LE FRUIT DE NOS SEMAILLES
Au départ, elle était qualifiée de « médicament à lécher », ou « électuaire », du latin « eleucterium ». Car, après la découverte de la canne à sucre dans le monde arabe, seuls les apothicaires pouvaient tenir le commerce du sucre. Auparavant, et depuis l’Antiquité, les fruits étaient conservés cuits dans du miel ou du vin de raisin. Longtemps donc, la confiture est demeurée une sorte de médicament héritée de la pharmacopée arabe et réservée aux riches aristocrates pour masquer les effets d’une consommation de viande légèrement excessive. 5 fruits et légumes par jour, connaissaient pas. D’autant plus qu’à l’époque, tout ce qui poussait en terre ne pouvait pas finir dans un noble gosier. Non, se mettre au vert ne valait que pour les gueux et les paysans. Alors oui, les seigneurs d’autrefois aimaient le gras, sans conscience aucune de ce qu’ils infligeaient à leurs artères ou à la faune sauvage. Les pâtés, gibiers en sauce, rôtis et autres volailles farcies régnaient davantage à leur table que les tubercules ou les brocolis vapeur. Il fallait bien quelques cuillérées de confitures épicées pour faire office d’adoucissant gastrique à la fin de leurs festins, de surcroît bien arrosés. Le « médicament à lécher » inspira même l’astrologue Nostradamus, qui, entre deux prophéties, en écrivit des tartines dans « Le traité des fardements et des confitures », pour y livrer des recettes contre la mélancolie, l’amertume, les soucis hépatiques et pourquoi pas, contre l’écume des jours. Rappelons qu’il était aussi médecin, et prenait très au sérieux les vertus thérapeutiques de ses bocaux fruités. Peut-être y puisa-t-il son don d’anticipation, qui lui fit annoncer la déconfiture finale pour l’an 3797. L’humanité aurait donc encore un peu de temps pour s’en enfiler quelques pots.
Démocratisée au XIXe siècle grâce au remplacement du sucre de canne par le sucre de betterave, la confiture a depuis gagné sa place dans les garde-manger du monde entier, sans plus (trop) avoir à se soucier de la solvabilité de ses consommateurs. Elle est dorénavant de tous les petits-déjeuners, de tous les goûters, de tous les Guillaume Tell et parfois même, de tous les flagrants délits. C’est une juste évolution de la société, puisqu’ « il n’est rien de si amer qu’une noix verte, et toutefois à force de sucre on en fait une confiture fort délicate ». La confiture a l’art d’adoucir nos mœurs, comme les fruits immangeables, et le commun des mortels auraient eu tort de s’en priver. Que seraient donc devenus les coings ou la rhubarbe sans ce traitement de faveur ? Des fruits à moquer, par ceux à croquer, des oubliés des corbeilles, des parias des salades. Alors oui, la confiture durera autant que dureront les vergers, les ronces et les buissons ardents. Tant que dureront, également, « Les Confituriers du Vieux Chérier » qui, depuis 1993, font de la gourmandise un pêché bien local, et des fruits les bons petits soldats d’un artisanat haut-perché.

Des fruits à la confiture…
Il n’y a qu’un pas. Que toutes les familles, ou presque, ont un jour ou l’autre franchi, avec plus ou moins de succès. Diplômé du lycée agricole de Ressins, le stéphanois Philippe Doron s’installe en 1993 à Chérier, avec sa femme Marie-Odile. C’est ici, à 800m d’altitude, qu’il développe son projet agricole en tant que producteur de fruits. Inspirés par des amis savoyards créateurs de la marque « Les Confitures de la Création », lui et sa femme transforment dès le départ les fruits de la première récolte : fraises, mûres, rhubarbe, myrtilles sauvages et autres petits fruits rouges. Ils fonctionnent ainsi pendant presque 10 ans, et mettent cette période à profit pour se former pleinement sur la commercialisation et la transformation.
