Ecomusée
Et au milieu coule une rivière…
Depuis la nuit des temps, un homme ne sert plus à grand-chose une fois sa femme devenue veuve. Exception faite peut-être du XVIIème siècle, puisque c’est celui qui nous intéresse en préambule. Car c’était alors en rendant l’âme à un illustre inconnu qu’il la libérait, souvent à l’insu de son plein gré, de la puissance maritale sous laquelle les épousailles l’avaient placée. Ainsi, ayant enfin recouvré sa capacité juridique et la maîtrise de son patrimoine, Louise Pauche aurait pu faire, en l’an de grâce 1633, la veuve joyeuse de Maître Antoine Chalon Malescot, si elle n’avait été redevable aux chanoines du chapitre de l’église Notre-Dame de Montbrison d’une somme d’argent que feu son mari ne lui avait pas laissée. Vertubleu, quelle friponne de vie ! La veuve est certes l’avenir de l’homme, mais celle-ci le fut sans être bien longtemps maîtresse du domaine de Malécot, qui dut être vendu et morcelé. Parmi les propriétés concernées : le Moulin des Massons, qui, en 1181, était déjà lieu de meunerie et possession des Comtes de Forez : nommé alors «molendino Castelli novi » d’après le cartulaire des Francs fiefs du Forez, ce « Moulin du château neuf » contribua à financer la Commanderie des Hospitaliers de St-Jean de Jérusalem à Montbrison, alors érigée capitale des Comtes de Forez. Ce Moulin prit ensuite le nom de « Moulin des Maczon » avant de devenir « Moulin des Massons ».
Discrètement installé au fond de la vallée du Vizézy, à 900m d’altitude sur la commune de Saint-Bonnet-le-Courreau au cœur des Monts du Forez, ce bien de labeur appartint longtemps à des nobles ou bourgeois qui ne visitaient leur domaine qu’à la belle saison (Hiéromyne de Chénereilles veuve de Vimal Lajarrige d’Ambert en a été la dernière propriétaire à particule). Le moulin était alors loué à des fermiers et meuniers, qui ont dû voir beaucoup d’eau passer sous les ponts, et ce ne fut qu’en 1839, quelque 50 ans après une révolution à double tranchant, qu’apparut le premier propriétaire exploitant, sans particule ni bleu dans le sang : Jean-Baptiste Chaperon, « cultivateur et meunier au lieu des Massons ». Auparavant granger au Château du Chevallard, marié à Jeanne-Marie Masson qui porta leurs 10 enfants, il connut donc une consécration, après une vie d’efforts commune à tout individu « de basse extraction ». Et c’est ainsi que les ancêtres de nos hôtes commencèrent à graver leur nom sur les linteaux, ou leurs initiales pour tout blason, entre des petites croix de protection en appelant à la bonté divine. Ensuite, et par le truchement des alliances puis du fruit de leurs entrailles, vinrent s’ajouter d’autres patronymes, dont celui de Peyron, porté aujourd’hui par Jean-Yves et son épouse Jeanine qui, depuis 1972, font revivre, via une association, un hameau et ses moulins, tout autant que cette chair de leur chair qui les a précédés.
Voici donc l’histoire peu commune, et en dehors de toute considération mystique, d’une résurrection bien huilée et d’une culture locale renouvelée, entre une rivière née dans une tourbière et quelques pentes escarpées. L’histoire de moulins et d’étables séculaires qui font aujourd’hui un écomusée, comme un pari gagné. L’histoire de biefs, de canaux qui servent à conduire les eaux, de sentiers liquides bordés d’herbes hautes, gardiens d’un patrimoine et d’un dialogue intime entre la nature et l’homme.
La mémoire des murs
Lorsque Jean-Baptiste Chaperon rachète le domaine des Massons en 1839, celui-ci n’a été que peu entretenu depuis la révolution. Lui et ses descendants restaurent donc petit à petit les différents bâtiments qui le constituent : le moulin à chanvre, le moulin à farine, l’huilerie, les diverses étables, écuries, granges et la maison d’habitation. Il faut dire que la période est propice à la meunerie, et aucun village situé au bord du Vizézy ne résiste à la tentation de moudre son grain. Des vies simples et laborieuses s’égrainent de génération en génération, entre le travail de la ferme, des moulins, et celui de la scierie bâtie début 1900 tout contre le « Tré d’iol » (du patois « moulin à huile »). Une activité intense et diversifiée règne encore au sortir de la seconde guerre mondiale, jusqu’à ce que l’industrialisation y mette un terme et fasse tomber en désuétude un patrimoine chargé d’histoire. Exit le petit car Citroën pour se rendre au marché de Montbrison, que Philomène, grand-mère d’avant-garde, conduisait de main de maîtresse. Exit la pompe hydraulique et la presse, le ramassage de feuilles de hêtre qui garnissait les paillasses de couchage, les veillées en patois et les jeux d’enfants dans le petit bief du bas. Et, de tous les moulins du Vizézy, ne restent bientôt plus que des meules ne broyant que du noir, des pierres malheureuses comme elles seules, des rouets sans avenir et des engrenages sans espoir. Jeanine et Jean-Yves Peyron réinvestissent pourtant Les Massons en 1972, pour y faire, avec leurs enfants, leur résidence secondaire d’abord, leur résidence principale ensuite, dès 1980. Les travaux de restauration sont d’envergure et de longue haleine, mais Jean-Yves, plombier de métier, a dans l’idée d’en faire un jour un site touristique où raviver la mémoire de ses ancêtres. La rénovation de l’ensemble des bâtiments s’achève en l’an 2000 par un couronnement au concours du Patrimoine Forézien. L’association « Au tré d’iol » est créée en 2002 pour mettre en forme un projet de musée, sous la présidence d’André Laurent et, en 2004, l’écomusée du Moulin des Massons ouvre ses portes au public. Jean-Yves, fraîchement retraité, réapprend les gestes enseignés par son père et les démonstrations de fabrication d’huile commencent. Tandis que les murs se souviennent.
