Culture de fleurs locales biologiques
L’écloserie enchantée
C’est vrai, les fleurs, c’est périssable, avec ou sans accent. Argument d’Harpagon blasé, ou rhétorique frisquette de neurasthénique. Quelle tiédeur maussade, quelle constipation sensuelle, quelle tristesse amère faut-il donc héberger pour envoyer sur les roses ces messagères délicates? Arriver comme une fleur et se prendre un râteau, se voir préférer les bonbons, puisque les bonbons c’est tellement bon… c’est le bouquet, n’est-ce-pas, pour qui vient d’être cueillie pour des nèfles. Hors allergie à la poudre de soleil, ou à la portée symbolique de certaines variétés, comment ne pas faiblir devant une azalée, ne pas se souvenir devant un myosotis («ne m’oublie pas» en anglais), ne pas rougir devant une pivoine ou espérer finir sur un «passionnément» en effeuillant une marguerite ? Ces drogues douces aux effets purement contemplatifs, qui font les déclarations subtiles ou les promesses silencieuses, méritent au moins un vase de la bonne taille, si ce n’est une étreinte impudique, pour pouvoir s’en aller faner l’esprit léger. Mourir pour des sentiments d’accord, mais avec suffisamment d’eau pour qu’ils durent encore. L’anémone pour la confiance, l’œillet pour l’audace, le bleuet pour la tendresse, le muflier pour le désir, la digitale pour l’ardeur ou encore l’anthurium rouge pour la fougue sensuelle… ou tout à la fois juste pour le plaisir (Herbert Léonard forever). Qui d’autre dans la nature a un langage aussi fleuri, capable de jeter aux orties les barrières linguistiques et de dire sans un mot « je vous aime» (l’azalée), «vous m’importunez» (la bardane), « mon cœur sommeille » (le pavot), ou encore «je retrouverai grâce à vos yeux» (la scorfulaire)? Bien entendu, tout le monde n’est pas licencié en Lettres Botaniques, et plus personne n’offre une rose jaune pour demander pardon après une infidélité, ou une boule de neige pour confesser un désamour. Seuls les roses rouges et les chrysanthèmes font encore sens pour le commun des mortels, les premières pour se déclarer ou remettre le couvert, les seconds pour fleurir les tombes. Alors qu’ils symbolisent, dans d’autres partie du monde, le renouveau, la positivité ou la constance dans l’amour. Quoi qu’il en soit, la fleur coupée est un business juteux. Elle est de toutes les célébrations, de tous les intérieurs bohêmes, de toutes les dragues vieille école, de tous les remerciements et même, de tous les manques d’inspiration. Seulement voilà, ce business charrie plus souvent qu’à son tour dans les bégonias, induisant des cultures intensives au bilan carbone pas très rose, et pour les cueilleurs de fleurs, des conditions de travail les conduisant à manger rapidement les pissenlits par la racine. Environ 85% des fleurs coupées vendues en France proviennent de l’étranger (Kenya, Ethiopie et Equateur en tête) et, lorsqu’elles viennent de pays limitrophes comme la Hollande (au climat inadapté à la culture de certaines variétés), ces petites merveilles ont poussé sous serres chauffées, engendrant une dépense énergétique supérieure à celle de ses consœurs kenyanes. Et ouais, on marche sur la tête. Ou on part dans les pâquerettes.
Alors pour prendre la clé des champs, il n’y a pas 36 solutions. Il y en a une, moins radicale et plus réjouissante que l’arrêt de la consommation : le choix de fleurs locales et de saison. Le glaïeul en septembre, le physalis (ou amour en cage) en novembre, la tulipe en février, la pivoine en juin, le lys royal en juillet et ainsi de suite. La nature est bien faite.
Dans une dynamique durable, la ferme florale Poppie, de l’anglais Poppy (coquelicot), cultive justement à Neulise des fleurs bios et éthiques qui n’ont rien à envier aux belles plantes venues d’ailleurs. Si ce n’est des heures de vol ou des substances toxiques interdites en Europe. Bien plus que de simples ornements, ou de vaines coquetteries, elles symbolisent la résistance face à la logique des fous, et la résilience possible d’écosystèmes fragiles.

