Chanteur • Guitariste • Dessinateur
Le chat sauvage à 5 pattes
Philippe Meyer disait: «l’homme se distingue de l’animal par plusieurs traits remarquables. Il paie des impôts, écoute du rock’n’roll, rase les poils de son visage et fait cuire une bonne partie de ses aliments». L’homme dont on vous parle, celui aux traits remarquables, joue en plus son propre Rock’n’Roll, jamais aussi bien servi que par lui-même, et dessine, exclusivement au Cristal noir, des œuvres sidérantes qui font couler toute l’encre de ses Bic. Alors, que les choses soient claires, le jour où il raccroche, le cours de la société éponyme prend une calotte symbolique tandis que le stylo jetable qui a fait sa fortune retourne à l’anonymat du scribouilleur et à l’ingratitude de la patte de mouche. Bien sûr, il s’en vendra toujours près de 4000 chaque minute à travers le monde, mais qui d’autre que l’homme dont on vous parle pour promettre le miel à sa main qui le touche? Car, maintenant que les écrivains ont Word et que l’amour perd son latin, quel instant de grâce épistolaire les Bic, aussi orange fussent-ils, peuvent-ils bien encore connaître?
Pour l’heure heureusement, les plus chanceux d’entre eux ont un destin hors-norme et, au lieu d’user leur substantifique moelle pour l’écriture de listes insipides ou d’ordonnances illisibles, peuvent danser sans bavure sur une toile d’artiste. Celle de Franck Comtet, l’homme dont on vous parle, qui, contrairement au chat de n’importe quelle gouttière, n’aura pas assez de 7 vies pour faire le tour de son monde. Dessinateur, aérographeur, rockeur, guitariste, chanteur, et j’en passe, il se définit lui même comme étant la preuve qu’«avec peu, on peut faire beaucoup». En ce sens, le stylo Bic est sa version plastique, ou celle d’un parcours de vie qui, à priori, ne payait pas de mine. Dit-il. Et, en effet, rien ne le destinait à vivre le bon temps du Rock’n’Roll aux côtés de Johnny, à voir ses œuvres nous faire l’effet du réel, à découvrir son Amérique à lui, ni même à savoir un jour piloter autre chose qu’une brouette, comme le lui avait jadis prédit un faux prophète.
C’est pourtant bien en chat de gouttière, cosmique peut-être, qu’il a commencé sa vie. Sans espérer ronronner un jour devant l’âtre d’une cheminée, le poil lustré par des mains manucurées, un kiki de mistigri attaché à son collier. Mais, ce qu’on oublie de dire sur ces félins sans pedigree, c’est qu’ils sont souvent très doués pour le système D, et, surtout, pour la liberté. Franck aurait pu, c’est vrai, finir en chat errant, ou «stray cat», à tromper la famine dans des granges mal famées. Quand bien même, ça lui serait allé. Mais c’était sans compter… une griffe ingénieuse, ou une patte très avantagée. L’une de ses œuvres, d’ailleurs, représente Marjan, le lion du zoo de Kaboul. Mutilé par une grenade pendant la guerre civile en Afghanistan, il est devenu le symbole de la résistance du peuple face aux talibans. Il a survécu, éborgné, jusqu’en 2002. Et, lorsque deux esprits félins se rencontrent, cela donne un portrait, comme une épitaphe, d’une grande intensité. Bref. Ses œuvres en témoignent. L’animal est doué.

Le chat de gouttière
Sans être la réincarnation testostéronée de Cosette, Franck Comtet connaît un départ… compliqué. Il naît à Poncins en 1964, dans un milieu pauvre et rural, qui ne le place pas d’emblée sur le chemin de la confiance en son destin. De ses parents mélomanes, il hérite très tôt le goût de la musique, qu’il apprendra seul cependant. Comme tout le reste. Elevé par ses grands-parents pour palier une situation complexe, il grandit à une centaine de mètres de l’ancienne maison du peintre Charles Beauvery (1839-1923), qui, il en est certain, a dû l’envelopper de l’énergie artistique lui ayant survécu. Petit, il ne lâche que rarement le parent pauvre, mais révolutionnaire, de la plume Sergent-Major, le stylo à bille Bic noir. Qui lui permet quelques voyages qui sont autant d’échappatoires. Car il se sent coincé dans une vie étriquée, limitée. Comble de la disgrâce, ce petit animal efflanqué, qui ne mange presque rien à part du chocolat, cumule les tocs, les bégaiements, les zéros pointés, les complexes et, bientôt, les boutons d’acné. Pourtant, pour lui la vie va commencer. A la mort d’Elvis, dont il se souvient parfaitement, il se dit «c’est çà que je veux être». Le King. Mais vivant, c’est mieux. Alors il se met à la guitare, avec ou sans blue suede shoes, s’entraîne à parler avec un caillou dans la bouche, attire la commisération féminine avec ses dessins, et quitte l’école à 16 ans. Il fait tous les boulots du monde et monte à 15 ans son premier groupe de Rock: Rock Bonbon (qui durera jusqu’en 94 et l’amènera à jouer avec Johnny). Plus tard, une fois le tapage pubertaire mis en sourdine, il s’installe en couple et vit dans une cité HLM de Feurs. Sa fille va naître. Il faut un faire-part de naissance. Les futurs parents sont fauchés comme les blés, «on dire straits», et, de toutes façons, le coup de la cigogne, très en vogue à l’époque, ne les séduit pas. Alors Franck reprend son Bic et dessine un bébé qui sort d’un perfecto. Il emmène sa création chez l’imprimeur qui, bluffé, lui parle d’un poste de peintre en lettres à pourvoir chez Schiavazzi Enseignes au Coteau. Embauché dans la foulée, il y reste un an et demi et y découvre l’aérographe Air Brush, qui a la taille d’un stylo. Décidément… Puis il décide de créer sa propre entreprise de communication visuelle à Feurs, AéroPub, qu’il développe pendant 20 ans, soit jusqu’à la fin des années 2000. Après quoi, lassé d’avoir fait et refait le tour de la question, il revend et s’envole pour le Maroc, d’où il revient en 2011, chassé par le printemps arabe. Mais alors… que faire?


