Centre culturel et distillerie
Notre école buissonnière
C’est un lieu d’oubli, sans aucun danger, pourtant, de ne pas s’en souvenir. C’est un lieu de perdition, sans aucun danger, pourtant, de ne pas en revenir. C’est un lieu de fête, sans aucun danger, pourtant, que ce soit celle de trop. C’est, encore, un lieu d’évasion, sans aucun danger, pourtant, de finir dans l’errance. L’Impasse du Bout du Monde, pensée pour se faire l’écho de voix pleines d’issues, est un chemin de traverse, une planque buissonnière, une branche accueillante pour tous les oiseaux de passage. Cette tanière ouverte sur le monde aurait pu se loger en Terre de Feu, joyau de la Patagonie, à la confluence des océans Atlantique et Pacifique, au bout du bout du bout du continent sud-américain. Entre l’Argentine et le Chili, là où les Selknams, les Yagans et les Alakalufs vécurent quelques 12 000 ans, avant que les européens ne vinssent les exterminer, les contaminer, les christianiser. Là où se situe Ushuaïa, qui, en plus d’avoir donné son nom à un déodorant bof-bof, à une émission au présentateur disgracié, puis à une chaîne TV, est considérée comme étant la ville la plus australe du monde. Soit la plus au sud. Loin devant Carcassonne ou Bormes-les-Mimosas.
Et c’est vrai qu’une auberge pour artistes nomades, ou centre multiculturel, ou lieu de java ecohédoniste… ça aurait eu de la gueule en pleine Terre de Feu. A deux encablures de l’un des ports les plus proches de l’Antarctique, dans des paysages de steppes balayées par les vents ou de lacs glaciaires malheureusement prêts à déborder. Oui, ça aurait claqué. Mais qui, parmi nous autres, provinciaux parfois un tantinet misanthropes, aurait pu y mettre un jour les pieds ? Avoir connaissance de son existence aurait, déjà, été une prouesse. Alors, y aller… Combien d’adorateurs de la pampa, combien de routards, combien de polichinelles intrépides notre côte roannaise compte-t-elle ? Un certain nombre, sûrement. Nous ne sommes certes pas tous des sédentaires attachés à leur popote. Mais avouons que c’était quand même plus simple de faire venir à nous l’Impasse du bout du monde que de miser sur notre roulage de bosse.
Alors, mes bien chers frères, mes bien chères sœurs, réjouissons-nous. Car ce haut-lieu de la bamboche métissée, de l’art voyageur, et de la vénérable liqueur a choisi notre Terre du Milieu pour en faire sa banlieue. Marius Dissat, haut savoyard d’origine, universel par nature, a bien failli créer son concept de « distillerie-centre culturel » aux confins du continent sud-américain. Par hasard pour lui, par chance pour nous, c’est une pampa Jeanmauriçoise qu’il a élue berceau de son projet fou. Ingénieur du son, compositeur et distillateur de génie, il fait revivre d’inébranlables vieilles pierres dans un hameau abandonné de Saint-Jean-Saint-Maurice. Il y a installé sa distillerie artisanale « Vert de Cœur », y organise concerts, expositions, et autres évènements culturels. La bien nommée Impasse du Bout du Monde vous invite, avant qu’il ne soit longtemps, à vous perdre dans sa fantaisie, sa générosité, sa curiosité, et ses élans vitaux.

Un parcours alambiqué
Marius Dissat est originaire de Haute-Savoie. Son grand-père était hôtelier à Canne et avait l’habitude de préparer des liqueurs, de verveine notamment, qu’il faisait goûter à ses convives, à l’époque où les fabrications maison à base d’alcool à 96° étaient autorisées. Son père, professeur de golf, vient d’une famille de « directeurs de palaces » cannois, où les codes du luxe s’apprennent dès le berceau. Marius est pourtant élevé en marge de cette tradition familiale, dopé à la découverte du monde par une mère à l’âme de nomade. Avec elle, il sillonne l’Asie jusqu’à ses 14 ans, puis part apprendre l’anglais en d’Afrique du Sud. Il s’inscrit ensuite à l’université de West London (Londres pour les puristes francophones), dont il ressort ingénieur du son et compositeur. Parallèlement, il découvre en solo l’Amérique du Sud, et établit son camp de base en Argentine une fois son diplôme en poche. A Ushuaia, située sur l’Archipel de la Terre de Feu appelé « le bout du monde », il se fait guide de haute montagne. Mais du genre étoilé. De ceux qui organisent des repas, entrée-plat-dessert, cuisinés au feu de bois au pied d’un glacier. Et qui expérimentent des liqueurs improbables. Là-bas, l’alcool à 96° n’est pas (encore) interdit, alors Marius, comme une réminiscence, s’en donne à cœur joie. Tout y passe : le maté, les tomates séchées, le thé rouge, la cannelle, le poivre d’Ushuaia, et même le cèleri… Si les argentins n’ont pas la culture des liqueurs, celles-là gagnent vite leurs galons. D’essais en cartons, Marius songe à se professionnaliser. Il se forme alors à Cognac puis retourne en Argentine, où il lui vient une idée de dingue : coupler sa distillerie en gestation à une sorte d’auberge pour musiciens. C’est là qu’il rencontre sa compagne Lavinia Gavrilovici, autrichienne d’origine roumaine qui, comme lui, a le voyage dans le sang. Alors qu’elle doit poursuivre ses études de cinéma en Europe, et que l’inflation galope en Argentine, Marius part se former à Bristol, en Angleterre, auprès d’un distillateur. Il revient ensuite en France pour y faire une pause. Installé chez sa mère en Haute-Savoie, il y crée sa distillerie de gin dans 5m2. Il l’appelle Vert de Cœur : vert pour le symbole caché de la connaissance, cœur parce qu’il en faut, et qu’il en a.


