Quintessence de nature
Théorie et pratique de la délicatesse
Donner la définition du mot chat n’est pas une tâche ardue. C’est un mammifère carnivore de type ronronnant et de taille moyenne. C’est, tout au plus, un terme d’affection, voire, dans sa version féminine, une familiarité pour qui ne veut pas appeler un chat un chat. Pour définir la délicatesse en revanche, le champ des possibles gagne du terrain et il est chimérique d’en vouloir faire le tour comme on fait celui de la question féline. Essayons cependant, le mot en vaut la chandelle. Il y a ce qui se distingue par sa finesse, sa légèreté et son aspect gracieux. Une plume de paradisier grand émeraude en serait un bon exemple. Il y a ce qui flatte l’un ou l’autre des sens. Pourquoi pas, en illustration et en toute subjectivité, une crème glacée al pistaccio, avec son non so cosa qui la rend sans précédent. Il y a la douceur, l’harmonie, la pureté d’une physionomie, comme une jeune fille à la perle non encore tentée par le bistouri. Il y a l’élégance du goût, l’élévation du sentiment, le talent tangible. Qui font d’une œuvre, littéraire ou autre, un onguent contre la difficulté d’être. Il y a les qualités d’empathie, d’obligeance, de discrétion, de précaution, d’un être humain envers son semblable. A l’opposé des jets de pierre, des jacassements, des ordalies et des « j’aurais fait autrement ». Il y a ce qui demande une stratégie, un calcul, un recul, avant d’être abordé, compris ou résolu. Comme annoncer à des parents que leur enfant est plus insupportable que surdoué. Il y a aussi la précision arachnéenne, le doigté minutieux, l’adresse féline, le travail d’orfèvre. Qui nous pare d’un bijou, d’un carré de soie peinte, nous fait admirer l’architecture ottomane ou les fresques de la chapelle sixtine. Et puis il y a l’impensable, ou ce à quoi personne n’avait encore pensé. Une légèreté faite de nuances, des extraits de nature revenus de l’ère du verre, un monde végétal recréé dans toute sa fragilité mais aussi, brin d’herbe après brin d’herbe, dans toute sa puissance évocatrice et sa patience prodigue. Il y a le geste précis, gracieux et délié, qui transforme une matière sensible en une oeuvre qui l’est plus encore. Il y a l’intention affable, le voeu chaque jour reformulé, de rendre à la terre le droit fondamental d’exister. Cette délicatesse-là, observable dans la manière comme dans le résultat, est celle de Catherine Bailly, artiste forézienne qui chaque jour recrée, en verre chauffé et filé, les tapis organiques et merveilles florales que la terre a sans nul doute portés. Un travail inouï, fait de caresses en l’air et de constance bucolique. Et pour nous : une quintessence de nature à préserver, un alcoolat d’émotions à savourer.

Entre les lignes
Catherine, originaire de Saint-Galmier, a fait des études en communication graphique puis aux Beaux-Arts de Saint-Etienne. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours aimé travailler la « matière », la terre, le verre, le grès, la porcelaine…, et créer des volumes. C’est pourtant vers l’info-graphisme qu’elle s’oriente au sein d’une agence d’édition émergente dans les jeunes années 2000. Elle y reste 20 ans, tout en exerçant en parallèle une activité artistique (céramique, sculpture, dessin…). En 2011, et gagnée par l’attrait de la transparence, elle suit une formation pour réaliser des perles en verre au chalumeau. Alors, elle ne s’arrête plus, d’aimer cette matière et ses possibles applications. Elle admire Michi Suzuki, une artiste japonaise installée en France, bien connue du mouvement de la perle d’art de collection et de la discipline récente du verre artistique. Elle souhaite s’en démarquer cependant et, petit à petit, oriente son travail vers la réalisation de décors végétaux en verre filé au chalumeau, qu’elle installe ensuite confortablement sur du bois flotté récolté en méditerranée. Au même moment, l’entreprise qui l’emploie connaît, elle, la crise. En 2020, Catherine se porte volontaire pour faire partie d’un premier débarquement économique. Elle sent que son heure est venue, de renouer à temps plein avec son rêve d’enfant, et d’embrasser une carrière d’artiste.



Les extraits graciles
Des extraits de nature, qui initient une « réflexion sur sa délicatesse, son élégance et sa fragilité, même dans son expression la plus courante, et la plus universelle à nos yeux ». Pour recréer ces ambiances organiques, propices aux émotions mystiques, Catherine utilise du verre sodocalcique, très sensible aux variations de températures mais dont la souplesse, une fois travaillée, permet une finesse proche de celle de la fibre optique. Elle se sert de baguettes de différentes couleurs qu’elle chauffe au chalumeau, lui-même alimenté en oxygène et propane dont elle règle le dosage « à l’oreille » pour obtenir une température aux alentours de 1200°C. Elle « entre » alors dans la flamme puis la gestuelle, rigoureuse et ondoyante, permet une mise en forme précise. On observe ses mains, toujours en mouvements rotatifs, qui, à l’aide de pinces brucelles, pinces plates ou autre palettes graphites, jouent avec la gravité. Les brins d’herbe, les coeurs de marguerite ou les coquelicots ainsi sortis de l’air ambiant sont alors refroidis dans de la poudre de vermiculite (un minéral naturel) ou placés dans un four de recuisson pour davantage de solidité. Elle fait ensuite de minuscules trous dans une pièce de bois flotté dans lesquels elle fixe, un à un, chaque élément de sa composition. Il faut une patience angélique, sans tremblements ni bouillonnements, et Catherine peut passer jusqu’à 3 mois sur une même oeuvre. Dont elle vit l’aboutissement comme une naissance. La plupart de ses pièces sont alors placées sous une cloche, fabriquée en verre, borosilicate cette fois, par le souffleur lyonnais Théo Beaumont. Pour les protéger des indélicatesses poussiéreuses de leur environnement, comme le font les parcs nationaux des activités humaines.


Les détails font la perfection
Et, disait De Vinci, la perfection n’est pas un détail. L’une des oeuvres de Catherine est faite de 3000 brins d’herbe, tous ayant une nuance unique qui les fait s’approcher du vivant. Et c’est bien là ce qui l’intéresse : le vivant et ses détails, la nature et son ingéniosité. En « fille de la campagne », elle trouve depuis toujours, dans le monde végétal qui l’entoure, non seulement des merveilles chromatiques mais surtout, une extraordinaire capacité de résilience qui essaime la vie partout. Alors elle s’est inventé un métier d’art, et s’étonne d’être la première à en avoir eu l’idée. Depuis, elle fait voyager ses créations, du salon Résonance(s) de Strasbourg au Flame’Off de Nancy, de la biennale des verriers à Carmaux en passant par… un rêve américain. Elle est exposée à la Galerie XXIe à Montbrison, où nous avons découvert ses oeuvres avec émotion, et vient d’intégrer l’atelier Céramiques et Cie à Saint-Galmier, où elle compte proposer des cours. Elle aurait pu, comme elle en avait l’intention première, se spécialiser dans la création de bijoux en verre. Avec la crainte, cependant, de se retrouver enfermée dans une perle. Elle a finalement préféré, mais a-t-elle eu le choix, conserver ses éblouissements sous cloche et, avec eux, le lichen de son jardin, la sylve silencieuse, et un sanctuaire pour la beauté du monde.