Artiste Céramiste
De Grès et de Féminité
Et si, pour une fois, nous parlions de féminité, pour désigner non pas l’ensemble des caractères stéréotypés correspondant à l’image traditionnelle des femmes, mais la nature humaine dans sa globalité ? La féminité comme terme générique, sans distinction de genre, pour nommer l’humanité. Celle qui est née poussière et poussière redeviendra, et qui, entre ces deux états qui se mordent la queue, fait bien ce qu’elle peut. Un femmage, pour changer de l’hommage, à la puissance de vie, dans ce court laps de temps qui nous est imparti, à cette terre qui finira bien par nous étreindre, quelle que soit notre obédience et quelles que soient nos offenses. Car devant ces sortes de divinités, de grès et de virtuosité, le féminin l’emporte, bien qu’elles se déclarent, par la volonté de leur créatrice, asexuées. C’est un parti pris, sûrement, que de bouleverser, le temps d’un article, les codes de la sémantique en ne plaçant plus l’homme, mais la femme, au cœur de l’universalité. Mais c’est ainsi, et il faut aux détracteurs de la langue inclusive souffrir que tout dans ces œuvres évoque davantage un féminin sacré qu’une nature humaine sacrément accablée. J’y vois moi la force de la résilience, et pas celle de la domination, un germe de pouvoir nouveau, décorrélé de toute notion de compétition, une sensibilité agissante, au-delà d’une vision matérialiste du monde. J’y vois ce qu’il nous faut endurer, d’empêchements et de blessures, de tourments et de déchirures, pour accéder à notre vraie nature, nous autoriser la rémission et la plénitude. J’y vois l’art de l’ecchymose, de l’éraillure et de l’âme au beurre noir, dont on fait des trésors d’empathie et, finalement, les plus belles trajectoires. J’y vois l’enfance, dont il faut bien parfois se remettre, les traumatismes transgénérationnels qui nous collent à l’existence comme des squames aux vêtements, les liens du sang qu’il faut élucider avant de s’en défaire ou de les cultiver. J’y vois les choix à faire pour se tirer vers la lumière, les thérapies narratives pour réparer l’intime, et tout ce que l’amour peut amener d’éclaircie. J’y vois les contractions, l’enfantement, une mise en demeure de vivre, et la libération, comme une catharsis. J’y vois la création au service du salut, la maternité au service de l’estime, et un espoir olympien confinant au divin.
Lydie Thonnerieux a fait du grès, noir ou blanc, une matière à sculpter des personnages en état de grâce, qui portent en eux autant de mémoire lourde que de promesses légères. Elle nous parle d’enfance et de sentiments, de grandeur et de fragilité, de cicatrisation et de sérénité. De parole sacrée qui nous dit « ça va aller », de renaissance et de cœur battant sous une poussière dorée. Elle se répare à chaque plume modelée et trouve, à chaque œuvre enfantée, un peu de cette lumière dont poudrer nos chemins cabossés.

L’ENFANCE DISSIDENTE
Lydie est née à Lyon, l’année des barricades et de « sous les pavés, la plage ». Elle grandit avec deux sœurs dont elle partage la chambre, dans un appartement exigu où la cacophonie a instauré son règne. D’un tempérament sportif, en mouvement constant, limite hyperactive, elle se sent engoncée dans des murs étriqués et passe le plus clair de son temps à l’extérieur, histoire d’ensemencer son jardin intérieur. Sa terre est fertile et son imaginaire la porte, elle qui se sent intruse dans ce tintouin familial. Sa mère est peu cajoleuse et son père, un écorché vif, s’enferme de longues heures pour peindre et sculpter, sans jamais partager. Elle s’imprègne cependant de cette forme d’expression, ou d’exutoire, et crée autant qu’elle peut. A 18 ans, c’en est trop et, en rébellion contre le manque d’amour, elle quitte la maison et s’installe en colocation. Les petites filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent. Alors, sans que ses parents ne soient au courant, elle passe le concours des Beaux-Arts et est acceptée. Elle y va parfois en dilettante, l’esprit buissonnier toujours en bandoulière, mais elle obtient cependant son diplôme d’Arts Plastiques. Surtout, elle se forge durant ces années des amitiés solides, et trouve en ses comparses des mères de substitution, une famille choisie qui, depuis lors, la réchauffe et la sustente. Elle anime des ateliers pour la Ville de Lyon et rencontre son mari, devenu ex depuis. Mais l’heure n’est pas à la rupture, elle est à la construction. Celle d’un foyer au sein duquel elle se jure d’aimer beaucoup, beaucoup, beaucoup, ses enfants.