La distillerie Vert de Cœur
Vert de Cœur et ses recettes pour le moins originales, souvent déclinées en éditions limitées, se positionne sur du haut-de-gamme rapidement prisé par les palaces, les golfs et autres restaurants gastronomiques de la région natale de Marius. Ses « gins remarquables et liqueurs de luxe » sont une synthèse de ses voyages : il y mélange savamment, et après de nombreux essais, les plantes françaises à celles du bout du monde. Toujours en quête d’un lieu atypique où créer son univers bohême et hybride, Marius tombe à la veille du premier confinement sur l’annonce qui l’a amené parmi nous : un hameau abandonné est en vente à Saint-Jean-Saint-Maurice. Il ne connaît pas la région mais se bat, dans une période pourtant peu amène, pour obtenir un prêt. Lui et son look de baroudeur font des concessions : il se coupe les cheveux, enfile un costume et remplit un attaché-case. Après avoir vécu plus de 10 ans comme expat, avec pour seul bagage un back pack, la probabilité de se voir prêter de l’argent lui paraît quasi nulle. Mais son projet de distillerie et centre culturel est bien ficelé et la banque le suit. Le 4 décembre 2020, Lavinia et Marius intègrent les murs du hameau ressuscité, au lieu-dit Combe, pour y commencer les travaux de réhabilitation. Peu après, la distillerie Vert de Cœur, qui a conservé ses clients historiques, s’y installe elle aussi. Dans une dépendance refaite à neuf, où trône un alambic rutilant, entouré de bocaux d’apothicaire et de Dame-Jeanne tirées du sommeil. Sur les quelques 20 hectares entourant le vaste corps de ferme, Marius compte commencer ses propres plantations de plantes médicinales ou aromatiques. Pour les intégrer à ses collections de liqueurs qui changent au gré des saisons (de champignons, de plantes, de fruits…). Ses gins (le Céladon plutôt floral et le Carmin plutôt épicé) côtoient notamment une Liqueur 108 à la robe bleu lagon, formidable revisite d’une liqueur multi-plantes à la palette aromatique intense. Mais plus qu’une distillerie, Vert de Cœur est aujourd’hui le muscle palpitant, et ma foi bien trouvé, d’un univers pluriel où la fantaisie dépasse le seuil des liqueurs intrépides.


Le Centre Culturel
Car voici le postulat de départ : créer un lieu de culture transgénérationnel, fait d’échanges savoureux et de révélations artistiques. Deux ans après l’arrivée de ce couple providentiel pour la résilience de ce hameau, L’Impasse du Bout du Monde, qui porte bien son nom, est tout cela à la fois : une galerie d’art, un espace de résidence d’artistes (avec dortoir pour 16 personnes), une salle de spectacle, de concert (avec loge), de live painting ou de cinéma, un lieu où l’on goûte, un lieu où l’on danse, un lieu où l’on respire, un lieu où l’on vit. L’été dernier, 10 concerts et une expo ont animé cette place insolite, tandis qu’un festival sémillant a clôturé, les 23 et 24 septembre derniers, une première saison soignée. Les festivaliers ont pu profiter d’une programmation professionnelle, faite par un professionnel je vous le rappelle, avec 7 actes musicaux par jour. Et tout ce qu’il faut autour : salon de tatouage, salon d’artisanat, restauration, distillateurs d’ici et d’ailleurs, camping gratuit, parking de 70 places… En ce moment même, l’artiste peintre australien JJ James Art s’y trouve en résidence, pour mettre sa créativité au vert. Au bout de ce chemin perdu, qu’il est urgent de trouver, il reste, c’est certain, beaucoup de travail à accomplir, mais aucune impasse ne s’est jamais faite en un jour. Pour mener à bien la totalité de ses projets et préparer la saison prochaine, Marius est à la recherche de bénévoles et de mécènes (dons défiscalisés). De bonnes volontés, de bonnes âmes, de philanthropes autant que d’artistes et de fins limiers des agapes humanistes. Notre druide globe-trotter a trouvé son camp de base, son bercail, et le nid nourricier d’une culture à partager. A nous aussi de l’aider à gagner ce pari vertueux, celui d’un melting pot, d’arts et de saveurs, possible en pleine ruralité.

Visite sur rdv
121 Chemin de la Gay, Lieu-dit Combe
42155 Saint-Jean-Saint-Maurice-sur-Loire
impasseduboutdumonde@gmail.com et www.impasseduboutdumonde.fr
