Le vécu par le vivant
On y est. Le plus connu des Taureaux Assis, Sioux parmi les Sioux, homme sage persécuté par l’homme sauvage, peau rouge affamé par la race blanche, connaît plus que jamais une reconnaissance posthume de sa clairvoyance. Bien sûr, quand on est membre de la Société des Bisons, de ceux qui ont rêvé de bisons, et de la Heyoka, de ceux qui ont rêvé d’oiseaux-tonnerre, avoir quelques longueurs d’avance sur ceux qui rêvent mondialisation semble évident. Tous n’ont pas lu la pancarte
« prière de laisser le monde dans l’état dans lequel vous l’avez trouvé ». Y’a qu’à voir les toilettes publiques ou les aires de pique-nique. Quoi qu’il en soit, Sitting Bull avait vu juste : « Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils s’apercevront que l’argent ne se mange pas». Certains sont longs, très longs, à la détente, pour constater que la prophétie amérindienne est en bonne voie de réalisation. Pourtant, la tristement fameuse pandémie appuie sur bien des endroits où ça fait mal, dont notre non autonomie alimentaire. Alors oui, on peut continuer à manger des fraises en hiver ou des haricots du Kenya, des pommes aux 36 traitements chimiques ou de l’avocat qui voyage en 1ère classe, de la viande industrielle engraissée au soja (super combo gagnant) ou du saumon sans plus d’écailles à force d’agonie… mais on peut, aussi, miser sur une dynamique paysanne, une intelligence collective plus proche de Bison Futé que de Vautour Arrogant. Une façon, en somme, de faire bataille, de couper le roi, de crier « crapette » ou « contre-sirop », suivant les goûts.
Parmi ceux qui ont encore des atouts dans leur jeu, et sûrement un peu/beaucoup/passionnément de sagesse Sioux dans leur schéma de pensée, la ferme d’Etamine à Ouches annonce sans bluffer que l’autosuffisance alimentaire n’est pas, ne doit pas être, une chimère qui passera de mode en même temps que le vert. Premier espace test agricole (ETA) certifié bio de la Loire, sur une soixantaine au niveau national, cette couveuse est née de la volonté de pallier le manque de production maraîchère sur le territoire, tout en permettant à des porteurs de projets de s’essayer aux métiers nourriciers. Qui sont, par définition, des métiers d’avenir. Si l’effet papillon fait que prendre un bain moussant à Roanne peut flinguer un ours polaire, ne sous estimons jamais, non plus, la portée des énergies positives. De moins en moins isolées d’ailleurs. Alors oui, croyons que Nicolas, en cultivant sans intrants chimiques un sol vivant à son rythme, pourra non pas provoquer une tornade au Texas, mais contribuer à ce que l’Afrique ne crève plus la dalle dans le monde d’après, ou, comme aurait dit Sitting Bull, à ce que « la terre continue à chaque printemps de recevoir l’étreinte du soleil ».
Etamine : action-réaction
En 2013, le constat est sans appel : notre agglomération manque de production maraîchère. D’ailleurs, et en règle générale dans les villes françaises, seulement 0,5 à 9% de l’alimentation consommée est produite localement. Car bien souvent, et sans forcément connaître de pénurie, la production locale part loin, via des circuits alimentaires mondialisés. Ainsi, en cas de crise majeure, Lyon aurait 4 jours d’autonomie. Concernant l’eau potable, même les habitants de villes thermales se trouvent forcés de s’approvisionner ailleurs, tant leurs nappes sont épuisées par Nestlé Waters et compagnie. Notre bassin, lui, est excédentaire en production de viande bovine, déficitaire en fruits et légumes. Etant donné qu’il nous en faut 7 par jour pour ne pas avoir le teint brouillé, 98 000 hectares de surfaces agricoles sont nécessaires pour nous fournir une assiette équilibrée. Or, nous en possédons 105 000 hectares. Quantitativement, c’est un cas d’école. Pas si facile que ça cependant, puisqu’il faut utiliser différemment les surfaces agricoles, tendre vers des modes de production plus économes et plus autonomes, et changer les habitudes alimentaires. L’association Etamine, née en 2016, est un pur produit de cette réflexion. Installée sur la Ferme des Millets, propriété de Roannais Agglomération, elle a pour objectif de « faciliter les installations hors cadre familial, de favoriser la transmission progressive d’exploitations sans repreneur, de développer le bio et les circuits courts ». En bref, elle sert de couveuse et de pépinière à des « testeurs », pour la plupart non issus du monde agricole ou rural. Pendant 3 ans, elle leur fournit un cadre juridique, un accompagnement, et des moyens de production (foncier, matériel, serres, bâtiments…). Six structures sont impliquées dans le bon fonctionnement de l’aventure : Roannais Agglomération, la commune de Ouches, l’ARDAB (Association des Producteurs Biologiques du Rhône et de la Loire), le lycée agricole et forestier de Roanne-Chervé-Noirétable, l’ADDEAR 42 (Association Départementale pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural), et Vivre Bio en Roannais. Quant aux membres d’Etamine, tous viennent d’horizons différents, mais regardent ensemble dans la même direction : la résilience par l’autonomie alimentaire, avec des acteurs ayant testé in vivo leur future activité agricole, valorisant, elle, des ressources renouvelables pour la planète.
