On imagine souvent un chef de cuisine comme un individu caractériel et lunatique, qui braille et vocifère plus souvent qu’à son tour, réclame du « chef-oui chef » en passant dans ses rangs, exige à tout bout de champ du croquant et du gourmand, passe son temps à vouloir revisiter l’oeuf-mayo avec peps et fondant, et se couperait une jambe plutôt que de prêter son couteau. On le voit comme celui qui essuie les assiettes avant le grand départ, chipote pour une trace de doigt et fait un zigouigoui gracieux comme d’autres font un signe de croix, juste avant de crier, puisqu’un chef ne parle pas, « on envoie ». Il est là, avec sa toque de chef qui contient autant de plis qu’il maîtrise de techniques culinaires, ses chaussures antidérapantes, sa veste de cuisine tirée à quatre épingles, à manager, mi chef d’orchestre, mi chorégraphe, l’envers du décor. Entre deux doses d’adrénaline, il remonte quelques bretelles, déglace, cherche son lèchefrite, rappelle que la brunoise ne va pas se faire toute seule, vérifie si les carottes sont cuites, et bien cuites, rajoute du beurre dans les épinards, évitant de peu quelques tempêtes dans un verre d’eau sans y aller avec le dos de la cuillère. En règle générale, à 94% même, c’est un homme qui, si on le coince entre quatre murs, nous parlera sûrement d’une femme à l’origine de sa vocation. Il évoquera sa mère, lyonnaise ou non, sa grand-mère, sa tante ou sa nounou, qui faisait un boeuf bourguignon admirable, un cassoulet prodigieux, une ratatouille hors concours. Car il y a, derrière tout grand chef, une mamie Nova, une bonne maman, une figure rassurante qui a su l’inspirer. Enfin, à ce qu’il paraît…
Vous commencez à le savoir : nous sommes curieux, et avons voulu vérifier si l’imaginaire collectif est dans le vrai. Nous avons rencontré un chef, étoilé s’il vous plaît, qui, avec nous, a bien dû se mettre à table. Sans que ça barde ni que les casseroles volent. Car ce talent montant de la gastronomie française nouvelle génération ne veut pas d’une ambiance militaire et recherche, pour sa brigade comme pour lui, le plaisir en toutes choses.
Passionné bien sûr, créatif évidemment, jovial et épicurien à n’en pas douter, Antoine Bergeron est à 33 ans l’étoile ascendante du Domaine de la Charpinière à Saint-Galmier, qui réunit en un seul et même lieu un hôtel 4 étoiles, un SPA, un site évènementiel, « O’Pavillon », une brasserie, le 1933, et le restaurant gastronomique qui nous intéresse (non pas que le reste ne soit pas intéressant) : La Source. Amoureux de son terroir, il signe une cuisine intelligible, généreuse, éclatante, dans un tout nouveau décor aussi raffiné qu’épuré. Sa « Balade en Terre Ligérienne», en 6-8 ou 10 étapes, avec vue immersive sur un parc de 3 hectares, promet quelques haltes grisantes au pays des gourmets.
Bonjour Antoine. Vous êtes, à 33 ans, l’un des 4 chefs étoilés du département de la Loire. Comment s’est déroulé votre parcours?
Je suis, depuis toujours, un grand gourmand. Je viens de Cuzieu à 5km de Saint-Galmier, d’une famille de bons vivants et de fins gourmets. Ma grand-mère tenait à Montrond-les-Bains un bar-PMU assez réputé pour la qualité de son menu ouvrier. Elle m’a transmis son amour de la cuisine et du bien manger, sans que je pense immédiatement à en faire mon métier. A 16 ans, j’ai eu un déclic et, alors que j’étais un élève brillant, j’ai décidé de ne pas continuer les études générales. Mes parents m’ont soutenu sans difficulté et j’ai passé mon CAP Cuisine au Bougainvillier à Saint-Galmier, puis mon BP au Château Blanchard (1 étoile) à Chazelles-sur-Lyon. J’ai ensuite préparé une mention pâtisserie auprès de Philippe Rigollot chez Anne-Sophie Pic à Valence (La Maison Pic : 3 étoiles) et ai travaillé deux ans auprès de Christophe Roure comme chef de partie lorsque son restaurant doublement étoilé était installé à Saint-Just-Saint-Rambert. Je suis arrivé à La Source en 2012, tout d’abord comme chef de partie. En 2017, j’en suis devenu le chef à part entière. C’était une première pour moi.
