Chanson pour l’Auvergnat
Ma grand-mère disait toujours : « un repas sans fromage c’est comme une belle sans yeux », d’un ton solennel bien qu’employé tous les jours. Je trouvais cette phrase effroyable. Petite, la vision imposée quotidiennement, et plutôt deux fois qu’une, d’une femme spectrale mi-ectoplasme mi-cyclope, ou d’une dame blanche qui saigne des yeux en bord de route, alimentait davantage mes terreurs enfantines que des projections positives à la Dolto. Pourtant, en bonne savoyarde, je me nourrissais déjà en grande partie de fromages, et, avec une telle pression familiale, il ne pouvait en être autrement. Je n’ose imaginer le douloureux coming-out auquel j’ai échappé en les adorant tous. J’appris ensuite à dédramatiser, et à trouver, sans qu’elle ne m’affecte plus, cette expression juste un peu exagérée, inappropriée et constitutive de la théâtralité des femmes d’alpages. Ce n’est qu’en vivant, bien plus tard, des années d’exil, que je saisis toute la dimension tragique d’une vie sans ce choix divin dont nous disposons ici. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Pour certains, pas de quoi en faire un fromage, mais pour moi, au contraire, cette leçon en valait bien un. Je compris qu’il eût pu inspirer quelques fameuses citations, comme l’originale « un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un oeil », de Monsieur Brillat-Savarin, remasterisée plus tard par une femme qui savait dans sa jeunesse, du soin des bêtes à l’affinage, donner vie à une tome ou à un persillé.
Le fromage est un acte de civilisation. Au néolithique déjà, on transportait le lait dans des vessies faites de caillettes de ruminants, qui étaient sources de présure. Et le miracle fut. Les recettes se transmirent de générations en générations, puis des fermières aux moines. Des boules laiteuses de mozzarella comme le sein d’une mère, à l’époisses, de l’abondance des montagnes au roquefort, véritable ode aux bactéries odorantes. Depuis le XIXème siècle et l’arrivée de Pasteur, la France est devenue le 1er pays producteur. Du pain, du vin, du fromage, voilà ce à quoi nous nous résumons de par le monde, à cette trinité de nos tables. Tant et si bien qu’il existe des appellations contrôlées, des AOP, des AOC, et, même, des meilleurs ouvriers… C’est l’un d’entre eux que nous avons rencontré, pour qu’il nous livre la formidable aventure d’une famille de virtuoses du petit lait. Hervé Mons nous raconte « MonS Fromager Affineur ». L’histoire d’un lait qui a mal tourné.
Des marchés à la voie lactée
Lui, l’Auvergnat, celui par qui tout a commencé, vend, avec sa femme, ses fromages sur les marchés de Clermont-Ferrand. Hubert Mons est un homme du terroir, un bon vivant d’1m95, qui décide en 1964 de tenter l’aventure dans une ville alors florissante : Roanne. 2 tréteaux, un parasol, une table, des produits odorants, de la gouaille, pour sceller un destin. Nous sommes à la belle époque, et la famille, qui compte deux garçons, Hervé et Laurent, s’installe dans une maison de vigneron à Saint-Haon-Le-Châtel. L’aîné, Hervé, réalise bientôt son tour de France de Paris à la Provence. En 1983, il implante le 1er magasin aux toutes nouvelles Halles Diderot. MonS se sédentarise et des caves d’affinage sont créées à Saint-Haon-Le-Châtel. Laurent rejoint l’équipe, tandis qu’une émulation s’organise entre tous les talents des métiers de bouche de notre ville. La période est propice aux développements en tous genres, et les produits commencent à s’exporter. Heureusement car, dans les années 90, le bassin roannais est en pleine crise et trouver des solutions ailleurs a permis à l’entreprise de ne pas suivre la tendance. Hervé se transforme en sourceur pour trouver les meilleurs produits et est consacré en 2000 Meilleur Ouvrier de France. En 2001, la Maison MonS crée le centre de formation « Opus Caseus Concept » sous la responsabilité de Laurent. L’idée est de professionnaliser les vendeurs en termes de coupe, pliage, argumentaire, connaissance des produits, implantations et gestion des stocks.
Un plateau international
Après avoir inventé et mis en place le premier concours international du métier de fromager en 2005, les deux frères signent un partenariat avec les USA. S’ensuit la création d’une enseigne de magasins spécialisés et la conception de caves d’affinage dans le Vermont. En 2006, MonS s’installe au Borough Market de Londres et crée la société « MonS UK ». En 2007, alors que s’ouvre une boutique dans les Halles Paul Bocuse de Lyon, les corners implantés au Japon se transforment en magasins spécialisés… Celui que certains appellent encore « l’Auvergnat » à Roanne, prêche maintenant la bonne parole aux 4 coins du monde pour que tous, ici bas, puissent se partager le fromage. Environ 70% du CA est aujourd’hui réalisé dans les 29 pays concernés par l’export. En 2017, l’entreprise se structure et évolue dans son positionnement. La Maison MonS met en place un concept de franchise très sélective et exclusive pour le réseau détail, et crée une licence de marque MonS.
Afin de palier les échanges commerciaux et leurs conséquences, c’est du Made in France, made in MonS qui est transféré dans les pays demandeurs afin de fabriquer et commercialiser directement sur place.
Le bonheur dans l’affinage
En 2009, un ancien tunnel ferroviaire long de 180m, est réhabilité, à Ambierle, en caves d’affinage. « Les caves de la Collonge » deviennent emblématiques de la Maison MonS, car des conditions idéales y sont apparemment réunies : la pierre garde une température à 13° et un taux d’humidité optimum de 95% y est conservé. Le caillé peut tranquillement se transformer en fromage tandis que la texture, les arômes, les goûts et les croûtages se révèlent : « Lorsque l’on affine, on élève le fromage, on le mène vers sa deuxième vie. Les soins y sont délicats et variés selon les familles et le terroir; les éléments, bois, paille, pierre, terre sont nos alliés. Ils nous aident à maintenir et fixer les ambiances de nos caves. Ce monde du vivant ne tient son équilibre qu’à un fil, notre attention doit être de tous les instants ».
Et après…
Ainsi, alors que les conditions du commerce international se durcissent, et que la planète souffre de ces échanges, la Maison MonS tend à se recentrer sur des activités locales. Des changements sont impératifs et les frères oeuvrent dans ce sens. Il y a 4 ans, une laiterie au cahier des charges pointu, fonctionnant sur les principes du commerce équitable, bio, et destinée à une diffusion locale, est venue compléter le tableau. Unique en son genre, elle garantit la transparence et l’équité pour les producteurs. Des agrandissements sont d’ores et déjà prévus. Les caves ont quant à elles toutes été refaites. Une extension est également actée pour le centre de formation, qui accueille déjà 300 stagiaires par an, provenant de 6 nations différentes. L’entreprise est rentrée dans une réflexion pour valoriser davantage le transfert de savoir-faire que la vente de produits. L’idée est de mettre en lumière celui-ci, tout en respectant l’environnement, et les relations humaines. 38 personnes travaillent aux caves, 40 dans les différentes boutiques, 130 producteurs fermiers sont en lien direct, et une centaine de restaurants choisissent parmi les quelques 250 fromages affinés en permanence.
Jules, le fils de Laurent, est parti faire son tour du monde avant, peut-être, de marcher sur les pas de l’Auvergnat, en reprenant une maison en pleine transition. Son voyage formateur, presque initiatique, durera 7 ans. L’âge de raison et un cycle de vie. Pour continuer à faire tout un art, et toute une histoire, de notre signature.
Roanne – Renaison – Charlieu
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