La bière au fusil
Il y a 150 ans, soit le 18 mars 1871, après que l’armistice franco-allemand ait été signé dans la honte et le déchirement, le peuple parisien se soulève contre le gouvernement à majorité monarchiste installé à Versailles. Les ouvriers en ont ras la casquette de bosser pour des nèfles et d’avoir combattu les prussiens pour du beurre qu’ils n’ont pas. Les femmes, qui représentent 33 % de la population active, ont encore plus de raison de voir rouge : elles sont payées moitié moins que les hommes, traitées plus durement, et allongent leur temps de travail avec les tâches domestiques. Tiens tiens… La capitale est une poudrière qui s’embrase sur 72 jours et monte des barricades dans lesquels poussent, et meurent, des gavroches attachants. Qui tombent par terre, c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau… Car cette Commune de Paris, ou ébauche de gouvernement populaire, est renversée par les Versaillais au cours de la semaine sanglante du 21 au 27 mai. Les voies des saigneurs sont impénétrables, et, après les massacres de la répression, viennent les condamnations, les fosses communes et les déportations. Le bilan est funeste mais cette parenthèse révolutionnaire laisse émerger quelques droits et principes, comme la séparation de l’église et l’état, l’enseignement laïc et obligatoire ou encore le divorce par consentement mutuel. On commence même à parler d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes…
Si les héritages de cette insurrection parisienne font encore parler d’eux, les héritiers sont, eux, plus qu’incertains. Mais parmi toutes les femmes qui y participèrent, les Louise Michel, Paule Minck ou Maria Deraisme, il en est une qui, 150 ans plus tard, reste, sur le papier, le poing levé. La jeune agitatrice des étiquettes de La Canaille, brasserie artisanale à Sail-Sous-Couzan, est prête à en découdre, tout sourire… mais cette fois-ci pour transformer l’eau en bière. Un combat bien arrosé s’il en est, surtout dans un village aux mille sources, mené par Marion et Grégory, la fine fleur au fusil.
Grégory et vous, Marion, avez installé votre brasserie/bar/salle de concert dans un endroit plein de caractère. Qui a forcément une histoire, non ?
Oui ! D’ailleurs, on adore les histoires ! On voulait absolument rester à Sail-Sous-Couzan, qui par le passé a été un pôle d’eau minérale très important dans le Massif Central. A une époque, il y a eu jusqu’à 14 sources connues. Il n’en reste qu’une aujourd’hui, non exploitée car la dernière entreprise, Couzan Brault, a mis la clé sous la porte il y a une trentaine d’années. On a installé notre activité dans les locaux de l’ancienne source Gatier Julien, fermée elle depuis les années 50. D’où la personnalité du lieu, les grandes verrières et l’esprit atelier.
Et votre histoire à vous ? Comment êtes-vous arrivés dans le domaine brassicole ?
Il s’agit d’une reconversion pour nous deux. Mon mari Grégory était électricien industriel et souffrait du manque de reconnaissance dans son travail. Un jour, on a visité une brasserie, et il a tout plaqué pour obtenir le Diplôme d’Université Opérateur de Brasserie à la Rochelle. Ensuite, tout s’est enchaîné. J’étais moi-même en poste à la territoriale, où j’accueillais les porteurs de projets dans le Forez. Disons que je me suis lancée dans le nôtre… On a créé « La Canaille » en 2012, et on s’est installés dans ce local en 2015. On travaille toujours à 2, Grégory à la production et au brassage, moi à la commercialisation. On est très heureux d’être indépendants et d’avoir fait ce choix de vie.Ca a du sens pour nous.
Et vous avez développé des activités complémentaires…
Oui, La Canaille… c’est aussi une cave, et un bar dans lequel les gens peuvent venir goûter directement notre production ! On y propose des planches de charcuteries et de fromages. Surtout, on y organise régulièrement des concerts, ou des ateliers « biérologie » pour faire découvrir notre univers. Bien sûr, tout cela est en stand-by depuis la pandémie, et nous avons hâte que la convivialité reprenne ses droits.
Justement, comment passez-vous le cap ?
Plutôt bien car nous avons dès le début instauré la livraison à domicile. Et nous avons heureusement continué à travailler avec les cavistes, les jardineries, et les magasins de producteurs. Notre cave, aussi, a pu rester ouverte. Tout cela nous a permis de compenser un peu le manque à gagner avec les bars et les restaurants que nous approvisionnons dans la région.
Votre identité visuelle, une femme du peuple au poing levé suivie par un gavroche prêt pour l’insurrection, est très percutante. D’où vous est venue l’idée de La Canaille et de ces étiquettes ?
De la Commune de Paris ! On est passionnés par cette période de révolution prolétarienne qui a opposé le peuple parisien, les Communards, aux Versaillais, pendant 72 jours. La Canaille est le nom d’une chanson de cette époque : « C’est une armée immense, vêtue en haillons, en sabots, mais qu’aujourd’hui la vieille France, les appelle, sous ses drapeaux, on les verra dans la mitraille, ils feront dire aux ennemis : C’est la canaille, Eh bien, j’en suis! ». On a ensuite décliné toutes nos bières sur ce thème (la pétroleuse, l’insurgée, la gavroche, la sauvageonne), et donné à chaque bière spéciale le nom d’une barricade de la commune.
Parlons de vos bières, justement ! Qu’est-ce qu’on boit alors ?
Des bières traditionnelles ou originales, pour tous les goûts, brassées artisanalement et refermentées en bouteilles ou en fûts. Nous avons toujours une vingtaine de références, en blondes, blanches, rousses ou brunes, avec un produit de saison et des nouveautés régulières. Il s’agit de bières de garde de haute fermentation, avec des goûts prononcés, comme pour la bière de printemps aux fruits exotiques, ou celle d’été au citron vert et basilic. Nous avons même une bière réalisée à 100% avec des matières premières foréziennes : la « 10 bornes à la ronde ».
C’est important pour vous de vous approvisionner en local ?
Capital, même. Chaque fois que c’est possible, les céréales utilisées proviennent de productions locales en agriculture raisonnée ou biologique. Et pour être en cohérence avec nos valeurs, notre objectif est d’obtenir la certification bio cette année. Presque toutes nos matières premières le sont déjà, alors autant aller au bout de la démarche.
La Canaille, c’est une façon de remettre un peu de bulles dans la vie du village…
Un village auquel nous sommes très attachés. On sentait que ce local avait du potentiel, une âme joyeuse, un cachet. Et puis, on trouve tout à Sail-Sous-Couzan, même des concerts intergénérationnels. C’est un luxe de vivre ici, et d’y faire exactement ce qu’on aime, dans des murs chargés d’histoire, qui n’ont pas fini d’en raconter.
Cave ouverte les lundis de 9h à 16h,
les mardis/jeudis/vendredis de 9h à 17h, les samedis de 15h à 18h
Bar ouvert les vendredis de 16h à 23h et les samedis de 16h à 21h
1, montée des Curistes, 42890 Sail Sous Couzan
Commandes en ligne/clic and collect sur :
https://shop.easybeer.fr/brasserie-la-canaille
Tel. : 06.89.93.14.72
contact@brasserielacanaille.com