartenaient à des femmes (Haut-Brion, Margaux, Mouton-Rothschild…), il ne fallait surtout pas le dire car, paix à leur âme, le vin restait une affaire d’hommes. Le serment de la vigne a longuement eu un genre, entériné par la morale bourgeoise. A la fin du XVIIIème siècle, une femme qui boit du vin ne risque plus la peine capitale comme dans l’Antiquité, mais son honneur en pâtit. Plus tard, le savoir-vivre lui interdit de se servir ou de servir les convives, de même qu’elle ne peut jamais dire, en cas de verre vide, « Cher Monsieur de la Plessimonière, je crains fort que les coups soient bons mais rares, vous siérait-il d’honorer ma coupe d’une généreuse rasade de cet exquis breuvage avant qu’il ne me faille sucer cette glace sans grâce et me noyer dans l’ennui plutôt que dans un verre bien mis ?». Jusque dans les coulisses, les femmes sont alors condamnées aux tâches subalternes. Bref. Seul un homme peut se prêter au cérémonial du vin, seul un homme peut l’apprécier et en parler. Sans se priver d’emprunter à sa sensualité un vocabulaire troublant : parfum, jambe, cuisse, robe, rondeur, corps, volume, fesse, douceur, chair souple et soyeuse… Il existe bientôt des vins de femmes, vaporeux et légers (comme leurs pensées), et des vins d’hommes, charpentés et musclés comme des bêtes de somme. Et ce cher Barbey d’Aurevilly d’écrire en 1837 : « Le souper était bon et nous avons passablement bu, mais des vins légers, des vins de femmes, qui s’en vont tout en mousse et ne laissent pas de flamme au front ! Excepté une bouteille du Rhin, ce sang profond et pur d’un astre (soleil) que l’on coule dans son sang de mortel pour doubler la vie et embrasser la pensée. Vin d’homme, il ne doit être touché que par des lèvres viriles et ne circuler que dans de mâles poitrines ». Mesdames, restons calmes, car les choses ont changé, et des bastions sont tombés. Messieurs, réjouissez-vous, le velouté féminin arrive tout en volupté…
Car oui, depuis quelques décennies, des femmes, ni veuves ni héritières, créent leur propre domaine viticole. Logique de l’évolution ou juste retour des choses, elles ne sont plus planquées à l’ombre d’un mari, d’un frère, d’un père. Parmi elles, Stéphanie Guillot, dont les 8,5 hectares de vignes sont installés depuis 2005 sur les pentes du Forez. Comme d’autres, elle brise le plafond de verre et vit sa passion, du vin et du Forez, en l’accordant sans bravade, mais avec beaucoup de complexité aromatique, au féminin. Parce qu’elle le vaut bien.
Vous avez dit hasard ?
Stéphanie Guillot, 43 ans, est née à Feurs et a toujours vécu entre Boën et Sainte-Agathe-la-Bouteresse. Depuis plusieurs générations déjà, la vigne est une histoire de famille. Mais, soit parce que c’est une fille, soit parce qu’elle ne semble pas s’y intéresser, on ne lui montre pas vraiment les différents aspects du métier. Attirée cependant par la nature, et peu encline à poursuivre des études générales, elle s’oriente dans l’environnement au lycée agricole de Ressins. Pour financer un voyage scolaire, elle part faire des vendanges dans le Beaujolais et ose, enfin, poser les bonnes questions. De celles dont les réponses suscitent l’intérêt. Le vers, qui attendait juste son heure, est dans le fruit. Après son bac, elle intègre un BTS viticulture/oenologie à Mâcon-Davayé puis enchaîne les saisons ou remplacements dans des domaines viticoles d’Auvergne, du Roannais (Domaine Sérol), du Mâconnais (Vinsobres) ou des Côtes du Rhône (Tulette). Stéphanie rentre alors chez elle tous les week-ends et, quand vient l’heure de s’installer à son compte… le Forez est un choix évident. Très attachée à sa famille, aux paysages de sa région natale et au terroir qui coule dans ses veines, son retour aux sources commence avec de nombreuses démarches en 2003. L’exploitation viticole familiale étant encore en activité, elle crée la sienne en 2005, seule, même si elle compte sur le soutien de ses parents. Elle a 25 ans et est alors la seule femme vigneronne de la région. Enfin, la seule qui ne soit pas dans l’ombre. Facile ? « J’ai dû consentir à me présenter avec mon petit ami de l’époque, qui n’y connaissait rien en vins, pour convaincre un propriétaire de me louer une parcelle. Une femme seule n’était pas crédible mais il s’est rendu à l’évidence : la vigneronne, c’était moi. Il a accepté de me faire confiance et ne le regrette pas aujourd’hui ». Depuis, 2 autres femmes se sont installées en côte du Forez et la féminisation de la profession est en marche. C’est d’ailleurs une technicienne viticole qui suit l’exploitation de Stéphanie, tandis que 50% des oenologues ont aujourd’hui un palais féminin.
