La Femme de Fer
Elle inspire tout d’abord une interjection : Aïe. Puis une deuxième : Waouh. Valides au scrabble, en plus. Même si là n’est pas le sujet. Non, le vif de celui-ci résiderait plutôt dans le « triple effort ». Et, encore mieux, dans le triple effort féminin, qui n’a rien à voir, entendons-nous bien, avec l’inégale répartition des taches domestiques au sein du couple. Nous n’allons pas vous parler de charge mentale, mais de préparation mentale, sachant que l’une n’exclut pas l’autre. Si nous vous disons : 3,8 kilomètres à la nage, 180 kilomètres à vélo et 42,2 kilomètres de course… vous vous doutez bien que nous allons, aussi, vous parler de préparation physique. Les meilleures intentions ou dispositions sportives du monde ne se substitueront jamais à un entraînement titanesque. Et dans la catégorie « Women can », nous avons trouvé, non pas une dame de fer briseuse de piquets de grève, mais une femme de fer villerestoise couronnée à 42 ans du titre de championne de France de triathlon. C’est peut-être moins clinquant que le diadème à 7 piques (pour les 7 océans et continents du monde) de la Statue de la Liberté, mais ça pose quand même les bases de l’endurance au féminin. Et de l’Ironman au féminin, qui, sans trop vouloir m’avancer, devrait pouvoir s’appeler l’Ironwoman. Parce que figurez-vous que Virginie Perrin a concouru son cinquième Ironman, ou triathlon de l’extrême, en octobre 2021 au Portugal, et qu’elle y a décroché non seulement la première place de sa catégorie (40-44 ans), mais également un dossard pour les très sélectes championnats du monde de Hawaï qui auront lieu en octobre 2022. Cette compétition mythique est née en 1977 d’un pari fou lancé par l’ancien capitaine de vaisseau John Collins, qui en avait ras la casquette d’entendre les cyclistes, les coureurs et les nageurs comparer l’âpreté de leurs efforts sportifs.
Il décida donc de mettre tout le monde d’accord en réunissant en une seule et même course les trois épreuves les plus difficiles de l’île : La Waïkiki Rough Water Swim (3,9km de nage), L’Around Oahu Bike Race (179km de vélo), et… Le marathon d’Honolulu (42,195km de course à pied). Manquait plus qu’un accouchement.
Depuis, et de par le monde, le triathlon ne suffit plus. Celui qui se référait tout d’abord à une compétition d’athlétisme comprenant un saut en longueur, un lancer de poids et une course en sprint (Olympiade des Jeux Modernes de Saint-Louis, Missouri, 1904), pour devenir en 2000 la discipline Olympique que l’on connaît, se fait voler la vedette par son pendant extrême. C’est vrai que 1,5km de natation, 40km de cyclisme et 10km de course à pied… ça faisait un peu léger, un peu feignasse. Alors maintenant, on repousse les limites du possible, on fait dire à son corps qu’il est une machine bien huilée, à son cœur qu’il est bien accroché, et à son talon d’Achille qu’il ferait mieux de ne pas trop la ramener. Parfois même dans des conditions infernales : le marathon des Sables (255km en 6 étapes) se déroule en autosuffisance alimentaire dans la chaleur du désert marocain, tandis que le Norseman Xtrem Triathlon se pratique sur distance Ironman dans la rigueur norvégienne (fjords glacés et autres dénivelés sidérants). Une question se pose alors : ces compétiteurs extrémistes sont-ils des cinglés partis en croisade pour l’autopunition ou des super-héros du dépassement de soi, en combi néoprène, mini-short et peau de chamois ? Les autres, je ne sais pas, mais Virginie Perrin ne semble ni siphonnée ni monomaniaque. Ou alors prodigieusement. A vous de voir. Pour moi, c’est tout vu : quand je serai grande, je voudrai faire comme elle. Wonderwoman des possibles.
Bonjour Virginie. Vous êtes aujourd’hui championne de France de Triathlon, et allez participer pour la première fois aux Championnats du Monde de triathlon extrême à Hawaï. Comment se prépare-t-on à une telle compétition ?
Avec une organisation sans faille ! En temps normal, je m’entraîne entre 15 et 18h par semaine. Mais avant une compétition, je passe à 29h d’entraînement hebdomadaire. Il faut une hygiène de vie constante, avec une bonne alimentation et de bonnes nuits de sommeil.
Vous avez un métier ? Une vie de famille ?
Oui, je suis éducatrice spécialisée pour le compte du département, et je suis maman de deux enfants, de 14 et 16 ans. Je suis passée à 80% il y a trois ans, mais les journées sont bien rythmées. Je me lève tous les jours à 5h30 pour aller courir avant que mes enfants se lèvent. Je nage pendant ma pause de midi, et fais du vélo ou du renforcement musculaire le soir. Le week-end, je m’entraîne sur des longues distances. Autant dire qu’il reste peu de temps pour la vie sociale.
Vous avez toujours eu ce rythme là ?
