Vous viendrait-il à l’idée de chercher où manger un bon aligot à Los Angeles, de dire à un Savoyard que « Savoie-Haute Savoie, c’est la même chose », de vouloir de la dentelle de Douvres en plein Calais ou de la laine de mouton d’Ecosse en Patagonie ? On a beau dire, on a beau faire, les meilleures bêtises se font à Cambrai, les vraies espadrilles aux Pays Basque, et on laisse bien volontiers la corrida aux espagnols, comme les anglais nous laissent nos pauvres grenouilles.
Et bien figurez-vous que le luxe a lui aussi une étiquette, un berceau, un pays d’origine, du sang de Capétien dans les veines et Marianne comme inéluctable poinçon. Sortons les coqs et leurs cocoricos, les « Vive la France » sous les hourras et notre vieille arrogance de gaulois car le « Made in France », est, encore, synonyme d’excellence. Nous n’avons pas de pétrole et le French Lover est rudement concurrencé depuis que les femmes voient du pays, oui, mais…nous avons le savoir-faire du luxe. Alors amis fortunés, réjouissez vous ! Amis qui l’êtes moins ou pas du tout, sachez que le luxe n’existe, quelque part, que grâce à vous et à votre frustration à ne pas le posséder. Et puis, sa progression annuelle étant inversement proportionnelle à la courbe de paupérisation, il est un pourvoyeur d’emploi très intéressant… Ainsi, « Pacau Couture », à la Pacaudière, qui travaille le « flou » pour les grandes marques de luxe françaises, recrute encore et encore… Depuis le rachat en 2011 par Séverine et Eric Ciampi, l’effectif a doublé et il va falloir songer à pousser les murs.
Sans dépenses somptuaires au Sofitel ni mondanités en Berline, nous avons fait, grâce à eux, une immersion dans les coulisses du luxe. Une chance inouïe pour les amateurs de belles choses, sans le sou, in dire straits, fauchés comme les blés, que nous sommes. Malgré tout, nous pourrons ainsi dire à notre descendance que nous avons assisté à la naissance d’une écharpe Hermès, à la mise hors d’air d’une robe Dior, ou à l’évaporation d’un chemisier Céline…
Une histoire de beau linge
La fabrique est une vieille dame, contemporaine, en ses jeunes années, de l’essor du chemin de fer ou de l’éveil de Coco Chanel. Au début du XXème siècle, la révolution industrielle du textile n’en est plus à ses premières bougies, et le transport du coton est grandement facilité dans toute la France. Ainsi, la famille Déchelette crée un atelier de cotonnade à La Pacaudière en 1906, sans Joseph qui, lui, a toujours préféré les vieux os à épousseter.
Dans les années 1960, c’est Yves Saint Laurent qui reprend l’affaire et en fait un de ses sites de production. Sachez donc, Mesdames, que les chemisiers Rive Gauche ont été Pacaudois jusqu’en 1985, date à laquelle Yves Saint Laurent décide de ne garder que son site d’Angers. Deux salariés font alors revenir les licenciés et prennent la direction de la fabrique rebaptisée « Paco Couture », puis « Pacau Couture », après le procès intenté par un Paco Rabanne revenu pour l’occasion d’une vie antérieure. En 2011, ayant cumulé leurs 40 annuités et demie de cotisations, ils trouvent repreneurs avec Séverine et Eric Ciampi, un couple de Lyonnais supposément prêts pour le challenge et la folie douce Roannaise.
Et si c’était à refaire ?
Et bien ils le referaient. D’abord, parce que Pacau Couture se porte bien, positionnée sur un marché porteur d’artisans malletiers, selliers, maroquiniers, couturiers… devenus des marques de luxe internationales. En effet, l’effectif est passé en 7 ans de 45 à 100 salariées. Il n’y a que deux hommes alors souffrez, pour une fois, que le féminin l’emporte. L’entreprise cherche encore à embaucher, et c’est sans compter les agrandissements à prévoir.
Ensuite, la qualité de vie de notre petite ville, cachant bien son jeu pour vivre heureuse, a largement convaincu les deux citadins lyonnais. Disons que les pentes de la Croix Rousse ou les petits bouchons de la rue des Marronniers ne leurs feraient plus faire le chemin inverse. Le changement a pourtant été radical. Séverine et Eric occupaient tous deux des postes plutôt sympathiques mais rêvaient d’avoir une entreprise à eux et ont été sensibles aux produits de Pacau Couture, à son savoir-faire reconnu en France et à l’Etranger. Ce sont aujourd’hui des roannais d’adoption heureux qui parcourent chaque jour les 20 kms les séparant de leur lieu de travail. En seulement 20 minutes.
Du flou artistique
Dans les ateliers où les petites mains jouent des coudes, différentes équipes travaillent la technique du flou, ou tout ce qui a trait à la confection de vêtements souples et vaporeux. Soie, mousseline, voile, etc., se pressent sous les pieds de biche ou entre les doigts de ces femmes studieuses et concentrées sur leur ouvrage. Car il s’agit d’un savoir faire séculaire et garant d’excellence. Mais, si la tradition du luxe français remonte à Louis XIV et aux premières manufactures, il faut bien tenir la barre et maintenir les compétences à leur plus haut niveau. Nous assistons d’ailleurs à une transmission de connaissances entre Simone, qui va partir en retraite, et Sidonie, qui vient d’arriver…
Le prestige a un prix, qui n’est pas celui de la délocalisation. Il n’existe qu’une dizaine de façonniers en France, et Pacau Couture est le seul dans la région, à donner corps aux créations prêtes à porter de Dior, Hermès, Céline, Thierry Mugler, Chloé, etc. Un prototype est d’abord créé, qui servira aux défilés et à être, éventuellement, amélioré. Puis la production est lancée et chaque pièce doit être parfaite, avec les contraintes données, du 34 au 44. Avec 4 collections par an, qu’il faut livrer en temps et en heure, l’organisation scientifique du travail ou Taylorisme est à son apogée, même si la qualité ne peut que primer sur le rendement. Chacune a un rôle bien précis, de contrôle du découpage (informatisé, comme le patronage), d’assemblage, d’essayage, de finition, de repassage… Et c’est toute une fourmilière qui s’affaire autour d’un chemisier avec incrustations de dentelle ou d’une robe en soie en pièces détachées.
Bien entendu, après avoir fureté parmi tous ces tissus précieux, observé ces femmes que rien n’arrache à leur concentration, vu leurs doigts habiles courir d’une tâche à l’autre, caressé des robes inaccessibles au commun des mortels, et apprécié, en jouisseurs que nous sommes, le spectacle que tous donnaient ensemble… nous nous surprenons à penser, comme Voltaire, que le superflu est, décidément, « une chose bien nécessaire ». Et nous souhaitons à Séverine et Eric que le marketing du rêve continue, longtemps, de prêter vie, dans la prospérité, à ces savoir-faire inestimables.
PACAU COUTURE
TÉL : 04 77 64 36 22
MAIL : contact@pacaucouture.fr