Dans la France du XVIème siècle, le plus court de l’histoire avec l’avènement du calendrier grégorien qui lui vole littéralement 11 jours ( c’est un scandale), le renouveau artistique et intellectuel est à son comble, même si Louis Béchamel de Nointel et Dom Pérignon n’ont encore inventé ni la sauce blanche, ni le Champagne. Celui-ci aurait pourtant été le bienvenu pour fêter le perfectionnement de l’imprimerie par Gutenberg ou la première ligature des vaisseaux sanguins par Ambroise Paré (très utile dans les guerres à venir). Mais non. Pour discourir de la découverte du nouveau monde et des aspirations modernes propres à la Renaissance, rien que du vin de romarin, de l’hypocras, du cidre ou du poiré. Car rappelons qu’à l’époque, il faut choisir dès l’enfance entre l’alcoolisme et la dysenterie… Et des choses à fêter, il y en a : venue d’Italie, la soif de vivre commence à donner des cheveux blancs à l’ascétisme, les idées humanistes prônent l’éclosion et la reconnaissance de nos capacités, Vasco de Gama et Christophe Colomb ramènent des patates et du café, tandis que le français s’impose comme langue officielle, détrônant ainsi un latin manquant un peu de convivialité dans les soirées. En bref, l’homme de la Renaissance a envie de savoir, de découvrir, de profiter, d’avoir foi en ses possibilités sans être pris pour un jambon. Il s’éloigne ainsi du fanatisme religieux et politique, faisant cap sur les temps modernes, inventant le terme d’ « humaniste » pour désigner
« celui qui cultive les humanités ». Bon… bien sûr, la théorie du ruissellement n’ayant pas encore été inventée… toutes ces idées nouvelles n’arrivent que peu jusqu’au peuple miséreux qui a d’autres chats noirs à fouetter que de parler d’épanouissement personnel, de libre examen, de littérature courtoise ou d’Amériques. Comme il n’a cure du renouvellement de l’architecture inspiré de l’époque antique. On mise tout sur l’esthétique plutôt que sur la défense, on crâne, on fanfaronne, on étale, on en met plein la vue. Et ça, le peuple… connaît pas.
C’est dans ce contexte bien particulier que le château de Goutelas, à Marcoux, devient une pure demeure Renaissance, en 1558, sur les instances de son propriétaire, le Grand Juge de Forez Jean Papon. Progressivement vendu et dépouillé après 1860, il tombe doucement mais sûrement en ruine, avant que d’intrépides bénévoles ne le reconstruisent dans les années 60, pour en faire le lieu d’échanges grandiose qu’il est aujourd’hui. Labellisé Centre Culturel de Rencontre et faisant partie du patrimoine matériel et immatériel du Forez et du département de la Loire, sa Renaissance le porte au pinacle, autour des trois valeurs inscrites dans son histoire : l’humanisme, le droit et la création.
©Philippe_Mesa ©Philippe_Mesa ©Château de Goutelas ©Agathe Waechter Duke Ellington à Goutelas © Château de Goutelas
Histoire d’une Renaissance
Il reste quelques traces d’une maison forte construite à flanc de coteau au XIIIème siècle, avec remparts et campanile, par Guillelemetus de Gotela. Jean Papon en fait l’acquisition en 1558 et la transforme en demeure humaniste, avec plan en H, toitures vernissées, tours et terrasses offrant un panorama incomparable sur la plaine du Forez. Ce grand juge de Forez est lui-même ce qu’on appelle un juriste humaniste, de ceux qui « prennent l’homme comme mesure de toute chose ». Il fait par exemple reconnaître la folie comme circonstance atténuante d’un crime, consacre sa vie à l’étude de la jurisprudence, et à la réécriture du droit en français. Proche d’Honoré d’Urfé, celui-ci évoque dans son roman « L’Astrée » le charme paisible des terrasses de Goutelas qui s’associe à la sagesse érudite et humaine du maître des lieux. Plus tard, de 1776 à 1860, les descendants Papon embellissent les décors, les collections, et font appel à l’architecte italien Michel-Angelo Dal Gabbio pour transformer les toitures et le grand escalier. Le château de Goutelas est alors vendu aux frères Lanier, des soyeux de Lyon, qui en font une ferme. Il connaît ensuite plusieurs propriétaires avant d’être loti et de devenir le « bel et triste Goutelas qui s’endort dans les ruines et les broussailles ». Mais en 1961, l’avocat Lyonnais Paul Bouchet, d’origine forézienne, convainc Noël Durand, héritier du domaine, d’en faire don. L’association de Goutelas voit le jour et entraîne dans son sillon énergique des artistes, des ouvriers, des immigrés espagnols, des juristes, des intellectuels, des paysans locaux, qui tous, bénévolement, contribuent à la restauration du château. Un mélange « d’utopie intellectuelle, de réalisme paysan et d’ingéniosité ouvrière » donne naissance au centre culturel de Goutelas qui, bientôt, accueille Duke Ellington, le Mime Marceau ou encore le peintre Bernard Cathelin. Le chef d’oeuvre jadis en péril n’en finit pas depuis de renaître de ses cendres. Aujourd’hui propriété de Loire Forez agglomération, mais laissé à la disposition de l’association sexagénaire, sa vocation reste inchangée: être ancré dans son territoire, et « penser avec le monde ».
