Pôle de Création Artistique
L’école est finie
Mais oui. Mais oui. La rue est à nous, que la joie vienne, on s’amusera quoi qu’il advienne…
Avouons-le, citer Sheila n’est pas souvent une évidence, mais cette ex-école-là vaut bien quelque expérience. De son passé d’instructrice elle conserve les lettres magistrales, sur une façade sans turbulences, les salles de classe en enfilade sans plus de pupitre à graver au lieu de trop bûcher, les sols en carreaux de ciment que des parquets bousculent et sur lesquels tant de petits pieds traînards ont dû se faire savater, la cour encore, bien sûr la cour, qui planque à n’en pas douter de vieilles agates disqualifiées, ou des cartes Crados qui, à leur rythme enfin, redeviennent poussière. Il règne dans cet endroit comme une réminiscence de vers parfois brillamment éclopés, du style «Un pignouf de corbac sur un feuillu planqué, s’enfilait dans la tronche un coulant baraqué», comme un souvenir de lignes à copier ou de déguisement d’abeille pour la kermesse de fin d’année. Il y flotte encore comme une odeur de colle Cléopâtre, à sniffer goulûment pour s’envoyer en enfance, comme un relent de stylo effaceur, comme un bouquet, à l’arôme discutable, du savon jaune sur pivot, à l’hygiène contestable. L’ancienne école maternelle de Mâtel a rangé ses buvards, ses fables et ses comptines. Plus de «en rang par deux», de doudous dans les couloirs ou de sieste obligatoire. Les mini-WC ont valsé, les nez ont arrêté de couler, les cancres de fronder, les futurs forts en thème de se faire chouchouter. Pourtant, la vie ne manque pas dans ce lieu recyclé, qui n’a rien, de rien, d’un navire abandonné. Certes, on n’y apprend plus l’A B C, mais un B.A.-BA tout aussi estimé, et les salles de classe ont troqué leurs jeunes élèves contre des talents bigarrés. Car LeLABO, pôle de création artistique, y héberge des compagnies diverses et variées qui essaiment aux 4 vents d’adroites sensibilités. Cette sorte de pépinière de la scène contemporaine offre un lieu de travail et de résidence aux troupes qui nous préparent une réalité nouvelle. Danse, théâtre, musique et autres œuvres humaines s’y côtoient comme des joyeux drilles, collaborant parfois pour remixer les imaginations fertiles. Ces artistes, passés professionnels du «on dirait que je serais…» des cours de récréation, créent ici et répètent bien au chaud ce que le public verra et entendra demain. Sans premier de la classe ni directives académiques, mais avec, c’est certain, les bonnes ondes enfantines laissées là par une jeunesse mutine.
Nous donnons la parole à Didier Faure, président de l’association LeLABO qui, à grand renfort de «Je est un autre» et «Je suis noir de monde», nous expose la puissance créative de ce lieu partagé, révélateur délicat des plus belles facettes de l’humanité. Avec pour logo un fil rouge reliant des silhouettes en mouvement, leLABO invite à cultiver une raison commune d’être ensemble, et de «ne pas sortir indemne des autres».
Bonjour Didier, vous êtes le président de l’association LeLABO qui gère ce pôle de création artistique, pouvez-vous nous parler de la genèse du projet?
Avant 2018, la compagnie de théâtre dont je fais partie (Groupe Théâtre Lahiine), ainsi que celle de Virginie Barjonet (Danse-Cie Dynamo), étaient hébergées à La Livatte. Il nous a fallu trouver un autre endroit et la Ville de Roanne nous a proposé les locaux vacants de l’ancienne école maternelle de Mâtel, sous forme d’espaces mutualisés. C’est cette notion-là qui a fait germer l’idée d’un lieu partagé entre diverses compagnies. Le lieu s’y prêtait de façon extraordinaire.
LeLABO est donc né en 2018?
Dans cette version oui. Le postulat de départ était de donner vie à un pôle de création artistique et culturelle. Virginie et moi avons présenté le projet à la Ville, qui, le jugeant viable, a suivi et transformé l’école en ERP (Etablissement Recevant du Public), car les normes ne sont pas les mêmes. Aujourd’hui, LeLABO désigne le bâtiment et l’association qui gère, anime et représente le lieu.
Le but est de fournir un espace de travail à différentes compagnies?
Pas seulement. Bien sûr, LeLABO propose des espaces de création artistique, et la plupart des salles sont mutualisées. Leur utilisation est régie par un agenda, qui s’adapte aux besoins des compagnies. Mais la fonction de cette fabrique artistique est également de provoquer des projets communs, des collaborations, une entraide. Les compagnies émergentes peuvent bénéficier de conseils de pairs plus aguerris, et de facilités de diffusion. Ça peut être un tremplin pour elles car il y a une vraie stimulation à être ensemble. Il s’agit en fait, et surtout, d’un vivier culturel foisonnant dans le domaine du spectacle vivant. Et le but est également de tisser des liens avec les institutions du territoire, le théâtre, le conservatoire…
Vous nous disiez que LeLABO était classé ERP… le public est donc convié à des représentations?
Nous ne sommes pas un nouveau lieu de spectacle à Roanne et n’avons pas cette prétention, mais il était très important pour nous de pouvoir proposer des temps de rencontre. Ainsi, un vendredi soir par mois, deux parfois, le public peut venir assister gratuitement à ce qu’on appelle les RDV du LABO.
C’est un moment de présentation par une compagnie d’un «état provisoire de travail», ou répétition publique. Les bénéfices sont réciproques: les spectateurs découvrent la création contemporaine, tandis que les artistes se confrontent à leurs retours avant le lancement du spectacle. L’idée est qu’il y ait un échange, un dialogue et que chacun en sorte grandi. Les compagnies ont l’entière responsabilité de leur production et les dates sont annoncées sur Facebook. L’année dernière, par exemple, nous avons organisé 10 représentations, qui ont eu du succès puisque qu’une cinquantaine de spectateurs étaient présents à chaque fois.
LeLABO a également organisé l’été dernier la troisième édition de «Graines d’Artistes», sur le principe d’ateliers artistiques ouverts à toutes et tous. Vous cherchez de nouveaux talents?
Nous voulons affiner notre projet culturel autour du spectacle vivant et faire en sorte, comme ça commence à être le cas, de développer la communication et la diffusion. Les membres du CA de l’association sont bénévoles mais nous avons pu créer un poste de coordination et salarier quelques heures une jeune femme, Agathe, en charge de notre communication. LeLABO aimerait aussi pouvoir proposer des nuitées aux artistes venant d’ailleurs, et établir par exemple un répertoire d’adhérents qui accepteraient de les héberger.
Dans chacun de nos projets, nous tenons à ce«fil rouge », visible sur notre logo, qui représente la raison commune d’être ensemble. Car voilà la destinée du LABO: vivre de ce que les uns et les autres veulent bien lui donner.
49, rue de Mâtel, 42300 Roanne
lelabo.roanne@gmail.com