L’ÉCHO DE LA TERRE
Il l’atteint il y a longtemps, lors d’un voyage dans le Péloponnèse où elle rencontre une artiste céramiste. Elle se forme à son retour, car la technique ne s’invente pas, et abandonne alors la résine époxy qu’elle utilisait pour créer des personnages en tissu et fil de fer. Elle commence par des enfants joufflus, qui grandissent, il faut croire, en même temps qu’elle, ou en même temps que les siens, qu’elle aime, comme prévu, beaucoup, beaucoup, beaucoup. Avec une amie artiste, elle expose pour la première fois, il y a 16 ans, à Saint-Martin-en-Haut. Le succès remporté l’incite à poursuivre dans cette voie. Un ami sculpteur, Sébastien Chartier, lui parle alors des ateliers de créateurs de la chapellerie de Chazelles sur- Lyon. La céramique rentrant dans la nomenclature des métiers d’art, elle postule et est retenue. C’est ainsi que Lydie arrive parmi nous pour sept années magnifiques passées au sein de cette pépinière. Elle y côtoie des artistes engagés et ambitieux qui la poussent sur le chemin de la confiance. Très intéressée par l’art thérapie, elle intervient en parallèle auprès de malades psychiatriques de l’hôpital Saint-Jean de Dieu à Lyon.
Elle y développe de vrais projets avec les patients, qui nourrissent son travail et lui rappellent sans cesse que la frontière entre la sanité d’esprit et la pathologie mentale est ténue. En 2012 est créé, sous l’impulsion de Sébastien Chartier, le Collectif des Créateurs des Monts du Lyonnais, qui regroupe neuf artistes locaux animés par des valeurs communes de partage et d’amitié, et dont le but est de promouvoir l’art contemporain en milieu rural. Lydie y a, bien entendu, toute sa place. Elle la prend avec générosité, et participe depuis de ce dynamisme régional à l’origine du Salon d’Art Actuel qui chaque année réunit sur le site de la chapellerie une vingtaine d’artistes professionnels issus d’horizons variés. La onzième édition, dont nous vous parlons dans le « A la Une » de ce numéro, se tiendra d’ailleurs du 30 novembre au 8 décembre… l’occasion de rencontrer cette artiste, oh combien sensible, qui fait son chemin en marge de l’académisme de la céramique. Elle a aujourd’hui installé son atelier dans sa maison de Chazelles, un lieu éminemment bohême, où elle propose des ateliers de « mieux-être » par la création artistique. Elle y vit avec son mari Laurent, qui partage son goût de la lecture, des sciences cognitives et de l’exploration du sens de la vie. Elle anime depuis peu des « ateliers terre » à Champdieu, et ces expériences sont autant de va-et-vient joyeux entre son propre élan créatif et celui de ses élèves.

LES ŒUVRES SACRÉES
Son travail est attendu. Par les galeries qui l’accueillent, comme La Femme à Barbe à Saint-Etienne ou Les Souliers Rouges à Nantes, par certaines boutiques spécialisées, comme celles de l’association Ateliers d’Art de France ou La Boutique Talents à Paris, par les salons auxquels elle participe ainsi que par quelques marchés de potiers choisis.
Lydie travaille beaucoup sur commande, avec du grès souvent, du bronze parfois, et laisse alors la possibilité d’intégrer à ses créations des symboles qui nous sont personnels. Chaque œuvre naît lentement, en respectant des étapes qui ne sont pas sans rappeler celles que, dans la vie, l’équilibre ou la connaissance de soi exigent. Son point de départ est un bloc de terre, noir ou blanc, « chamotté » ou non (la chamotte est une argile calcinée à haute teneur en alumine), qu’elle devra creuser et percer pour éliminer les bulles d’air susceptibles d’exploser dans le four. Elle modèle et sculpte à la main, s’aidant parfois de petits outils de potier ou de bidules inventés. Elle cuit ses personnages à 1240°, puis les patine ou les engobe (les engobes sont, comme l’émail, des recettes chimiques qui permettent de colorer les céramiques), avant de les laisser sécher deux à trois semaines. Il y a parfois des accidents, dont son jardin et son atelier sont parsemés. De jolies têtes graciles, séparées de leur corps par les excentricités d’une matière rebelle parfois réfractaire à la cuisson, qui ont, par leur défectuosité apparente, gagné leur place au paradis de la sérendipité, ou l’art de saisir des opportunités qui surviennent fortuitement. Cette terre à sculpter, à la fois refuge et matrice, est pour Lydie source d’humilité. Il faut savoir amadouer sa force primordiale, accepter l’inattendu, danser avec lui sur une corde raide et, comme dans nos existences, jouir de la beauté sacrée de la résilience.


77 rue de Lyon
42140 Chazelles-sur-Lyon
06 48 65 62 29