Directrice du Conservatoire
de Roanne Agglomération
Musique, Danse, Théâtre : le goût des autres
L’art doit-il être accessible à tous ? Tiens tiens… ça donnerait presque envie de ressortir ses cours de philo, les sujets du genre « peut-on se soustraire au temps ? », « le langage trahit-il la pensée ? » et autres « qu’est-ce que créer ? ». Exhumer les cahiers de terminale, d’hypokhâgne, de khâgne, sur lesquels nous grattions à la hâte, sans autre forme d’hommage, les concepts de vieux hommes, majoritairement barbus, sur les grandes questions de la métaphysique. Se souvenir alors, en sortant d’une amnésie post-vie d’adulte, que l’allergie de la caverne nous avait bien fait marrer juste avant que son allégorie ne nous fasse ventiler, entre un « pléonasmes levez-vous ! » d’un prof visiblement plus épicurien qu’ascète, et un « M’sieur, est-ce que c’est l’homme qui prend la mer ou la mer qui prend l’homme ? » d’un étudiant momentanément plus attiré par les arts du spectacle que par une métaphore du chemin menant à la connaissance. Car quand arrive sur la table le thème de l’art et de sa proximité avec l’élite, dont le lien de parenté avec le mot « élu » est troublant, alors oui, je me revois malgré moi sur une chaise instable, devant un pupitre constellé d’œuvres phalliques et de déclarations mémorables, à accorder toute ma concentration matinale, faite de café noir et de « faut que j’arrête de me coucher tard », à un prof en pantalon de velours marron qui se moque tout autant des diktats de la mode que du bien-fondé de sa réflexion du jour, que dis-je, de l’aube : est-il absurde de désirer l’impossible ? Pour le meilleur et pour le pire, d’autres questions nous assaillent aujourd’hui de bon matin, et les cours en amphi sont bien loin. Mais il en reste toujours quelque chose. Des souvenirs de révélations ou de bâillements. Des phrases. « L’amour est une illusion pour perpétuer la race ». « Le beau est ce qui plaît universellement sans concept ». Des fulgurances parfois, des platitudes souvent, mais, quoi qu’il en soit, une souplesse de la pensée et une ouverture au monde pour qui a bien voulu s’y intéresser. Et ce même si, jamais au grand jamais, nous ne saurons écrire Nietzsche correctement sans verser des larmes de sang.
Revenant, ce faisant, à nos moutons, et à cette question, aussi philosophique que politique : l’art est-il réservé à une élite ? Si oui, il ne devrait pas, ou ne devrait plus. Et justement. Le Conservatoire Roannais Agglomération s’inscrit dans le respect du droit, pour tous, à l’accès à la pratique artistique. Il rayonne aujourd’hui sur 40 communes et assure à la fois un enseignement spécialisé auprès de ses élèves en musique, danse et théâtre, mais également un programme d’actions territoriales auprès des écoles, des réseaux socio-culturels et médico-sociaux. Sa directrice, Pascale Amiot, dont l’évolution personnelle et professionnelle est au diapason de cette inclusion en toute mixité, nous a parlé de son parcours et de ce lieu de vie créatif qu’est devenu notre Conservatoire depuis son arrivée en 2016. Ces deux là étaient faits pour s’entendre et, si le destin met beaucoup de hasard dans son jeu, il n’y en a pas dans cette rencontre.
Bonjour Pascale. Vous êtes saxophoniste, professeure de musique et, depuis 2016, directrice du Conservatoire. Quel cheminement vous a amenée à ce poste ?
- Tout est intrinsèquement lié. En amont de mes fonctions d’aujourd’hui, ma démarche d’artiste a toujours été habitée par la mixité, l’écoute de l’autre, la nécessité d’une culture traversante et d’une création participative. L’art est une matière très vivante qui doit créer du lien. L’agglo voulait justement démocratiser l’apprentissage par plus de collectif et s’axer sur l’ouverture artistique du Conservatoire. J’ai donc saisi ma chance de pouvoir conceptualiser ce que j’avais vécu, de croiser mon expérience avec une réalité de territoire.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de sa cohérence intellectuelle avec vos fonctions d’aujourd’hui ?
- Je suis née dans une famille d’enseignants, passionnés par l’art. Ma mère est aquarelliste, mon père enseignait la musique à Villars-les-Dombes et était saxophoniste de jazz en amateur. J’ai donc commencé la musique très tôt, la clarinette et le saxophone, puis j’ai rapidement intégré un orchestre intergénérationnel. J’ai étudié au Conservatoire à Lyon, puis Boulogne et Paris, et rencontré de fabuleuses figures pédagogiques qui m’ont permis de résoudre l’équation musicale, ou comment comprendre le sens de la musique (Alain Louvier, Claude Delangle, Anne Le Forestier…). Chaque jour m’offrait son lot de découvertes, de révélations. La création contemporaine ne m’a jamais quittée depuis. J’ai passé les concours institutionnels et suis devenue enseignante. En parallèle, j’ai intégré l’Orchestre de Lyon pendant de nombreuses années. J’ai pu rencontrer de grands chefs d’orchestre (Emmanuel Krivine, David Robertson, Jun Märkl…). J’ai aussi travaillé pendant 20 ans avec Les Percussions de Treffort, une compagnie qui compte des musiciens porteurs de handicap, et généré beaucoup de rencontres artistiques : Percussions de Stasbourg, Louis Sclavis… Non pas comme un chant social mais pour un véritable enrichissement par la création. Et bien d’autres choses encore… comme avec l’Opéra Coté Court avec Martine Meirieu…aux Minguettes.