De la terre à l’assiette en Roannais
D’ici peu, environ 50% des agriculteurs partiront à la retraite, et certaines grosses exploitations ne seront pas reprises. Il est donc capital que les non héritiers puissent intégrer la profession en étant accompagnés. Etamine, qui fait partie du réseau RENETA (Réseau National des Espaces Test Agricoles), a déjà accueilli 15 testeurs en 5 ans, soit en résidence à la Ferme des Millets, soit en archipel, sur les sites des candidats à l’installation. A Ouches, ce sont donc 13 hectares en agriculture bio qui sont mis à la disposition de ces nouveaux paysans, avec 3 productions différentes: maraîchage, brebis laitières et poules pondeuses. Ces testeurs qui osent passer le cap échappent au déterminisme et choisissent en toute conscience de s’essayer à ce métier du vivant (en étant si possible titulaire d’une formation agricole). Ici, ils expérimentent, plantent autant qu’ils se plantent parfois, réussissent, aboutissent, galèrent s’il le faut, mais accompagnés, soutenus, encouragés, et sans avoir à honorer des traites oppressantes. Des femmes, des hommes, les aident à se constituer un réseau, à préparer leur accès au foncier, aux capitaux, aux marchés de commercialisation. Isabelle Janin, présidente d’Etamine et agricultrice retraitée ayant elle-même compris très tôt les enjeux d’une alimentation bio (passage en bio en 92), est fière de cette ronde humaine autour de ce qui est juste pour la terre, juste pour la vie qu’elle porte. « A l’issue de leur passage par l’ETA (rien à voir avec l’indépendantisme basque !), les testeurs font le choix de poursuivre ou non leur projet. Certains idéalisent parfois le métier, et s’ils renoncent, ce n’est pas un échec. Au contraire, c’est quoi qu’il en soit une réussite ». Comme des enfants finalement… on les regarde grandir, s’épanouir, quitter le nid pour voler de leurs propres ailes, mais avec de solides bases de portance, de polyvalence, et d’adaptation aux courants d’air. L’idée est aussi que ces oiseaux-là ne soient pas trop migrateurs, et nidifient, pour ceux qui le veulent, dans la région. Le Roannais comptait 4 maraîchers en 2010. Il en compte plus de 20 aujourd’hui. On ne fait peut-être plus consciemment d’enfants pour assurer nos vieux jours mais, même si nous sommes loin de l’idée de « retour sur investissement », Etamine s’inscrit, comme tout le monde, dans une perspective d’avenir: celle de l’autonomie alimentaire en roannais, de la terre à l’assiette.
A la rencontre des testeurs
Ils sont 3 en ce moment à la Ferme des Millets. Damien, mayennais issu lui du milieu agricole, est arrivé dans la Loire pour y rejoindre son amie. Maraîcher depuis 5 ans, mais sans foncier, il découvre ici notre terre, différente, et s’essaye également à l’élevage de brebis laitières. Sa compagne Sarah voulait avoir du lait à transformer en fromage… et c’est chose faite. Elle a elle-même été aidée par Gwendoline, une des premières testeuses du site, aujourd’hui embauchée pour ses conseils techniques. Le couple dispose ici des équipements de la ferme et a investi dans un tracteur, avec lequel il repartira dans quelques mois, lorsqu’il aura trouvé où s’installer dans la région. En attendant, Nicolas en profite, puisqu’ici tout est mis en commun. Ce maraîcher termine sa 3ème année en couveuse et s’installera ensuite à Neulise aux côtés d’Aude-Marie, dont les légumes se retrouvent sur les étals de Côté Bio au Coteau, ou dans les assiettes de nos collégiens. Elle aussi a bénéficié, pour devenir paysanne, du concours d’énergies bienveillantes et actives. Ainsi, transmission et partage font plus que jamais partie de sa vie. Mais revenons-en à Nicolas, désormais sûr de son choix. Il s’agit pour lui d’une reconversion totale. Après avoir quitté son ancienne vie à Lyon, il a passé un brevet professionnel agricole, travaillé en tant que salarié dans un Jardin de Cocagne, puis décidé de tenter l’aventure à son compte. Travailler le vivant était pour lui devenu essentiel et a participé grandement à son épanouissement personnel. « Ici, nous avons droit à l’erreur et c’est fondamental ». Lui et Damien disposent chacun d’une parcelle de 1,5 hectare plein champ, et de 500 m2 de serres. Ils vendent leur production chez des primeurs bio, ou directement à la ferme. Soit le fruit d’un maraîchage sur sol vivant, nourri par les matières organiques issues du compostage et du fumier des brebis, sans labour pour limiter l’érosion du sol, avec un forage permettant d’alimenter en eau le système d’irrigation. Pas de gazon maudit, pas de charrue avant les boeufs, pas d’exploitation aberrante de la terre. Juste de l’herbe qui devient du lait, une pépinière qui couve la récolte de demain, des mains calleuses et striées dont les crevasses portent la couleur de la terre. Les nouveaux paysans existent et, avec ou sans plumes, notre avenir germe dans leur sillon.

Contact : Claire Leroy
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