Vous « chapeautez » également les deux autres restaurants de La Charpinière ?
Oui, je suis le chef exécutif du bistrot « Le 1933 » et du « O’Pavillon », le restaurant dédié à l’évènementiel. Chacun d’entre eux a un chef dédié avec lequel j’établis les menus en amont. Mais pendant les services, je suis à La Source.
Vous avez obtenu une étoile Michelin en 2019, deux ans après avoir pris les rênes de la cuisine. Quelle prouesse ! C’était un objectif fixé par votre direction ou une volonté personnelle ?
C’était mon rêve d’aller chercher cette étoile ! Et ma direction m’en a donné les moyens. Je savais que ma brigade (nous sommes 9) et moi pouvions la décrocher, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi rapide. Il y a eu des retombées exceptionnelles parce que le Guide Michelin, qu’il soit vénéré ou décrié, reste la bible de la gastronomie française. Il y a maintenant quatre étoilés dans la Loire, et c’est une belle mise en avant de notre territoire.
Parlons-en, de notre territoire… c’est un peu la figure de proue de votre carte non?
Exactement. Je cuisine presque exclusivement des produits locaux, et ligériens le plus possible. Mis à part concernant la vanille et le chocolat, qui ne poussent pas encore chez nous, je ne sors pas de la région Auvergne-Rhône-Alpes. J’aime mes racines et leurs richesses. J’aime sourcer les petits producteurs de nos campagnes et entretenir avec eux des rapports d’amitié. J’aime respecter la saisonnalité des produits et ne pas imposer ma carte à la terre. J’attends plutôt qu’elle me donne, à son rythme, de quoi proposer des matières premières exceptionnelles.
Comment qualifieriez-vous votre cuisine ? Quelle est votre signature ?
Je dois être le premier à avoir envie de manger une assiette prête à sortir! Ma cuisine est gourmande, comme moi. J’aime le beurre, les vieilles sauces crémées françaises qui sont souvent le liant du plat. L’esthétisme est important bien sûr mais le goût reste primordial. Non négociable. Je mets en scène, certes, mais les saveurs doivent suivre. J’ai beaucoup appris aux côtés d’Anne-Sophie Pic, en termes de techniques pâtissières qui font parfois défaut aux cuisiniers. Je m’en sers tous les jours pour sublimer des produits de grande qualité.
Avez-vous un plat star que vous ne pouvez sous aucun prétexte retirer de la carte ?
Non, parce que je me laisse guider par ce que m’apportent mes producteurs. La carte de La Source est comme une carte de la Loire que l’on parcourt en 6, 8 ou 10 étapes. Sa composition change tout le temps, au gré de la météo, des arrivages et de l’inspiration. J’ai un produit phare cependant : l’escargot. Mais pas n’importe lequel : l’Escargot Baldo, qui nous vient d’un petit producteur fermier à 200m du restaurant.
Et votre plat phare à vous ? Votre Madeleine de Proust ?
La blanquette de veau de ma grand-mère. Sans hésitation. Elle met tellement d’amour dedans.
Elle doit être très fière de vous…
Oui. Mes grands-parents ont beaucoup contribué à mon éducation. Je crois que cela se ressent dans mon style. J’ai un grand respect pour mes racines, comme pour la cuisine de nos grands-mères. C’est la base de tout. On n’invente rien. Tout a déjà été fait, il y a 10, 50 ou 200 ans. Il faut être humble, mais chercher le perfectionnement, toujours.
Que peut-on vous souhaiter ? Une deuxième étoile ?
Pourquoi pas… C’est vrai qu’elle commence à me trotter sérieusement dans la tête et que j’ai bien envie de m’en donner les moyens. Disons que c’est une affaire à suivre. Pour le reste, je suis un très bon vivant et j’aime profiter de chaque instant, au travail, entre amis ou en famille. Alors souhaitez-moi… longue vie. Après tout, vivre, c’est ce que je préfère !
Ouvert du mercredi au samedi midi et soir, dimanche midi
La Source, 8 allée de la Charpinière, 42330 Saint-Galmier
04 77 52 75 00
reception@lacharpiniere.com
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