Mise en valeur du terroir
Si les premières années ont été difficiles, Stéphanie a depuis réussi à se constituer une clientèle fidèle, de professionnels (restaurants, Offices de Tourisme, cavistes, supermarchés et magasins de producteurs) ou de particuliers, à agrandir son exploitation et à augmenter son nombre de cuvées. Elle s’est rapidement vue confier des responsabilités au sein des associations interprofessionnelles, comme « La Loire aux trois Vignobles », ou auprès du syndicat viticole. Très impliquée, elle aime valoriser son terroir, fait de coteaux, de montagnes, de produits de grande qualité et de gens attachants. « Et pas seulement de l’AS Saint-Etienne ». Ses 8,5 hectares de vignes, dont 7 en Gamay et 1,5 en blanc Chardonnay et Viognier, sont cultivés dans une démarche raisonnée avant d’obtenir la certification Bio. Stéphanie a en effet réalisé de gros investissements pour opérer sa reconversion qui sera effective dans 3 ans. Depuis plus d’un an déjà, plus aucun intrant chimique n’intervient. Outre la quinzaine de saisonniers sollicités pour les vendanges, elle a longtemps travaillé seule mais vient d’embaucher un ouvrier à temps plein. Elle peut aussi compter sur la solidarité de la profession qui, dans la région, est réellement porteuse de sens. « Nous nous prêtons du matériel, menons des actions communes, et nous entraidons dès que nécessaire. Lors de ma dernière grossesse, mes collègues vignerons sont venus tailler avec moi ». Ainsi, 3 enfants et 16 ans plus tard, Stéphanie referait tout à l’identique pour mettre en valeur son territoire.
8 cuvées en rouge, rosé et blanc
Dans son caveau, une ancienne loge de vigne à Sainte-Agathe-la-Bouteresse, Stéphanie parle avec amour de son travail. Cette femme discrète, souvent seule dans ses vignes, aime aller au contact des gens pour leur faire découvrir son vignoble. Elle propose des visites et dégustations autour de ses 8 cuvées. En rouge (Gamay) : le Sainte Anne, aux arômes de fruits rouges, le Granitic, issu d’une vinification longue et en partie élevé en fût, le Céladon, à la structure équilibrée et joliment fruitée, et l’Opéra, provenant de vignes centenaires, au nez épicé avec une pointe de minéralité. En blanc : un Chardonnay « Plume de Perdrix » aux arômes de fleurs blanches et un Viognier du même nom, au nez expressif et délicat. En rosé : un Saint-Anne typique des Côtes du Forez, et un moelleux souple en bouche. Et s’il ne devait en rester qu’un ? Ce serait Opéra, étoilé sur le guide Hachette des Vins, et dont les vieilles vignes ont été sauvées de l’arrachage. Stéphanie est particulièrement fière de cette petite parcelle dans laquelle elle met, elle qui croit au magnétisme, une énergie particulière. « Cette cuvée, dotée d’une superbe robe grenat, limpide et profonde, livre d’intenses et purs parfums de cassis, de myrtille et de framboise évoluant vers la gelée de mûre… ». Moins de tanin, des vins plus charnus, avec plus de fruits et de matière, de la complexité aromatique, de la rondeur, de la subtilité… la femme, en recherche d’émotion et de plaisir, a beaucoup à apporter à un monde qu’elle influence depuis longtemps. C’est, en tous les cas, ce que les cuvées de Stéphanie nous racontent.
785 RD 1089, La loge des Pères, 42130 Sainte Agathe la Bouteresse
06 82 49 26 44
cave.stephanieguillot@orange.fr