Escapade en Brionnais
Ah !! Enfin nous allons parler du 100% lipide, de triglycérides et de précieux omégas, de ces fins nectars gras sans qui la salade n’aurait plus que ses yeux, et les limaces, pour pleurer. Qu’elle soit chicorée, roquette ou feuille de chêne, jeune pousse chouchoutée ou pissenlit sauvage, avouez qu’elle n’en mènerait pas large, seule avec son amertume. Sans vouloir jeter d’huile sur le feu, puisque c’est bien d’elle dont on parle, nombre d’aliments ne doivent leur appétence qu’à celle qui les accompagne. Elle est un binôme incontournable, un faire-valoir, un éloge. Elle flatte la nature, agrémente notre gastronomie et, en formidable pourvoyeuse d’acides gras, nous fournit de l’énergie pour supporter cette chienne de vie. Pour assaisonner, cuire, frire, parfumer, faire macérer ou mariner, l’huile végétale, dont il existe pléthore de variétés, met, à toutes les sauces, les pieds dans le plat.
Il existe à Iguerande, en Brionnais voisin, un temple des oléagineux, un monument historique de la sainte matière grasse, et, à ce titre, un trésor de notre patrimoine. L’huilerie Leblanc & Fils, née en 1878, s’appuie en 2019 sur la gestuelle ancestrale de son créateur éponyme Jean-Baptiste, l’arrière grand-père de nos hôtes de ce jour. Jean-Charles et Jean-Michel, les actuels propriétaires de cette affaire familiale, utilisent aujourd’hui, outre leur huile de coude, la même meule de pierre magistrale pour produire les saveurs fruitées et authentiques qui mettent du baume dans nos assiettes. Et une divine onction, mais, attention, pas du tout liturgique, sur nos papilles. Amandes, noisettes, noix, pistaches, amandons de pruneaux, pépins de courge… tous sont ici réduits en purée pour nous livrer leur substantifique moelle, leur sang, leur sueur, leurs vertus. Dans des odeurs de torréfaction, de caramel, de chouchous sur la plage, d’amandes grillées. Des odeurs qui rendraient dingue n’importe quel écureuil, n’importe quel chien de prairie… Quant à nous, des années d’éducation à la dure nous font rester dignes, mais à l’intérieur, c’est l’anarchie, l’orgie, la mise en orbite, l’émeute, la java. Ca y est, on a beau être mardi à 10h du matin, notre hypothalamus ne sait plus où il habite et décrète la bringue avec Petitrenaud. Et en effet, on se verrait bien dans une de ses escapades gourmandes, dans ce moulin d’un autre âge qui sent si bon le terroir et la vie, à lui taper sur l’épaule en lui disant « hey Jean-luc, goûte moi celle à la cacahuète, et remets en une pendant que tu y es ».
Des secrets bien huilés
Quand on rentre dans ce moulin, c’est un peu, à première vue, « Les Temps Modernes », avec ses machines fumantes, sa chaleur moite, et son apparent « archaïsme ». Excepté qu’il ne s’agit pas d’une chaîne de production et que rien n’inspire un réquisitoire contre les conditions de travail. Les machines datent de 1878, année de création de cette huilerie par Jean-Baptiste Leblanc, et « il n’est pas question d’en changer si on veut conserver le même niveau de qualité ». Seul le sol en terre battue a été refait pour répondre aux nombreuses normes des temps modernes, justement, qui n’ont rien trouvé à redire concernant tout le reste. La gestuelle est la même depuis toujours. Les fruits ou graines (amandes, noisettes, pistaches, colza, cacahuètes, sésame, etc…) sont tout d’abord broyés par une immense meule de pierre de granit, taillée à la main et inchangée depuis près de 150 ans. Une pâte compacte est obtenue, qui est ensuite torréfiée, durant 10 à 30 mns suivant la matière première utilisée, dans une sorte de grande poêle autrefois chauffée au charbon. C’est là que cela se complique pour nous car le jour où nous visitons, ce sont des kilos de cacahuètes qui sont travaillés. L’odeur est un plaidoyer pour la goinfrerie à toute heure. Un peu d’eau est rajoutée pour faire éclater les molécules, ou les arômes, puis la pâte est pressée dans une presse hydraulique, fabriquée à Feurs dans les années 50. C’est à ce moment là que sort progressivement la coulée d’huile, aux reflets blonds, cuivrés, verts, ou mordorés suivant les fruits ou graines exploités. Elle est ensuite placée dans une grande cuve pour la laisser décanter une huitaine de jours, avant l’embouteillage. Cette gestuelle transmise de génération en génération observe un rythme basé sur le contrôle de l’odeur et de la couleur. Rien ne se fait avec un minuteur, comme la cuisine du coeur. Quant aux galettes de matière sèche restante, elles sont réduites en farines pour le bétail. « Rien ne se crée, tout se transforme ». Un seul homme, huilier, passe d’une machine à l’autre, sans cadence effrénée, juste celle dictée par les étapes de la transformation.
Ma petite entreprise
Jean-Baptiste Leblanc, donc, installe son affaire à Iguerande en 1878, succédé par son fils Antonin, puis Jean, puis Jean-Charles et son frère Jean-Michel. Une famille de Jean, en somme. Au départ, la fabrication de l’huile se fait « à façon », c’est-à-dire suivant les besoins des clients se présentant. Jean-Charles se souvient que ses grands-parents travaillaient le matin et jouaient de la musique l’après-midi. Une autre vie. Une boutique, minuscule, jouxte aujourd’hui le moulin. Elle a été tenue durant 67 ans par la maman de nos hôtes. Petits, ils habitaient avec leurs parents dans la maison contigüe. Celle-ci, toute pleine encore de leur présence, ils sont disparus depuis peu, semble elle aussi d’un autre âge, comme le salon de Georges Sand ou de l’une de ses contemporaines. Et pourtant… les huiles Leblanc vont au Japon, en Australie, jusqu’à New-York, Singapour… 50 % de la production sont destinés à l’étranger. L’export a commencé avec l’Angleterre, en 1983, lors de l’arrivée de l’un des fils dans l’entreprise. Depuis plusieurs années également, un autre magasin a ouvert ses portes rue Jacob à Paris, en plein Saint-Germain-des-Prés.
Cette petite structure de 6 personnes fournit aussi quelques célèbres restaurants ainsi que des épiceries fines et moyennes surfaces. C’est vrai qu’à voir des bouteilles « Huiles Leblanc » aux 4 coins de Roanne, on aurait pu imaginer un vaste laboratoire grouillant d’huiliers… Pourtant, ce n’est pas le cas. L’entreprise familiale travaille essentiellement à la commande, avec des matières premières consciencieusement sélectionnées (Noix du Périgord, noisettes du Piémont, Colza de l’Allier…), pour produire des huiles très concentrées qu’elle ne stocke pas longtemps. Des huiles à la finesse exceptionnelle, que vous pouvez d’ailleurs goûter sur place comme des grands crus. Huile d’olive goût truffe, huile de cacahuètes grillées, de noix de pécan ou encore de pignons de pin. Dans la boutique, moutardes et vinaigres préparés par un comparse artisan viennent compléter l’offre, comme du miel voisin, des confitures ou encore des savons de Marseille véritables. En semaine, les visiteurs se voient toujours proposer une visite du moulin. Il n’existe aucune école pour ce métier-là, la transmission informelle du savoir-faire est la seule façon de le faire perdurer. Qu’il continue, donc, à être transmis, comme une perle de notre territoire, un phénix de notre terroir.
Le Bas, 71340 Iguerande
03 85 84 07 83