Les jeunes pousses
Sophie Douillon, originaire du Haut-Beaujolais, a, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, toujours rêvé d’être fleuriste. Certes, son projet s’est affiné avec le temps, mais avouons que sa suite dans les idées ne l’a pas envoyée promener bien loin. Après une licence professionnelle en agriculture biologique, elle devient ingénieure agronome et obtient ensuite un poste à la Chambre d’Agriculture de Roanne. Croyant faire une croix sur ses projets de jeunesse. Et puis, les fleurs cultivées aux pesticides à l’autre bout du monde, très peu pour elle. Elle découvre cependant que des fermes florales biologiques existent, en Angleterre ou aux Etats-Unis, et que la France n’est pas un exemple en la matière. La réflexion commence et Sophie troque peu à peu son désir de boutique odorante contre celui d’un lopin de terre où faire pousser ses chimères enfantines. Mais l’accès au foncier est loin d’être évident pour une micro ferme. Fort heureusement, une dynamique collective existe dans le roannais, et ailleurs, pour favoriser le développement d’une offre biologique locale.



La CoPLER permet en 2017 l’installation d’une maraîchère bio sur la commune de Neulise, Aude-Marie Moyne et «Les Légumes de Neulise». Les 5 hectares de terre, qui comprennent un bâtiment agricole de stockage partagé, sont bientôt rachetés par l’association Terre de Liens, un mouvement citoyen français dont l’une des ambitions est de supprimer le poids de l’acquisition foncière pour les agriculteurs, ainsi que d’œuvrer à la préservation du foncier agricole. Sophie rencontre Aude-Marie en temps de Covid et leurs affinités tombent du ciel. Un an plus tard, soit au printemps 2021, et après quelques stages et de nombreux tests «maison», La ferme Florale Poppie, gardienne zélée de la biodiversité, sort de terre. Aux côtés d’une 3ème acolyte, productrice de fruits rouges: Les Brindilles.

S’épanouir en beauté
Un mouvement est lancé, car d’autres fermes florales se sont depuis installées sur le département. Un groupe de producteurs s’est formé sous la bannière du Collectif de la Fleur Française, un réseau qui a vocation à soutenir une agriculture plus responsable et à faire évoluer les pratiques de consommation. Sophie s’inscrit dans le mouvement Slowflower, qui promeut les fleurs locales et de saison, fraîches de mars à novembre, séchées en hiver: une soixantaine de variétés qu’elle cultive au fil des mois en plein champ ou sous serres non chauffées. Elle n’utilise ni pesticide ni engrais de synthèse et laisse l’équilibre naturel préserver les sols et la biodiversité. En hiver, elle achète ses graines, bio ou non traitées, et sème tous les plants de ses plantes annuelles. Soignant au passage les bulbes ou rhizome des plantes vivaces. L’année s’égrène selon un rythme immuable, entre semis, plantations, cueillettes, formations et préparation des saisons à venir. Protectrice d’un sol nourricier, elle conjure les émanations néfastes associées à cette logistique internationale qui prévaut dans le commerce floral. Enfin, les anémones, digitales, pivoines, narcisses ou autres tulipes viennent d’une ferme accessible, d’un jardin mitoyen. Et concourent à la vitalité de notre économie et au renforcement de notre tissu social.

Le marché florissant:
fleurs locales, économie durable
Alors oui, très bien… mais où trouve-t-on tout ce bonheur, qui s’érige en rappel élégant de notre lien vital avec la nature, et de notre responsabilité à son égard? Directement en magasin (Ikebana à Roanne, L’Atelier de Juliette à Balbigny, La Vie en Roses à Boën-sur Lignon), sur le click&collect de la CoPLER ou encore sur le lieu même de production. La Ferme Florale Poppie propose en effet toutes sortes de compositions de saison, pour quelque évènement que ce soit (bouquet de mariée, arche…). Etant entendu que, fidèle à ses convictions, Sophie n’utilise pas de mousse hydrophile pour figer ses fleurs, mais prend plaisir à les agrémenter de feuillages aromatiques (marjolaine, menthe, basilic…). Son principal client pour l’heure reste un grossiste lyonnais, spécialiste de la fleur française, qui chaque semaine lui achète sa production au prix juste. Et puisqu’on en parle, précisons que Sophie fixe des prix à l’année, sans risque de les voir flamber pour compenser la facture énergétique scandaleuse due aux serres chauffées. Pour des fleurs fraîches, stables, locales et de qualité, qui n’auront pas parcouru le monde entier dans des avions réfrigérés. Elle aimerait, à l’avenir, trouver son rythme de croisière, et pouvoir compter sur une aide régulière. Mais rester là où elle est, à cohabiter avec les pucerons et les taupiers, à participer de la survie de tant d’autres créatures moins ravageuses peut-être, à incarner une connexion profonde avec son environnement, à être le porte-étendard d’une nature orfèvre, et à se sentir libre.



250 route de Pinay – 42590 Neulise
Tél : 06 42 92 95 60
fermefloralepoppie@gmail.com