La vie Rock’n’Roll
En parallèle de ses vies professionnelles, Franck n’a jamais arrêté de donner des concerts, très rocks, aux 4 coins de la France, avec ses groupes successifs : Rock Bonbon d’abord, avec lequel il a accompagné à deux reprises l’idole des jeunes, Franck Comtet Trio ensuite, avec lequel il a fait la première partie de Chuck Berry à Montbrison en 95, puis Franck and The Gold Searchers, toujours d’actualité, fondé notamment avec un musicien de Renaison : François Forestier. Fan d’Elvis Presley, Franck n’a pas oublié de vivre et a fait sien le genre musical qui l’a rendu célèbre : le rock des années 50. Avec talent certes. Mais sans caractère exclusif, comme vous l’aurez compris. Car ce poly-passionné à plusieurs carrières à mener. Comme lorsqu’il part un an à Miami pour réaliser des peintures à l’aérographe sur des motos de concours, ou qu’il passe 3 ans à être peintre de l’air, lui qui est aussi pilote d’avion. Dopé à l’instinct, Franck s’est toujours autorisé «une vie de fou», souvent peu compatible avec le rythme d’un foyer, ou en totale résonnance, parfois, avec un titre comme «My baby left me». Après tout, It’s Now or Never. Lorsqu’il revient en France en 2011, après l’escale marocaine, il rachète des stylos Cristal noirs, la base de la base, et se remet à dessiner. Alléluia.
En 20 ans d’abstinence, il n’a rien perdu et, même s’il n’a jamais oublié les rêves et les mercis, il retrouve tout de go l’envie d’avoir… un Bic. Car cette bille-là, mon vieux, elle est terrible. A force d’énormément de travail, les nouveaux pouvoirs qui lui sont conférés par cette pointe fine aux pigments révélateurs le confortent dans sa foi en l’adagequi l’a porté: avec peu, on peut faire beaucoup.



Un stylo à haut potentiel artistique
100 à 150 heures de travail pour chaque dessin hyperréaliste. Pourtant, ne lui parlez pas de Posca, de portemine ou de crayon graphite. Ce qu’il veut, lui, c’est le Bic Cristal noir, son corps transparent, hexagonal et robuste, fidèle sur au moins 2km d’aller-retour. Pas d’angoisse de la feuille blanche, l’inspiration est infinie, mais de la bavure, oui. Car Franck ne gomme rien, jamais. La densité de l’encre est telle que la correction est impossible. Quant au blanc, c’est uniquement celui du papier non recouvert par ses traits précis. Et remarquables, donc. Il a exposé et vendu un peu partout, gagné en 2014 le 1er prix d’art contemporain de Toulouse, participé à 6 reprises au Salon d’Automne. Et ça l’amuse. Et son regard rieur n’en revient toujours pas. Lui, le cancre boutonneux auquel un professeur de maths avait dit un jour « vous serez pilote, oui, mais de brouettes ! », passe aujourd’hui ses journées, dans ses Landes adoptives, à dessiner sur une table à dessin offerte jadis par son grand-père, et à répéter toute la musique qu’il aime. S’il a beaucoup représenté les femmes du monde, aux regards extraordinaires, il se consacre de plus en plus à la condition animale et au devenir de leur monde. Qui est aussi le nôtre, sans que nous en fassions un usage admirable. Il tire de ses Bic bien plus que 50 nuances de gris, qu’il fixe ensuite car l’encre est sensible aux UV.
Il n’a jamais plus de 25 pièces originales d’avance et pense éditer prochainement certaines de ses œuvres en tirages d’artiste, limités, certifiés et numérotés, afin de répondre à une demande croissante (à suivre sur son site…). S’il a aujourd’hui quitté sa région natale, il y revient très régulièrement pour voir ses nombreux amis, donner des concerts ou participer à des expositions, comme ce fut le cas il y a peu au musée de Feurs. Il n’hésite pas alors à partager ses joies, ses épreuves et son acharnement avec de jeunes élèves, espérant leur faire comprendre que peu importe la destination, seul le voyage compte. Lui a trouvé son moyen de transport, impressionnant d’humilité : 14,7cm de polystyrène même pas chromé. Mais fidèle à sa liberté.
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