Si on nous avait dit, dès le début, qu’il faut manger 5 fruits et légumes par jour, que la terre est ronde et que « colonisateur » ne fait pas très classe sur un C.V., peut être n’aurions nous jamais découvert les Amériques et le chocolat. Isabelle de Castille aurait été dopée au gaspacho, d’une humeur de reine grâce à ses apports en vitamines, et n’aurait peut être pas mis un billet sur l’expédition de Christophe Colomb. Qui, lui, en bon italien, se serait contenté d’inventer les pâtes et les sucres lents, au lieu d’aller pleurer dans les jupes d’une espagnole pour partir, sans GPS, naviguer sur les flots. Les Aztèques auraient pu continuer à adorer leur serpent à plumes en sirotant un cacao, et les Apaches leur Dieu créateur dans un état proche de l’Ohio. Il n’y aurait pas eu, alors, de dernier Mohican et, qui sait… Auguste Pralus, sans vanille, ne serait peut être pas devenu Meilleur Ouvrier de France tout comme les barres infernales de son fils François n’auraient tout simplement pas existé.
Seulement voilà, en 1492, le gras était bien vu par les cardiologues, les épices coûtaient un bras, l’or et l’argent, les actions Total de l’époque, venaient à manquer, et il fallait bien vérifier si la terre finissait, ou non, en piscine à débordement. Alors, pour le meilleur et pour le pire, nous sommes partis sur la route des Indes.
Concernant le meilleur, Auguste et François Pralus sont bel et bien devenus ces alliés controversés des hanches féminines ou des ceintures abdominales masculines, ayant toujours, en bienfaiteurs prodiges des papilles et des pupilles, un stock d’endorphines et de péchés capitaux dans leurs vitrines. Il fallait bien, admettons-le, mettre un peu d’ordre dans tout ce déballage de tentations, et graisser la patte de l’OMS, qui ne s’est jamais contentée de l’argument des fruits secs dans la Praluline ou des agrumes dans le cake aux oranges confites. Hugo Pralus, 26 ans, qui incarne la nouvelle génération, le développement durable et Pierre Rabhi, a transformé une ancienne friche en jardin communautaire, pour alimenter en fruits et légumes bio ses collègues, et faire butiner les abeilles dans un joyeux nasillement de canards sauvages. Si tout cela est très bucolique, écologique et socialement innovant, je sens poindre votre inquiétude quant au devenir de notre emblématique Praluline. Vous êtes en effet en droit de vous demander si, après les barbecues, les parties de pétanque et les promenades digestives, il restera du monde à la manufacture pour nous la préparer… Nous sommes donc allés vérifier sur place que les bonnes intentions de ce fils aîné ne mettent pas une sacrée claque à notre patrimoine culinaire, en flinguant à terme nos festins dominicaux. Hugo Pralus a bien sûr essayé de nous avoir, avec ses grands yeux de chat sacré de Birmanie, sa gaité, sa bienveillance et sa manie de nous gaver de fèves à peine torréfiées, de pralines à peine refroidies, de chocolat à peine durci et de tomates cerises à peine cueillies, auprès de pâtissiers heureux de pâtisser et de jardiniers heureux de jardiner…
Malheureusement, on vous en demande pardon… il nous a bien eus.
Hugo, comment as-tu eu l’idée de ce projet ?
J’ai toujours été sensible à la nature, aux animaux. Petit, je voulais être vétérinaire. Et puis, en venant ici régulièrement avec mon frère, enfants, pour « aider », mettre la main à la pâte et faire de la trottinette avec des transpalettes, j’ai pris le virus familial. Comme mes parents tenaient à ce que je fasse des études « longues », et que j’avais pris goût aux voyages, j’ai fait du commerce international. J’ai effectué mon stage de Master ici, tout en préparant un CAP de pâtissier, avant d’intégrer l’entreprise. Je travaille surtout à la production, mais également à la communication sur les réseaux sociaux, au développement commercial et de projets. Il y avait cette friche derrière la manufacture, dont nous n’avons finalement pas eu besoin pour nous agrandir. Je trouvais dommage de ne rien en faire alors j’ai eu l’idée de ce jardin, utile à la nature, aux employés et en adéquation avec mes valeurs et celles de l’entreprise : le respect de la terre, les circuits courts, le bio…
Et c’est avec tes beaux yeux que tu as convaincu ton père ?
Il a aussi fallu présenter une étude détaillée, revenir un peu à la charge, mais, ici, on n’est pas contre les idées hors normes. Alors il a accepté, aussi pour me laisser porter mes propres projets. Et maintenant, il est parfaitement sensibilisé à la cause des abeilles !
Comment passe-t-on d’une friche industrielle à une ferme urbaine ?
Ca prend du temps, beaucoup de réflexion, ça nécessite d’ouvrir des bouquins et d’avoir de l’argent à investir ! Il a fallu 6 mois pour mettre en place le jardin potager de 2400 m2, et l’hectare de terrain avec les serres, le verger, le poulailler, la mare, l’espace détente et celui réservé aux ruches. Tout a été terminé fin mai 2017. Il s’agit donc de notre 1ère vraie année de récolte.
La clé de voûte du projet étant « 0 substance chimique », peux-tu nous expliquer les principes de la permaculture ?
C’est simple : la nature reprend ses droits et les végétaux s’apportent les uns aux autres. On s’occupe de la terre, donc de l’humain, et on partage équitablement. On fait nos propres semis avec des graines de variétés anciennes, on fait cohabiter les plantes complémentaires, on nourrit le sol avec du bois enfoui, qui va pourrir, amener des champignons, de l’humus, de la vie… On protège ce petit monde avec de la paille, des écorces de fèves de cacao… Rien ne se crée, tout se transforme. Les déchets sont donnés à nos poules qui nous fournissent un bon engrais, et même les mauvaises herbes ont leur place puisqu’elles permettent à nos abeilles de se nourrir.
Qui s’occupe de gérer cette bio-diversité ?
Deux jardiniers y travaillent à plein temps, en potassant le calendrier lunaire. Chaque butte porte le nom de deux employés et ceux-ci y vont quand ils veulent. Nous avons dans l’équipe un « Mac Gyver » apiculteur à ses heures… Pour la surveillance, nos oies sauvages veillent au grain pendant que les paons font les beaux… entre deux fugues.
Tu es plutôt fier, j’imagine, d’être allé au bout de ton projet…
Oui, et fier de tout le monde. On réussit à approvisionner les 50 employés en fruits et légumes bio. On est même en sur-production cette année !! Ce jardin renforce la culture d’entreprise et participe à la bonne ambiance générale, il crée un circuit court, il montre que la vie est possible en dehors de la grande distribution, et il donne à certains le goût des bonnes choses. Un casse-croûte est organisé tous les vendredis et samedis par notre cuisinier. Sur la base du volontariat… on récolte ce que l’on sème. Et tout l’espace est à la disposition des employés les week-ends. Il y a une plancha, un terrain de pétanque et un espace repas pour eux et leur famille. Même ceux qui étaient réfractaires sont aujourd’hui acquis à la cause. On l’a vu pour la célébration des 70 ans de la maison Pralus, il y a de la cohésion entre nous, et beaucoup de déconnade, même s’ils font tous les enfants sages devant vous… Alors oui, je suis heureux d’y avoir cru, c’est du sang neuf pour la terre, et un moyen de se retrouver pour créer du lien.