On vous l’avait annoncé : notre musée a trop à dire pour se contenter d’un seul article. Son histoire ne pouvant s’écrire en marge, le voici donc de retour sur notre estrade, la voix chauffée, le port altier. Il ne craint ni les moments de solitude ni les trous de mémoire, car des souffleurs, et pas n’importe lesquels, l’accompagnent.
Ils ont eu un long début d’éternité pour lui faire apprendre son texte, embarqués qu’ils étaient ensemble, dans un bateau n’ayant pas, lui non plus, le nom de Radeau de la Méduse. Fleury Mulsant, Joseph Déchelette, Lapierre, Emile Noirot, Jean Puy, Claude Valence de Minardière.. Qu’on se le dise, certains d’entre eux ont laissé leur nom à quelques unes de nos rues mais tous ont apporté un jour ou un autre leur pierre à l’édifice de notre musée. Si celui-ci est engagé dans un processus de modernisation, qu’il ventile, dépoussière, part à la recherche de ses propres trésors , il n’en reste pas moins cette formidable maison aux esprits qu’il a toujours été. Et c’est leur rendre hommage que de rester vivant, c’est alléger l’éternité que de poursuivre l’aventure.
Pendant que les oeuvres oubliées se frottent les yeux, que Jean Puy s’apprête à impressionner (car fauver n’existe pas) et les faïences anciennes à rencontrer des céramiques contemporaines, les esprits s’éveillent, s’étirent, baillent encore un peu mais commencent à faire bouger la porcelaine. Ils sont là, parmi nous, et notre musée, entre histoire de l’art et médiumnité, est là pour en témoigner.
Tous les chemins…
En 1794, un dénommé Lapierre, Roannais passionné par les sciences naturelles, ne lui jetons pas la pierre, fait en sorte d’exposer ses collections au collège des Jésuites. S’il en reste aujourd’hui un inventaire dans les archives de notre musée, peut être peut-on les associer à son origine. Mais l’initiative, en 1844, de l’archéologue Fleury Mulsant, constitue un point de départ décisif. Roanne fut, à l’époque Romaine où elle portait le nom de Rodumna, la 2ème ville du pays, qui regroupait alors l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest. Ou le Rhône et la Loire… les historiens ne sont sûrs de rien. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux vestiges de civilisations antiques aient été retrouvés dans notre sol. A l’époque Fleury possède une belle collection dont il a fait don à la ville. Avec l’aide de Monsieur Gabian, alors maire de Roanne, il inaugure un musée dans l’ancien couvent des Capucins, mairie d’alors. Il le dirige jusqu’à sa mort en 1850. Le musée est ensuite un peu délaissé, jusqu’à la fin du second empire en 1870. Il est transféré en 1874 dans notre actuel Hôtel de Ville, au second étage où l’on peut visiter alors une galerie de 4 salles. Mais l’industrialisation étant en marche, l’art n’est pas une priorité. Le peintre Emile Noirot le déplore d’ailleurs en déclarant : « Roanne est une ville indifférente aux Arts ». Cependant le docteur Frédéric Noëlas, passionné de faïenceries, fait au musée une donation, et les envois de l’état s’accentuent. Les collections sont à l’étroit lorsque Joseph Déchelette, éminent archéologue, est nommé conservateur en 1892.
Joseph Déchelette
Né à Roanne en 1862, il est le fils d’un industriel possédant la maison de tissage Déchelette-Despierres. Son oncle maternel lui transmet la passion de l’archéologie alors qu’il est encore au collège de St Chamond. Après avoir travaillé quelques années pour l’entreprise familiale, il devient inspecteur pour le compte de la Société Française d’Archéologie et se consacre exclusivement à l’archéologie protohistorique. En 1896, il rachète la propriété de Claude Valence de Minardière (mort en 1896), bailli du Duc du Roannais à la fin du XVIII ème, transforme son orangerie en bureau et bibliothèque. Il en fait son habitation principale. Au déclenchement de la 1ère guerre mondiale, il demande, en dépit de son âge, à être enrôlé, et meurt 2 mois après « Pour la France ». Il lègue ses collections et sa bibliothèque au musée, tandis que sa veuve offre l’hôtel particulier Valence à la ville de Roanne, pour qu’elle y installe le musée, mais continue à occuper le rez de chaussée jusqu’à sa mort en 1957. Le musée prend alors ses aises et s’étend sur l’ensemble de l’hôtel. Les collections archéologiques s’installent au rez de chaussée et le décor du grand salon est conservé. Aujourd’hui encore, les salles d’exposition témoignent de la vie passée de Joseph Déchelette et de sa famille. Si l’une d’entre elles lui rend hommage, la bibliothèque reste la plus vibrante évocation de son travail de spécialiste. La salle de lecture, rénovée en 2011, est fidèle au souvenir de cet homme, passionné, lettré, aux savoirs multiples et intarissables.
100 ans après JD
C’est bien sûr à Joseph Déchelette, précurseur de l’archéologie européenne, que nous devons la vocation première de notre musée. Sont présentées des collections archéologiques régionales, composées de parures, vaisselles, mobilier etc.. .,qui suggèrent la vie quotidienne gauloise (l’agglo existe depuis le 2ème siècle avant JC). D’un voyage réalisé en Egypte en 1893, il ramène un lot d’antiquités égyptiennes constitué de 250 pièces, dont le sarcophage et la momie de Nesyamon. Cette collection d’égyptologie est, après celle du musée des Beaux arts de Lyon, la 2ème en Auvergne Rhône Alpes. Viennent ensuite les arts décoratifs, avec les céramiques patronymiques (mais quand même un peu), transmises de génération en génération, les faïences révolutionnaires, dont nous possédons le plus riche ensemble français, les céramiques de création des siècles passés, les faïences de Roanne (du XVII au XX ème), ou encore les porcelaines de la Manufacture de Sèvres. Sans oublier les achats successifs permettant une ouverture au monde céramiste contemporain.
Les peintures, françaises et européennes, retracent du XV au XXème siècle une histoire allant des primitifs italiens aux peintres fauves. Jean Puy (né à Roanne en 1876), ardent amoureux de la vie, de la réalité et de la nature et dont la peinture « ressemble à une musique de chambre », est naturellement exposé, comme il l’est à Moscou ou à Genève.
La collection de sculptures s’étend quant à elle de l’époque médiévale au XX ème siècle. Parmi elles, la Vierge à l’enfant, l’arbre de Jessé, le buste d’Eugène Guillaume de Rodin, ou encore plusieurs fonds d’artistes, comme les roannais Nicolas Lescornel ou Charles Louis Picaud.
Il est ensuite connu que notre musée abrite les vestiges de notre industrie textile de 1850 à nos jours ou toute une collection de sciences et d’histoire naturelles. Il possède enfin de précieux masques africains, actuellement présentés au 1er étage.
Puisque certaines de ces richesses doivent être redorées, trouver la place qui leur est due et gagner à être connues, les esprits éclairés d’aujourd’hui, dont nous vous parlions dans le n°11, travaillent, en forçats de l’art, à repousser les murs et à ordonner les réserves. Pour que les esprits éclairés d’hier ne regrettent jamais de nous avoir légué leur part d’éternité.