Ils prennent également la mesure des aléas techniques, climatiques, et des limites imposées par leur production. Car les confitures réalisées jusque-là ne le sont qu’avec leurs propres fruits. Or, le succès des recettes s’accroît, en même temps que la demande d’autres parfums. Considérant qu’ils ne peuvent plus être « aux plantations et aux bassines », comme d’autres au four et au moulin, Marie-Odile et Philippe, qui travaillent toujours à 2 excepté en période de cueillette, décident en 2003 de se consacrer exclusivement à la transformation. Ils deviennent donc artisans confituriers, bien décidés à valoriser un terroir qui rapidement va se montrer reconnaissant.
Gammes à tartiner
Depuis 2003, « Les Confituriers du Vieux Chérier » ne cessent de grandir. En 20 ans, le CA a été multiplié par 20 et l’entreprise compte maintenant une équipe de 10 employés. Le respect du fruit, et des ressources humaines, a fait ses preuves. Les recettes, élaborées artisanalement avec des produits à 90% d’origine française (dont une majorité de la région ARA), ne contiennent ni colorants ni arômes artificiels. Au fil des années, elles se sont enrichies de nouvelles gammes, sucrées ou salées : pâtes à tartiner (caramel au beurre salé, noisettes du Piémont), purées de fruit (100% fruits), sirops (teneur exceptionnelle en jus de fruit de 40%), et confits (de figues ou d’oignons). Quant aux « classiques » confitures (abricot, mirabelle, pêche de vigne, framboise ou mûre sans pépins, cerise noire, mangue, châtaigne, fraise…), elles portent en réalité le nom de « préparations de fruits », leur teneur en sucre étant inférieure à 55%. La cuisson, courte et précise, permet de préserver tout le goût du fruit. Une version allégée, contenant 10% seulement de sucre ajouté, et une gamme bio, réalisée avec des fruits bio 100% d’origine France, complètent une offre très prisée des particuliers comme des professionnels. Depuis leurs débuts sur les marchés, les Confituriers du Vieux Chérier ont grandement développé leurs réseaux de distribution dans la région : grandes surfaces, commerces traditionnels, artisans, entreprises agro-alimentaires, cafés, hôtels, restaurants, collectivités, etc. Créateurs d’emplois localement, ils peuvent s’enorgueillir d’une réussite qui ne se construit pas aux dépens de leurs salariés, de l’environnement, ou des consommateurs.
Déménagement à grande échelle
Les Confituriers du Vieux Chérier représentent annuellement 230 tonnes de production, 130 tonnes de fruits et 100 tonnes de sucre utilisées, 300 000 pots sortis de l’atelier, et 100 tonnes en grand conditionnement. Le bâtiment initial a bien sûr été agrandi, amélioré, optimisé depuis 1993. Mais il faut dorénavant voir plus grand. Depuis 2019, une plateforme logistique a été installée à Pouilly-les-Nonains. Elle deviendra, d’ici à l’été 2023, le site de référence de l’entreprise, lorsque les quelques 1800m2 prévus seront opérationnels pour accueillir l’ensemble de l’équipe et du matériel. Pierre-Marie, le fils des créateurs, a rejoint « Les confituriers du Vieux Chérier » en 2019. Il a vocation à prendre la suite de ses parents et à s’investir, comme eux, dans la filière fruits. « Il y a de plus en plus de problèmes liés au climat et aux prix, avec des productions qui s’arrêtent. Il est donc très important de développer une filière locale et de la sécuriser, en partenariat avec le Pôle Agro-alimentaire de la Loire ».
Les projets ne manquent pas pour s’attacher une équipe dynamique, qui est le moteur de cette réussite, et fidéliser une clientèle qui ne s’y trompe pas. A Pouilly, un couloir de visite extérieur permettra aux gourmands de remonter à la source, tandis qu’un espace boutique sera consacré à la vente directe. Pour le reste, Les Confituriers du Vieux Chérier continueront de nous laisser le même goût en bouche et la même tentation à portée de doigt. Parce qu’il y des chroniques d’enfance auxquelles il ne faut pas toucher.
Ouvert sur rdv du lundi au vendredi de 9h à 17h30

23, rue du Vieux Bourg
42430 Chérier
04 77 63 17 85