BD – « L’Odyssée d’Hakim »-Tome 1
Auteur : Fabien Toulmé
Édition : Delcourt
Mettre des visages sur des drames, suivre au plus près la fuite, être précis jusque dans les moindres détails afin de mieux se sentir concerné, tel est le projet de Fabien Toulmé, l’auteur, entre autres, du très beau « Les deux vies de Baudouin, en 2017. Hakim ne sera donc pas un nombre de plus, un individu recensé, un parmi la longue litanie des quotidiennes informations égrenant, laconiques, un chapelet de naufrages, de noyades. Fabien Toulmé a rencontré Hakim, réfugié syrien, dans leur désormais ville commune : Aix en Provence. Il a alors souhaité, afin de donner âme et corps à son projet, dessiner et écrire l’Odyssée d’Hakim. Car oui vraiment c’est une incroyable odyssée que d’essayer de rester en vie quand on fuit. En Syrie, la guerre éclate. Hakim vient d’être torturé. Il part, laissant sa famille, ses enfants, son entreprise, sa vie pour tenter de la conserver, de la reconstruire, dans un pays plus humain. Fabien Toulmé retrace donc le parcours d’Hakim en 304 pages d’un dessin sans pathos ni fioritures de la Syrie à la Turquie. Bouleversant, le récit oscille entre violence et espoir, le témoignage dessiné d’une vie de migrant, par un illustrateur humaniste, qui brise l’indifférence.
BD – « Didier, la 5e roue du tracteur »
Auteur : Pascal Rabaté / François Ravard
Édition : Futuropolis
Retrouver Rabaté est toujours un plaisir alors lorsqu’il partage l’affiche avec François Ravard, celui-ci est doublé… Didier est agriculteur, célibataire, un peu rond, un peu picoleur, circulant en mobylette, vivant sous le toit de sa soeur Soazig. Cette soeur qui désespère de le voir seul. Elle se met donc en quête et en tête de lui trouver le « grand amour » via un site de rencontre. Didier, quant à lui, possède ses propres critères. Il souhaite vivre avec une femme «rigolote », lui qui manie l’humour avec habilité et demeure farceur. S’ensuit alors une quête amoureuse vécue comme une chasse aux trésors. Simpliste selon vous ? Cette bande dessinée drôle et énergique évoque la campagne, la désertification, la difficulté de vivre seul et celle de trouver à ne plus vivre seul. Des sujets forts abordés avec tendresse pour une bande dessinée incitant au bonheur.
BD Jeunesse – « Kong-Kong »
Auteur : Vincent Villeminot
Illustration : Yann Autret
Édition : Casterman
Abélard est un jeune garçon plein de malice et de rêves. Un vrai gosse donc. Alors quand ses parents lui annoncent qu’ils vont emménager dans une tour, lui imagine dès lors un château formidable, avec un pont levis, des tours, des créneaux et pourquoi pas alors devenir chevalier. Oui pourquoi pas… La déception est immense, bien entendu. La machine à rêves tombe en panne comme l’ascenseur d’ailleurs, et les 82 étages à gravir sont forcément bien éprouvants. Heureusement dans ce château en toc, vit une princesse, la jolie petite Héloïse. Ces deux-là vont devenir inséparables. Mais pourquoi « Kong-Kong » alors ? Car un gorille vit sur le toit de l’immeuble, tout simplement… et c’est Héloïse qui en a la charge. Tout simplement ! C’est le premier tome des aventures d’Héloïse et d’Abélard et quand on connaît l’imagination débordante de Vincent Villeminot, il ne reste plus qu’à attendre les suivants avec l’impatience d’un enfant.
ROMAN – « Là où les chiens aboient par la queue »
Auteur : Estelle-Sarah BULLE
Édition : Liana Lévi
Une plongée superbe en terres guadeloupéennes dans les années 40, dans un petit village isolé, à la rencontre de personnages hauts en couleurs, d’une famille : Les Ezechiel. Le grand-père, ce roc immuable posé sur son morceau de terre, Hilaire, les tantes dont la très fameuse Antoine que la narratrice cuisinera pour goûter l’ambiance de vie mais aussi pour comprendre le chemin que traceront ces tantes de l’île à la capitale. La lecture de ce livre est une joie accentuée par l’insertion habile d’expressions créoles tendres, drôles ou caustiques, dont ce titre énigmatique et imagé. C’est également un livre de mémoire, avant que celle-ci ne disparaisse, la mémoire de ces français d’outre-mer venus s’expatrier par l’intérieur en métropole. Estelle-Sarah Bulle donne corps à ces corps déplacés, de la couleur de l’île à la grisaille banlieusarde, du commerce bringuebalant, indispensable et joyeux à celui chiche et procédurier de la capitale. C’est un hommage à cette génération, dure à la tâche, forte en gueule, déracinée. Un premier roman tendre et ample, une superbe découverte de la rentrée littéraire dont les personnages suivront longuement le lecteur une fois le livre refermé.
ROMAN – « Capitaine »
Auteur : Adrien BOSC
Édition : Stock
Marseille, 24 mars 1941, un paquebot défraichi, couchettes de bric et de broc, prend la mer emportant à son bord un incroyable contingent d’intellectuels et d’artistes, « réprouvés de Vichy », et d’inconnus, fuyant l’ennemi afin de se rendre en Amérique. Citons alors pêle-mêle André Breton, Lévi-Strauss, Victor Serge, Anna Seghers. Voyage en haute mer, en haute littérature, ce « Capitaine » est un roulis permanent, ne laissant au lecteur aucune chance de s’appuyer calmement contre le bastingage du paquebot. Histoires, anecdotes, digressions sont autant de vagues qui plongent celui-ci dans un bouleversement de ses habitudes littéraires. Il faut embarquer, avoir un peu le pied marin et se laisser aller à cette érudition habile et distrayante loin d’un catalogue appliqué de connaissances. Incroyable traversée, ce « Capitaine », comme une certaine « Boussole » ne laissera pas indifférent.
ROMAN – « Balles perdues » Auteur : Jennifer CLEMENT
Édition : Flammarion
Trad. anglais : Patricia Reznikov
Après le bouleversant « Prières pour celles qui furent volées »*, « Balles perdues » confirme le talent de Jennifer Clément à nimber son univers d’une petite musique toute doucereuse qui tranche follement avec la violence ou la douleur des situations. Le choc est alors plus rude encore. Margot et sa fille vivent dans un coin paumé de Floride, dans leur voiture, maison Mercury, trésors dans la malle, au milieu de quelques caravanes et mobil-homes. La mère pose sur le monde un regard de grande naïveté, croyant encore, malgré les turbulences, pouvoir déceler la beauté en chacun. Pearl, la fille, se contente de l’amitié nouée dans ce camp de fortune avec Avril May, et décrit le monde avec une franchise déconcertante. La vie s’écoule, finalement sans heurts. Apparaît alors Eli, le nouvel amant de Margot, trafiquant d’armes malsain qui sèmera la zizanie dans ce bonheur précaire. Brillant.
Par la Librairie LE CARNET À SPIRALES
3 bis Place de la Bouverie – CHARLIEU