Fromagerie bio La Griotte
La vie en bleu
De la fourme dans le sang? Un généticien crierait à la farce scandaleuse, un angiologue à la bombe à retardement, un chercheur en épigénétique et mémoire cellulaire dirait «banco, ce n’est pas faute de vous avoir prévenus». Plus sérieusement, car avouons que l’image est un peu fumeuse, la fourme, sans pouvoir marquer notre séquence ADN, a de quoi veiner de bleu quelques trajectoires de vie. Ce fromage à pâte persillée, formellement connu depuis le IXème siècle, est un des plus anciens qui soient. Il a ainsi eu tout le temps de s’imposer dans les histoires familiales, si ce n’est génétiques, du versant ligérien des Monts du Forez. Jadis appelée « fromage de Roche », du nom du village où elle était vendue aux grossistes, la fourme a longtemps été fabriquée dans les jasseries, ou fermettes d’estive, des Hautes Chaumes. Par les femmes, encore elles, entre nous soit dit. Pendant que leurs hommes se la coulaient douce dans la ferme du bas, bouquinant la Symphonie Pastorale entre deux labours. L’industrialisation a ensuite sonné le glas de cette répartition des tâches et les jasseries ont cessé d’accueillir les troupeaux et leurs bergères. La fourme, quant à elle, loin de s’effacer devant l’inexorable toute puissance de la modernisation, en a au contraire profité pour prêcher la bonne parole fromagère au-delà des frontières foréziennes. Depuis les années 50, cette virtuose du petit lait n’a jamais arrêté de faire ses gammes.
Sans plus de transition, connaissez-vous le papillon monarque? Sur le continent américain, il migre, dès sa naissance en automne (dans la région des grands lacs ou du sud de la Californie), du nord vers le sud en une seule génération, avec des millions d’autres individus de son espèce. Arrivé au Mexique, il prend un repos hivernal bien mérité. Très à cheval sur son planning, il s’accouple en mars et pond ses œufs avant de mourir. Ses descendants remontent alors vers le nord sur plusieurs générations cette fois (les papillons d’hiver vivent jusqu’à 7 mois, les autres à peine 2 mois), jusqu’à recommencer le même cycle en octobre. Aucun ne fait jamais le voyage retour. Pourtant, chaque papillon monarque se souvient, d’une façon ou d’un autre, du chemin qui doit être le sien.
Annabelle Fayard, de la fromagerie bio La Griotte à Sauvain, a sûrement, à l’instar du papillon monarque pour retrouver la route de la téquila, un radar interne pour la ramener dans les Hautes Chaumes. Elle a repris il y a tout juste un an la microfromagerie de sa mère Catherine, dont le père et le grand-père étaient déjà producteurs de fromages. Avec son compagnon Jean-Claude, venu, presque comme le papillon monarque, de la côte ouest de l’Amérique du Sud, elle perpétue depuis un savoir-faire qui, soyons raisonnables, lui aura été transmis davantage par l’apprentissage que par son ADN. Mais tout de même.
Remercions les liens du sang de faire encore tout un fromage de cette histoire familiale.
Bonjour Annabelle. Nous sommes ici dans ce qui est aujourd’hui votre fromagerie. Pouvez-vous me raconter son histoire?
En fait, la fromagerie La Griotte a été créée par ma maman en 2012, en bio. Mais avant cela, il y a en effet toute une histoire. Son grand-père, Jean-Marie Tarit, a créé la laiterie Tarit, qu’il a ensuite léguée à son beaufils, André Griot, soit le père de ma mère. Elle a repris le flambeau en 1983, puis a dû arrêter quelques années pour des raisons personnelles. Elle a alors exercé pendant 7 ans le métier d’aide-soignante, jusqu’à ce que sa terre la rattrape. C’est à ce moment-là qu’elle a ouvert La Griotte, avec son mari Hervé, en proposant notamment une fourme bio grâce au lait des quelques 25 vaches tarines de son cousin (un Griot également). Elle s’est aussi mise à produire du fromage de chèvre, toujours en bio, grâce au cheptel de mon frère.
Vous avez, j’imagine, toujours baigné dans cet univers. C’était une évidence pour vous de prendre sa suite le moment venu?