Non. Mais le sport a toujours fait partie de ma vie. J’ai commencé la gym à 2 ans et ai tout de suite eu un tempérament de compétitrice. J’ai fait plus de 10 ans, aussi, de rock acrobatique. En fait, entre 7 et 10 ans, j’ai été repérée pour faire Sport Etudes, mais j’aurais dû partir loin. Et ma maman n’a pas voulu. Ce que je comprends aujourd’hui. Même si j’étais déjà très indépendante, j’étais encore très jeune.
Comment avez-vous découvert le triathlon ?
J’ai commencé à courir il y a dix ans. Au départ, c’était pour m’aider à arrêter de fumer…et j’avais du mal à tenir 15mn. Et puis, petit à petit, j’ai progressé. J’ai couru mon premier semi-marathon, puis j’ai gagné un concours pour faire partie d’une équipe sur le marathon de Paris. C’était deux ans après avoir commencé. J’ai adoré l’ambiance très festive, qui nous porte réellement. Alors j’y ai pris goût et j’ai ensuite participé à de très beaux marathons, notamment celui de New-York qui est mythique ! J’ai très vite cherché la performance, et le dépassement de soi… j’ai appris par exemple à surmonter « le mur du marathon », soit la panne sèche physiologique du 32ème km… Quant au triathlon… j’ai accompagné il y a cinq ans un ami qui participait à l’Ironman de Vichy. Je n’ai fait que l’encourager ce jour-là. Mais je me suis dit : un jour ce sera moi. J’ai tout de suite été admirative de ce sport.
Mais vous pratiquiez déjà la natation et le vélo ?
Pas du tout ! Je n’avais pas fait de vélo depuis l’enfance, et je nageais…mal. Alors j’ai pris des cours et m’y suis mise à fond.
Ok. Donc, pour vous, rien n’est insurmontable…
La preuve que non ! Sur ma 2ème année de triathlon, je participé à mon premier Ironman, en Floride ou je me retrouve dans le top 10 de ma catégorie et 1ère française. J’ai tout de suite pensé que « j’aurais pu faire mieux ».
Et en septembre dernier, vous êtes arrivée 5ème mondiale au championnat du monde challenge longue distance en Slovaquie. Soit une très belle performance. Vous vous entraînez seule ?
Je fais partie du club de Roanne Triathlon, et j’ai un coach personnel depuis 2 ans. Mais 80% de mes sorties se font en solitaire. Sur la côte roannaise pour ce qui est du vélo et de la course. Au Nauticum, au lac de Villerest et de Cublize pour la natation.
Pourriez-vous vous consacrer uniquement au sport ? E d’autres termes, pourriez-vous vivre de vos performances ?
Bien sûr que non. Il y a déjà peu d’hommes pro en triathlon qui vivent de ce sport… alors des femmes, encore moins. Je suis très active sur les réseaux, alors je parviens à avoir des sponsors pour mes équipements, ou à être parfois invitée sur des courses. Mais je ne gagne pas d’argent, et dois financer mes voyages. Nous ne sommes malheureusement pas sur la liste des « athlètes de haut niveau ». Les aides financières sont donc inexistantes.
Dans votre métier (éducatrice spécialisée), avez-vous la possibilité d’associer le sport aux suivis dont vous avez la charge ?
J’aide des personnes dans leur parcours de réinsertion, et j’ai suivi une formation pour être coach sportive. Ça me permet, une fois par semaine, de proposer à celles qui sont volontaires, de s’initier à divers sports. Cela donne de très bons résultats en termes de confiance en soi, ou de confiance en la vie. Je me forme également pour être coach sportive spécialisée en ALD (Affection longue durée). A terme, j’aimerais pouvoir proposer plus d’accompagnement par le sport dans ma vie professionnelle.
Vos enfants sont fiers de vous j’imagine ?
Oui, très. Et j’aime leur montrer ce qu’une femme est capable de faire : tout. Je me suis sentie coupable, souvent, de n’être pas toujours aussi disponible qu’une maman « lambda ». Et la mienne m’a beaucoup aidée. C’est vrai que la société culpabilise les femmes qui mènent tout de front. Pour autant, je crois que mes enfants sont heureux de m’accompagner dans mes choix. Ils seront là pour m’encourager en UTAH pour les championnats du Monde Half Ironman en octobre 2022.
Que peut-on vous souhaiter ?
D’être bien placée à l’Ironman de Hawaï mais surtout de survivre à l’enfer de Kona car cet Ironman est réputé pour être l’un des plus durs au monde. ET puis… je rêve de participer au Marathon des Sables et au Norseman. J’aimerais aussi courir un 100km, nager un 10km en eau libre, et continuer l’ultra-cyclisme (400km en solo…). Ils me font rire avec leur tour de France féminin qui va de Paris en Alsace, sans aucun col et en 8 étapes. Je trouve ça honteux. Comme si une femme n’était pas capable de faire un vrai tour de France. Alors que nous avons, clairement, un mental d’acier. Je me demande d’ailleurs si nous n’aurions pas un truc en plus…