La concordance des temps
Tout s’est mis en place pour conjuguer au présent des savoir-faire immémoriaux : une salle d’exposition, une boutique de produits locaux (dont ceux du moulin), des visites guidées durant lesquelles on assiste à la fabrication artisanale d’huile de colza grillé, de noix, de noisettes et de pépins de courges, des animations variées… Le hameau du Moulin des Massons, entre bosquets et pâturages, est aujourd’hui ouvert de février à novembre pour les familles, les groupes, les personnes en situation de handicap (Label Tourisme et Handicap), le jeune public et les scolaires. Une quarantaine de bénévoles actifs se partagent les tâches (accueil, guidage, fabrication de l’huile, aménagement paysager…), avec 2 salariés à temps plein, dont un des fils du couple, secondés en été par des saisonniers. Entre 10 000 et 12 000 visiteurs sont attendus chaque année, séduits tout autant par la beauté des lieux, leur architecture remarquable, que par ce développement local inspiré de savoir-faire d’antan. Rien n’est laissé au hasard pour que l’expérience soit à la fois inclusive, immersive, culturelle et gourmande. On y découvre un patrimoine et sa richesse, une micro-centrale produisant l’électricité pour l’éclairage et le chauffage des bâtiments, on assiste aux démonstrations d’un moulin entraîné par un rouet métallique remis en état de marche en 2003, d’une scie à ruban installée en 1903 pour compenser la concurrence des minotteries industrielles subie par le moulin à farine, on apprend le fonctionnement de cette force hydraulique et providentielle, puis on goûte aux fruits de ce travail qui ne l’est pas moins. La boutique s’en fait la vitrine avec ses huiles vierges et farines de tourteaux, ses souvenirs et autres produits locaux. Pour les petits et les grands, des Enquête Game se pratiquent en itinérance à partir de l’écomusée ou autour du moulin, et de nombreuses animations ponctuent l’année (fête du pain en mai, fête du moulin en juin, journées du patrimoine en septembre, etc.). Les 20 ans du moulin ressuscité seront d’ailleurs célébrés le week-end des 29 et 30 juin. Au programme : concert, animations, chorale, manège écologique, etc.
L’huile du Vizézy
En 1942, sous l’occupation allemande, un contrôleur fait poser des scellés sur les machines de l’huilerie, décrétant qu’elles sont trop vétustes pour fonctionner. La décision est donc prise, par Jean Peyron, grand-père de Jean-Yves, d’agrandir et de rénover. La surface du moulin est doublée et un matériel de seconde main est racheté à un meunier qui cesse son activité. Depuis, rien n’a changé, ni la meule qui écrase finement les graines ou les fruits secs, ni la poêle chauffée au feu de bois qui prépare la mouture, ni la presse qui en extrait l’huile, décantée avant d’être mise en bouteille, encore moins le monte-sac ou la vieille dynamo qui produit toujours du courant continu, comme en 1920. Tandis que, par une trappe, on peut observer le détournement momentané de l’eau du Vizézy dont le bouillonnement permet d’actionner une roue horizontale, laquelle transmet sa rotation à des engrenages, transformant ainsi l’énergie hydraulique en travail mécanique. Dans un bâtiment adjacent, une turbine Francis, (remplacée en 1980), utilise quant à elle cette même énergie pour produire de l’électricité, pas suffisamment certes pour que le hameau soit totalement autonome, mais assez pour que cette micro-centrale ait le mérite d’exister. Le Moulin des Massons, dans son entièreté, nous invite à nous réjouir de ce renouveau, de cet héritage, qui, comme des promesses tenues, défient les siècles et l’oubli, réveillant des pierres léthargiques et les gestes de nos aïeux.
Le moulin est ouvert les week-ends, jours fériés et pendant les vacances (consulter les horaires sur le site Internet).
La boutique et l’Enquête Game fonctionnent tous les jours de 9h à 18h.
Les groupes sont reçus tous les jours sur réservation, et toutes les visites sont guidées.