En voilà une, encore, qui n’a pas pensé à ses points retraite. Une naissance après 75 et neuf années d’études pour exercer un métier, certes de virtuose, mais financièrement moins évident que radiologue ou anesthésiste, avec tout le respect qu’on leur doit. Seulement voilà, en plus d’avoir un patronyme (Fiol) qui ne s’invente pas pour devenir spécialiste du verre et de la céramique, avoir choisi l’option latin au bac scientifique démontrait, à l’époque, soit de sérieuses hésitations sur l’orientation à prendre, soit au contraire une idée très précise de la conduite à tenir. Car, pour être restauratrice d’art, il ne suffit pas de savoir recoller les morceaux ou colorier sans dépasser. Outre d’évidentes compétences techniques et manuelles, il faut avoir dépassé le stade du petit chimiste et posséder une grande maîtrise de l’histoire de l’art et de l’archéologie. Lorsqu’on tient dans ses mains un objet vieux de 2000 ans, on ne peut pas se permettre de le restaurer en mode scrapbooking ou collage de serviette. Il faut du respect pour son intégrité matérielle, esthétique, pour son histoire et, même, pour son altération, le rendre à nouveau lisible, oui, mais sans réinterprétation d’aucune sorte. N’en déplaise à Donatella Versace ou à tous les profanateurs de la chirurgie plastique, restaurer n’est pas dénaturer.
La « restauration », longtemps menée par les peintres du roi puis par les archéologues, s’est progressivement professionnalisée à compter du XVIIIème siècle. Mais il a fallu du temps, et l’intervention de quelques intellectuels, dont Prosper Mérimée, pour que des principes éthiques s’imposent. Le concept de conservation prévaut maintenant sur celui de restauration, pour éviter toutes sortes de vandalisme involontaire, ou d’attentat à l’authenticité. Une charte internationale, celle de Venise, a même été adoptée en 1964, afin de définir les règles sacrées de la préservation du patrimoine monumental. C’est en 1978 qu’est créée la première formation d’État de restaurateurs d’objets d’art avec une réelle méthodologie et une déontologie pour la restauration du patrimoine. Depuis 2002 la loi Musée impose aux institutions et collectivités publiques l’intervention de restaurateurs diplômés d’Etat.
Ainsi et entre autres choses, le travail de restauration doit pouvoir se différencier de l’original, il doit être documenté et justifié tout comme il doit être réversible et n’engager en aucune manière la créativité du restaurateur.. Sa sensibilité, sa douceur, sa finesse, sa patience, et tout ce qui peut couronner une révérence faite aux legs du passé, oui. Car c’est de celà dont il s’agit, de s’agenouiller sans bruit devant un vestige de l’humanité, de prendre la mesure de sa fragile existence et de lui murmurer, dans sa langue à lui, morte peut-être : « aller, je suis là maintenant, ça va bien se passer ». Gageons que Fanny Fiol, douce comme une onction, en a fait son talent.