Non, pas de tout. J’ai d’ailleurs travaillé 10 ans à SaintEtienne en tant que gestionnaire de scolarité. C’est là-bas que j’ai rencontré mon compagnon Jean-Claude, qui lui était venu reprendre ses études en France après avoir été journaliste au Chili. Ma mère souhaitait prendre sa retraite et avait de son côté un repreneur, qui s’est finalement désisté. Et puis le confinement est passé par là…
Et vous avez eu envie de changer de vie…
Exactement. Comme beaucoup, n’est-ce pas? Jean-Claude et moi n’avons pas voulu retourner à notre vie «d’avant». Il nous fallait du sens, modifier la trajectoire, être proche de la nature. J’avais sous les yeux depuis toujours l’exemple de ma mère, qui proposait des produits sains dans un environnement exceptionnel. Et nous nous sommes dit: voilà ce que nous voulons faire. Nous nous sommes formés à ses côtés et avons repris la fromagerie à Sauvain en octobre 2021, avec elle et son mari comme tuteurs pendant un an.
Les débuts ont-ils été difficiles?
Non, il faut juste s’habituer à avoir un rythme différent. Par exemple, il faut s’occuper des fromages tous les jours et il est donc très compliqué de partir en vacances ou en week-end. Mais ce que nous gagnons en confort de vie n’a pas de prix.
Vous avez repris la même production?
Oui, mais avec quelques nouveautés. Nous proposons aujourd’hui 5 fromages de vache (la fourme de la Griotte, la tomme, le Vachard, la brique et le bleu de JC) et 5 fromages de chèvre (les rigottes, le Cabri-tomme, la tomme, la brique et la fourmette). Nous augmentons petit à petit la production, que nous vendons ensuite sur le marché de Montbrison et de Saint-Etienne, ici même à la fromagerie, dans les Bio Coop de la région (Andrézieux, Savigneux, Firminy et Bonson), chez certains restaurateurs (Château de Goutelas ou maison Marcon) ou encore dans l’épicerie «Ça coule de source» à Saint-Just-en-Chevalet.
Prenons l’exemple de la fourme: comment la fabriquez-vous?
C’est le fromage le plus technique ! D’abord il faut chauffer le lait (entre 22 et 25 litres pour une seule fourme) à 31°, auquel on ajoute le champignon microscopique pénicillium roqueforti nécessaire au bleuissement, puis le mettre à cailler avec la présure et les ferments que nous fabriquons nous-mêmes. Viennent ensuite la découpe du caillé, le pressage puis l’égouttage. Il est passé au moulin, salé dans la masse et moulé. Il faut alors 5 retournements dans la même journée. Le lendemain, il est placé dans un cheneau d’épicéa, où il sera retourné 2 fois par jour pendant 7 jours. Après un passage en chambre froide, la fourme part en cave d’affinage pendant 2 à 3 mois et sera piquée quelques jours avant la vente pour permettre au bleu de se développer.
Cette cave, en pleine forêt sur la route de Chalmazel, est très impressionnante!
Oui, tout est fait comme avant, à l’ancienne, dans une cave que mon arrière-grand-père a construite ! De l’extérieur, on dirait un blockhaus ou une maison abandonnée, mais il n’en est rien… A l’intérieur, l’eau d’une source ruisselle pour maintenir une température et une humidité optimales. La magie opèreet chaque fromage est unique !
En plus d’avoir le label bio, vos fromages ont la certification «Nature et Progrès». Qu’est-ce que cette mention implique?
Elle signifie que nous allons au-delà du cahier des charges AB, qui garantit seulement l’absence de produits chimiques. Cette certification prend en compte le respect de l’humain et de l’environnement dans sa globalité. Les contrôleurs, parmi lesquels figurent un consommateur et un professionnel du métier, s’intéressent aux bâtiments (bioclimatiques), aux emballages biodégradables ou recyclables, au mode de commercialisation (en circuits courts), à la juste rémunération des intervenants de la filière… Ils vérifient que nous sommes engagés dans une bio éthique, et pas opportuniste.
La fromagerie est actuellement installée chez votre mère. Avez-vous pour projet de la déménager?
Oui, nous sommes en train d’acheter une maison au lieu-dit Dizangue, toujours à Sauvain. Elle dispose d’un corps de ferme adjacent qui, après travaux, accueillera le laboratoire de la fromagerie et une boutique pour la vente en direct. Nous comptons pouvoir ouvrir d’ici deux ans.
En attendant, que peut-on vous souhaiter?
Que l’histoire familiale continue de s’écrire ainsi, sur la bonne voie, en proposant une vraie alternative aux consommateurs.
Cela donne tellement de sens à notre travail.
Magasin ouvert les mardis et jeudis de 9h à 11h, sur rendez-vous (téléphone ou Whatsapp) le reste du temps.
Fromagerie La Griotte
Les Aubépines, 42990 Sauvain
06 36 94 87 44