ARCHITECTURE CONTEMPORAINE
AUM. L’agence AUM. Pas le son de l’univers. Car attention, n’imaginez pas un brahmane finalement plus doué pour la perspective que pour la vie sacerdotale, ni un yogi n’ayant pu choisir entre les Yoga Sutras et la Théorie de l’Architecture. Pierre Minassian, qui ne m’a rien dit du style «j’ai fait mes kriyas, mes asanas et mes pranayamas et je me sens plein de prana », n’impose à priori aucun mantra à ses collaborateurs pour souhaiter la paix mondiale ou en appeler à leurs plus hautes potentialités. Pourtant, ses chakras semblent présenter un bel alignement, auquel Shiva n’est peut-être pas si étranger que ça. Car si son agence porte le nom de AUM pour des raisons en apparence purement pragmatiques, soit pour abréger Architectes Urbanistes Minassian, force est de constater que cette syllabe, par ailleurs sacrée, augure d’une harmonie qu’il ne peut pas renier. Si l’on considère de surcroît que le AUM est dans l’hindouisme le son de la création et exprime « Tout ce qui a été, tout ce qui est et tout ce qui est encore à venir » … difficile de croire au pur hasard cosmique. Alors oui, Architectes Urbanistes Minassian, d’accord. Ça s’entend. Mais tout de même… quel karma !
Spécialiste de « l’architecture vraie », de celle qui se fond dans le décor et prône l’écriture pure de ce qui a été dessiné, Pierre Minassian semble avoir fait des dimensions hors-normes et de leur interpénétration avec l’environnement une signature, un dogme, presque une école philosophique. Militant quotidien de la possible réconciliation entre l’architecture et la planète, formel opposant aux hérésies écologiques, il cherche, et trouve, lorsque son troisième œil comprend nettement le monde qui l’entoure, comment confédérer construction et démarche écologique. De la maison en équilibre sur un rocher à celle qui s’insère sous une falaise, de celle qui se niche à celle qui semble flotter, de celle qui serpente à celle qui joue avec des fenestrations grandioses… AUM fait de la demeure d’exception une allégorie du cadre qui l’entoure. Un trompe-l’œil habitable, en somme. Adepte des matières brutes autant que des commandes folles, de l’épure sans minimalisme autant que de l’originalité plastique, Pierre dissimule une extraordinaire complexité technique sous une étoffe légère, une fluidité décontractée, une intimité sans fard.
Alors, bien sûr, vous vous doutez que nous avons voulu rencontrer ce prodige de l’architecture contemporaine, et de l’éco habitation en lignes droites, ou courbes, c’est selon. Sans tenter d’échanger, désintéressement oblige, ce modeste portrait contre les plans d’une maison bleue adossée à la colline, ni même contre ceux d’une cabane au Canada. Comme l’aurait dit Bouddha: «Tout ce qui n’est pas à vous, abandonnez-le. Lorsque vous l’aurez abandonné, cela vous conduira à votre bien-être et à votre bonheur». Pourtant, en mauvais bouddhistes que nous sommes parfois, nous n’abandonnons pas l’idée que Pierre Minassian nous fasse un jour signer des plans sur notre comète au bas d’un parchemin. Qui ne tente rien n’a rien. Rester dans nos bicoques et nos passoires énergétiques n’est pas une fatalité, tandis qu’il invente l’habitat de demain et, parfois, l’ère monolithique. Mais pour l’heure, il nous a suffi de contempler ses ouvrages d’orfèvrerie aux formes matricielles pour percevoir la possibilité d’un Nirvana (ou l’état d’extinction de tout désir…). Pour ce paradis-là… namasté.
