Par amour du jeu, nous aurions pu écrire des adjectifs sur de petits bouts de papier que nous aurions ensuite mélangés dans une urne. La main du hasard aurait peut être tiré les suivants : Sidérant, Piquant, Désopilant, Fendant, Délirant, Répugnant, Percutant, Sanglant. La règle du jeu, cette farceuse, nous aurait dit «maintenant débrouillez vous pour faire un portrait avec ça». Et nous aurions trouvé.
Il existe chez nous à Roanne, un dessinateur du 9ème art, Guillaume Griffon, en phase totale avec le résultat de ce tirage au sort qui n’a pas eu lieu. Avant même de le rencontrer, nous savions que nous pourrions replacer chacun des adjectifs sus nommés dans la description que nous ferions de son travail.
On vous présente cet auteur roannais de bandes dessinées dont l’actualité est en marche puisqu’il sort le 2 Février l’avant dernier album de sa série « Apocalypse sur Carson City ». N’ayez pas froid aux yeux, ne passez pas par la case brushing et rendez vous dans le monde des sales gueules. Si votre livre de chevet est le traité des bonnes manières suivant Nadine de Rothschild, un conseil : passez votre tour. Quoique…
DE L’EAU DE ROSE À L’HÉMOGLOBINE
En 1975 naît à Roanne une petite gueule d’ange destinée à tailler plus tard le portrait de démons ou de sauvageons pas beaux à voir. Guillaume, d’abord doué pour le dessin, se passionne ensuite pour les films d’horreur et fantastiques.
En premier lieu, il rêve d’être maquilleur, mais pas exactement pour farder les minettes de podiums ou les élégantes de plateaux télé. Non. Son genre à lui, ce serait plutôt les yeux qui saignent, les dents d’acier taillées en pointe et la peau pleine de vermine. Et sachez que les filtres sont en place pour ne pas vous effrayer.
Le dessin le rattrape à l’heure de choisir sa voie et Guillaume fait l’école Emile Cohl à Lyon, dont il ressort avec un diplôme d’illustrateur-dessinateur. Il part 18 mois en Floride et travaille pour Disney World en tant que caricaturiste, déguisé tous les jours en sacré français. Aucun cliché ne lui est épargné: esprit Montmartre, marinière, béret et petite cravate rouge à la Renaud. De retour en France, il se spécialise en 3D et infographie, toujours à Emile Cohl.
LA NAISSANCE DE BILLY WILD
Guillaume revient s’installer à Roanne, mais, l’amour, l’eau fraîche et les zombies ne suffisant pas à le nourrir, il travaille pendant 4 ans dans l’entreprise textile familiale, à la création de la collection masculine en collaboration avec une styliste. Parallèlement, il commence à noircir des pleines pages d’illustrations et se pointe finalement au festival de BD d’Angoulême avec son carton sous le bras. Là, on aime son dessin qui ne rentre cependant, (vive nous!) dans aucune case. Jusqu’à ce que son actuel éditeur, Akileos, refuse de laisser s’effacer ce coup de crayon. Il lui dégotte un scénariste et le 1er tome de Billy Wild sort en 2007. Dans le petit milieu de la BD underground, c’est un raz de marée noir et blanc qui devient culte très vite. Fatalement, car le résultat est sidérant, piquant, désopilant, fendant, délirant, répugnant, percutant et sanglant. Cà, c’est fait.
Guillaume quitte l’entreprise Griffon pour renaître à lui-même et se consacrer à l’histoire de Billy Wild… Un gars du Far West mal dans sa peau qui croise le diable et devient par son entremise la pire terreur de l’ouest. Une sorte de Sergio Léone horrifique et un peu mystique.
Dès le 2ème album, il prend ses marques scénaristiques et, lui qui a souvent été maître de jeu de rôle papier, assume bientôt illustrations et scénario.
APOCALYPSE SUR CARSON CITY
En 2010, Guillaume accouche seul et toujours en noir et blanc du 1er Apocalypse sur Carson City. Un accouchement bien entendu hémorragique, féroce et turbulent. Il voulait faire un remake des Morts Vivants, sous forme de patchwork « nanardesque », c’est-à-dire un pèle mêle de références à tout ce qu’il adore : les séries B décalées, les films Pop Corn avec effets spéciaux maison, les films d’action qui dégoulinent de transpiration, les films d’horreur typés ringards et tous ceux qui ne se prennent pas au sérieux en crachant du cliché à longueur de scènes.
Guillaume se laisse toujours des vides scénaristiques et il s’agit au final d’un mélange d’histoires à la Pulp Fiction, gravitant autour de gangsters en cavale dans une ville envahie par les zombies. Sept tomes d’amalgame totalement fluide où chaque personnage a une fiche signalétique. Notre came habituelle est plutôt du genre «Le Rouge et le Noir» ou « Retour à la terre » et contre toute attente, nous avons adoré Trap Jaw ou l’ogre de barbarie qui a la voix d’une fillette de 10 ans, American Ninja avec son bandeau à la Véronique et Davina qui lui glisse sur les yeux quand il transpire, ses héros qui ressemblent à Chuck Norris ou Steven Seagal, avec moustaches d’acteurs porno ou sabres d’argent frottés à l’ail…
Les albums commencent comme un film avec avertissements au public et autres annonces détournées, pour se terminer parfois par un « coupez » très 1er degré. Vous verrez des kms de tentacules, des carotides juteuses, des supercopters, un déchaînement de brutalités et de portes dégondées, des furies qui mettent les 4 doigts et le pouce, des gueules d’empeigne suppliciées, des tornades de requins blancs qu’on envoie dinguer et des sales bonhommes qui ont bien du mal à avoir une relation stable. C’est déjanté, sauvage, immodéré et drôle. Les dialogues tranchent dans le lard et les descriptions sont truculentes.
Surtout, ses portraits de gueules cassées sur fond blanc sont saisissants et efficaces. On voit le vécu, la testostérone fragile, le monde impitoyable, la chair à canon, et le talent fou.
Guillaume est en train de décliner «Apocalypse sur Carson City» en jeu de société qui sera présenté aux prochaines « Vendanges Ludiques » de Saint Vincent de Boisset en septembre. D’ici là, vous le reconnaîtrez peut être dans les rues de Roanne ou le croiserez, pour les plus pointus, à Saint Malo, Angoulême, Lyon…
Il signera bientôt des dédicaces pour la sortie de son album. Allez faire les curieux, il est tellement important de l’être dans la vie, pour être sauvés d’une « non- mort certaine » et vous étonner de tant de douceur dans son monde de brutes.