La petite fille qui aimait les fossiles
Fanny est née à Roanne en 1978. Emerveillée à l’âge tendre par des fossiles ramenés par un instituteur, elle se passionne vite pour ce que la terre a dans le ventre. Pour l’art et les objets aussi, au travers des livres et des balades dans les boutiques d’antiquités-brocantes avec ses parents. Elle est aussi marquée par les artistes travaillant pour les Arts de la table et par les collections de la maison Troisgros à Roanne, où son père a occupé pendant 42 ans le poste de chef de rang. Bonne élève, elle fait son secondaire à Jean-Puy où le professeur d’arts plastiques M. Pyat la conforte dans ses pressentiments. Après un bac scientifique, option arts plastiques et latin, et de nombreuses heures passées au Musée Joseph Déchelette, elle part à Lyon étudier l’Histoire de l’Art. Elle passe ses étés sur des chantiers bénévoles de fouilles archéologiques et de restauration d’églises. Puis elle fait un stage d’initiation dans le laboratoire de restauration d’objets archéologiques de Vienne (38), le CREAM. Pour elle, c’est une révélation. Il n’existe que deux concours, très sélectifs, pour devenir restaurateur. Après une maîtrise de l’Histoire de l’Art sur les techniques de peintures murales romaines antiques, elle réussit le concours du Master de Conservation et Restauration des Biens Culturels de l’Université Paris I. Ils sont une vingtaine de candidats seulement à être sélectionnés chaque année, dans chaque spécialité. La sienne : la céramique et le verre, car ce sont au départ les objets du quotidien qui la touchent le plus. Elle repart alors pour 4 ans de formation supplémentaires. Ses stages de fin d’études l’emmènent au Corning Museum of Glass (USA), au CREAM à Vienne (38) à nouveau, puis chez le restaurateur Lionel Lefèvre à Lyon (69). Après 9 années d’études, elle est employée à l’Atelier Régional de Restauration des Eléments du Patrimoine à Seurre (21), en tant que responsable de la section verre, puis au Centre Archéologique du Var à Draguignan (83). En 2011, et puisque les ateliers subventionnés par l’état et les places de salariés disparaissent, elle se met, comme la plupart de ses confrères, à son compte. Elle répond depuis à des appels d’offre lancés par les musées et monuments historiques. Elle travaille seule ou en équipe, dans toute la France, et attend que ses deux filles soient plus grandes pour partir éventuellement sur des chantiers hors-frontières.
Scalpel et délicatesse
C’est en 2014 que Fanny s’installe avec ses filles à Saint-Haon-Le-Châtel, au sein de vieilles pierres qui siéent à son tempérament. Depuis, elle restaure verres et céramiques pour les musées d’Orange, la maison de Gergovie, le musée de Feurs, les musées de Clermont-Ferrand, de Nancy, etc… L’été dernier, elle a restauré en équipe la façade de la future Scène Nationale de Clermont-Ferrand. Localement, il y a 2 ans, elle a intégré l’équipe de restauration de la poutre de Gloire et le Christ de l’église de son village. Ses démarches ont permis au projet de la mairie de recevoir une récompense au « Grand prix Pèlerin du Patrimoine ». Parmi les expériences les plus marquantes de son parcours figure une semaine passée à Hauteville House, la maison de Victor Hugo à Guernesey, pour restaurer les carreaux de faïence Delft de son cabinet d’écriture. Voilà pourquoi elle a choisi cette spécialité : pour être au coeur du quotidien passé. Elle aime être touchée, émue, voire prise de vertige comme devant cette statuette du néolithique en train de se déliter, ou ces empreintes digitales retrouvées sur une poterie vieille de 2000 ans. Son métier, qu’elle exerce sur site ou dans son atelier, lui raconte mille histoires et lui offre un contact charnel avec un passé qui refuse de s’éteindre. Il est précaire et s’apparente parfois à un sacerdoce, mais l’extraordinaire est hélas à ce prix là. Histoire, physique, chimie, art, couleurs, modelage… les compétences intellectuelles s’allient aux manuelles pour restaurer davantage qu’un objet : un sujet de recueillement ou de contemplation. Ainsi, munie de scalpels, limes, pigments, solvants, râpes… et même brosse à dents, elle crée ses propres outils, ses propres colles, ses propres couleurs, pour conserver, préserver les traces de vies passées, sans illusionnisme ni interprétation. Elle peut passer des heures, des jours, sur un même objet à combler ses lacunes et rendre pour un temps donné les fissures inoffensives. Parfois, aucune intervention directe n’est possible. Elle crée alors les conditions optimales pour conserver l’objet en l’état et ralentir le processus de dégradation. Une sorte de mise sous cloche d’un trésor d’histoire. Et la preuve qu’il est possible, sans pour autant tuer le temps, d’au moins le ralentir, en maîtrisant les conséquences de son écoulement.
Fanny FIOL, Restauration d’objets en céramique (terre cuite, faïence, grès, porcelaine, biscuit,…), verre (cristal, vitrail, émail sur cuivre,…) et autres matériaux apparentés.
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