L’édifice d’une vocation
Pierre est originaire de Roanne. Il fait ses études secondaires au lycée Jean-Puy et se décrit comme un élève en proie aux difficultés scolaires. Un cancre dyslexique qui n’aime rien tant que dessiner. Son devenir universitaire ne semble pas évident. Mais c’est sans compter son ascendance. Car voilà: il est fils d’architecte, et finit par tenter cette voie là. Conformément aux lois de l’univers, qui sont parfois très pénétrables: c’est une révélation. Son goût pour l’art et ses aptitudes manuelles font soudainement de lui un étudiant extrêmement motivé. Il développe un intérêt prononcé pour l’habitat individuel, considéré à l’époque comme le parent pauvre de l’architecture. Son cursus terminé, il ouvre son agence en 1999 à Lyon, pour ne pas marcher dans les pas de son père, avant de créer AUM Pierre Minassian avec Yves Duvernois, en charge de l’agence de Roanne, et Benoît Thomas, en charge de celle d’Oyonnax (ces deux agences se positionnent sur des projets très diversifiés: industriel/tertiaire/marchés publics). Se concentrer sur la construction ou réhabilitation de maisons est alors perçu comme «une perte de temps pour faire carrière». Il s’y attèle pourtant, et pose les fondements d’une architecture engagée qu’il appelle l’architecture vraie, qui fait fi des standards, va au bout de chaque idée et invente ce qui n’existe pas (comme des vitrages hors-normes avec cadres invisibles). Puis soudain arrive la mode des maisons contemporaines et le voilà placé sur le devant de la scène, surexposé dans les revues spécialisées. Cette déferlante médiatique se fait également l’écho des distinctions et des nombreux prix successivement remportés par l’agence, comme le Grand Prix d’Architecture en 2010 pour «La Maison Biscuit» ou le classement en Monument Remarquable de «La Maison au Bord du Lac». Depuis, et sollicitée
pour des projets publics (Pierre travaille actuellement sur le concours de la piscine de Roanne) et privés d’envergure, AUM est une figure installée de l’architecture contemporaine.
Valeurs et influences
Pierre, dont la branche maternelle comptait des exploitants forestiers, se souvient s’être souvent baladé enfant dans les forêts du Jura. De ces longues heures passées au pied d’individus séculaires, il conserve une passion pour la nature en général, et les arbres en particulier. Il accorde aujourd’hui une importance primordiale à une approche environnementale de son métier et assume cette idée folle, ou cette utopie, de vouloir réconcilier l’architecture et la planète. L’urgence climatique est là et, considérant que les choses ne changent pas assez vite, Pierre travaille sur de nombreuses études, comme il a collaboré à l’élaboration du procédé GBE (un procédé breveté qui permet de réaliser des murs béton coulés en place, à isolation intégrée). Ses projets de bâtiments autonomes en énergie s’inscrivent dans une démarche écoresponsable, intègre et sans compromis. Il affectionne par ailleurs les matériaux bruts, le béton,
la pierre, l’acier, le verre, qui donnent à son style une identité forte. Admiratif de maîtres du genre ou de certains de ses contemporains, comme Mies Van der Rohe, Marcio Kogan ou encore Fran Silvestre, il n’en trace pas moins sa route propre : celle d’une architecture épurée et recherchée, qui permet de vivre au rythme de la nature. Également influencé par l’art, il cherche l’harmonie dans les volumes, la transparence, les lignes pures. Et fait du dialogue avec le site d’implantation une expérience intime et feutrée.
Le design magistral
Parmi les réalisations de AUM, il en est une dans laquelle Pierre a été particulièrement, et personnellement, impliqué : La Maison Biscuit, située dans la région de Lyon, aux abords d’une réserve naturelle non constructible. Elle tire son nom de la forme des pièces de bois composant le brise-soleil qui recouvre l’une des façades. Pierre a passé plus de 200 heures à fabriquer, dans le «labo» de l’agence, ce rideau de bois ayant à la fois un rôle thermique et esthétique. Cette maison est un parallélépipède de 23mx7m de 2 étages,
construit, comme accroché à la pente du terrain, en béton, métal et verre. Puisque nous ne pouvons ici toutes les décrire, ces demeures exceptionnelles, sachez qu’un ouvrage le fait à la perfection, « AUM Pierre Minassian Architecte », par l’auteur Dominique Amouroux, aux éditions Jean-Michel Plasse. Un livre de 300 pages qui, dans une écriture accessible aux publics sensibles à l’architecture, retrace un parcours s’étendant des berges du Lac Léman aux rives de la Méditerranée, du centre historique de Lyon aux hauteurs alpines. Gageons qu’un autre sortira dans 20 ans, car Pierre est tout juste quinquagénaire et est loin d’en avoir fini avec l’architecture des temps nouveaux. Ses filles, d’ailleurs, n’ont pas cherché midi à 14h et leurs études, entamées, sont cousues de fil blanc. Il est, ma foi, des déterminismes professionnels moins enviables, ou d’autres karmas dont on se passerait volontiers.
Lyon: Pierre Minassian, 2 Allée du Valvert, 69160 Tassin-La-Demi-Lune.
04 78 28 80 35. agence-lyon@aum.fr
Roanne: Yves Duvernois, 34 Rue Raoul Follereau.
04 77 72 15 15. agence-roanne@aum.fr
Oyonnax: Benoit Thomas, 45 Bd Louis Dupuy.
04 74 77 42 65. agence-oyonnax@aum.fr