Vous avez donc exploré une autre manière d’enseigner et de faire de la musique ?
- Oui, je suis convaincue qu’il faut faire de la
culture un projet mixte et démocratique. L’enseignement des arts, que l’on parle de musique ou autre, ne se fait pas à la baguette. L’exigence se cultive par le sens que l’on donne aux choses. C’est dans la joie, la convivialité et le partage que l’on motive les élèves, par les rencontres avec les artistes ou des œuvres. Par exemple, mon expérience avec des musiciens porteurs de handicap m’a appris à lâcher ma partition, à laisser place à l’improvisation et à l’invention. Et cela ne signifie en rien une réduction de l’exigence. L’apprentissage véritable commence lorsque l’on sort de l’autoroute pour emprunter les chemins de traverses, avec curiosité et simplicité. C’est un changement de posture.
Et vous êtes devenue directrice de Conservatoire…
- Un poste auquel les femmes sont encore trop peu promues… J’ai passé le concours à 45 ans et ai été nommée responsable du secteur Musique Instrumentale du Conservatoire de Nanterre, avec un projet urbain ancré socialement. J’y suis restée 6 ans. Jusqu’à mon arrivée à Roanne en 2016, avec une feuille de route très stimulante : fédérer un réseau d’établissements complémentaires et démocratiser l’enseignement. Ma proposition s’est traduite par la création d’une saison culturelle pour donner une place importante aux artistes et du sens à chaque projet d’apprentissage, par des échanges avec le théâtre ou d’autres structures culturelles comme la médiathèque, la Cure, le festival Cinécourt Animé…, par des rencontres avec les groupes de pratique amateur dans tous les domaines artistiques, etc … Pour accompagner la création d’un Conservatoire territorial de 40 communes et 4 écoles associatives, pour proposer une saison culturelle dense et une offre variée d’apprentissage de la musique, de la danse, du théâtre, pour tous les âges et tous les niveaux.
Avez-vous la sensation d’avoir accompli votre mission ?
- Nous sommes en tous les cas en chemin pour y arriver. La plupart de nos enseignants sont en recherche pédagogique avec des remises en question régulières, ils travaillent ensemble pour susciter l’intérêt des jeunes et créer des passerelles entre les époques pour faire connaissance avec le patrimoine et s’engager dans la création… Ils se passionnent pour le fonctionnement du cerveau dans l’apprentissage. Nous savons aujourd’hui qu’il ne s’agit pas uniquement de stocker de l’information mais bien de stimulation et de plasticité cérébrale. C’est également exceptionnel pour une ville moyenne que de mettre en place un tel rayonnement. Que ce soit en musique, en danse, en théâtre, en comédie musicale ou en composition pour le cinéma, différents cursus sont proposés et les disciplines artistiques dialoguent entre elles. Tout le monde a sa place, des adultes débutants aux amateurs, des petits aux jeunes qui souhaitent se professionnaliser, en passant bien entendu par les artistes qui sont au cœur de notre projet pédagogique et artistique… C’est le cas de la compagnie « Les Transformateurs », en résidence pour la deuxième année consécutive. Les répétitions ont d’ailleurs commencé pour le spectacle urbain « Les Identiques » qui se jouera dans les rues piétonnes de Roanne le 25 mai, avec 20 élèves du Conservatoire et 10 amateurs du territoire.
Votre vie artistique continue-t-elle en lien avec le Conservatoire ?
- Bien sûr ! Encore une fois, tout est lié. J’ai joué ce printemps au Musée Déchelette dans le spectacle « Cultivez le désir » et pendant le Festival de la voix « Le cri du Roa », j’ai participé à la création de la compositrice Anne Schlünz pour les Mômeludies, éditeur de répertoire pour les enfants, etc.
Que peut-on vous souhaiter ?
- Que la saison culturelle du Conservatoire continue à être aussi riche d’échanges et de partenariats, que toutes et tous puissent vivre l’expérience personnelle de création artistique, que les talents se révèlent dans ce formidable espace de liberté d’expression. Il faut que les œuvres viennent frapper directement à nos portes pour nous rappeler que l’art doit être accessible à tous.
Renseignements du lundi au vendredi de 15h à 19h