Centre Culturel de Rencontre
Si l’humanisme est une théorie qui place l’homme et son épanouissement au dessus de tout le reste, Goutelas en est, avec d’autres lieux du même genre, la pratique. Il amène, l’art, la culture, la science, en pleine ruralité et continue d’incarner l’esprit éclairé de Jean Papon, qui a marqué l’histoire de la province. « Donné au pays » en 1985, il développe depuis un projet culturel basé sur l’humanisme, le droit et la création. C’est autour de ce thème multiple et singulier que s’est bâtie son affiliation en 2015 au réseau des « Centres Culturels de Rencontre » (17 seulement en France, dont 2 en Rhône Alpes Auvergne). Ce label permet au Château de Goutelas de bénéficier de deux programmes de soutien aux résidences d’artistes, de chercheurs et de professionnels de la culture, étrangers ou réfugiés des pays en conflit ouvert. En dehors de ces programmes, le Château de Goutelas reçoit toute l’année des artistes et compagnies pour des résidences de création. Des actions de médiation avec le public ou en milieu scolaire (ateliers, présentation de l’activité artistique, démonstration…) sont alors mises en place ainsi qu’un événement « sortie de résidence » permettant de présenter le travail réalisé au château (lectures publiques, répétition ouverte, spectacle, etc.).Emblématique du Forez, Goutelas continue à imaginer un devenir et à écrire une histoire aujourd’hui très grand public.
Activité réceptive et artistique
Le Château de Goutelas emploie aujourd’hui 15 salariés à l’année et 5 saisonniers, pour assurer l’activité réceptive et coordonner les temps forts artistiques. 27 chambres, douces et atypiques, ont été conçues pour accueillir les visiteurs, de même qu’une restauration traditionnelle, simple et goûteuse, leur est proposée. Lieu de vie et de fête par excellence, Goutelas organise toute l’année des concerts, brunch, spectacles, séminaires, conférences, actions de médiation, visites scolaires, expositions et expériences artistiques. L’été donne lieu à des soirées animées en plein air, où les générations se confondent tandis qu’un bistrot sert et dessert son joyeux monde. Le Festival annuel « Abris de fortune » parsème le vignoble des Côtes du Forez et les terrasses de Goutelas de cabanes éphémères et insolites librement accessibles, tout comme le chemin de Bélizar qui, depuis le château, nous conduit à l’un des plus vieux volcans d’Europe. Dans sa bibliothèque inaugurée en 2019 trône l’épée d’académicienne de la juriste/poète/philosophe Mireille Delmas-Marty, car ici le droit côtoie les sciences humaines et les pratiques artistiques. On y pense le droit de demain dans une ambiance pluridisciplinaire, croisant des enfants, des artistes, des visiteurs d’un jour. L’exposition actuelle, visible jusqu’au 19 septembre, est en lien avec le thème « Humain-Non Humain » choisi cette année pour traiter des métamorphoses dans le droit. Au même moment, et peut-être pour l’éternité, le tableau d’honneur de la chapelle recense les intellectuels lyonnais, les paysans foréziens, les ouvriers syndicalistes et les réfugiés espagnols communistes qui, grâce à leur 150 000 heures de travail bénévole, ont fait du Château de Goutelas un laboratoire d’idées, un lieu hybride aux actes visionnaires, un centre culturel de création, de désir, d’envies, de vie.
277 route de Goutelas, 42130 Marcoux
04 77 97 35 42
contact@chateaudegoutelas.fr
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