Association « Les Amies de l’Echappée Belle »
Une maison partagée pour les femmes, et leurs enfants, victimes de violence
La résilience en milieu rural
Il n’y a pas d’âge, pas de niveau social, culturel ou intellectuel, pas de profil type. Il y a un sexe cependant. Qui remporte la palme funeste, à la majorité quasi absolue. Comme dans le règne animal, où la prédation fait toujours les mêmes victimes. Il y a des proies, il y a des prédateurs. C’est dans l’ordre des choses et ainsi va l’univers. On a rarement vu une gazelle se pourlécher devant les jarrets d’un lion avant de l’attaquer aux carotides. Et on l’accepte. Parce que cette prédation là est inscrite dans les gènes. Elle est biologique, atavique, inéluctable. Même si ce n’est pas beau à voir. Dans la sphère intime de l’homo-sapiens, le mécanisme est tout autre. Les violences conjugales, qu’elles soient physiques, verbales, psychologiques, sexuelles, matérielles, économiques, ou tout à la fois, ne trouvent dans la nature aucune amorce, aucune raison d’être. Cette prédation là est une déviance dont la cible principale est pour certains l’avenir de l’homme : la femme. Quand elle devient chose, objet, possession, portion congrue, souffre-douleur, pâture ou dépouille. A l’heure de compter les coups, ce sont les femmes qui trinquent, et l’une d’entre elles meurt tous les 3 jours entre les mains de son conjoint ou ex-conjoint. Cela sans même parler des réseaux de traites humaines, qui, partout dans le monde, font du sexe dit faible de la chair consommable, broyable, souillable. Cette prédation là, longtemps tolérée ou banalisée par l’autorité patriarcale (rappelons que jusqu’en 1975, le crime passionnel était considéré comme circonstance atténuante lorsqu’il était perpétré par l’époux sur son épouse) est aujourd’hui un phénomène de société. Enfin, la réponse pénale s’intensifie sans jouer sur la sémantique. Enfin, il est de bon ton de différencier le conflit conjugal de la violence conjugale. Dans l’un, des points de vue s’opposent sans rapports de force, dans l’autre, l’auteur prend le pouvoir sur sa victime et la domine pour la détruire. On ne parle plus de recadrage un peu musclé, de dressage bien mérité, de chiffonnade entre amoureux ou de domination ancestrale. On parle de contrôle d’un être humain sur un autre, de déchaînement de hargne, d’acharnement pathologique et, dans le pire des cas, de féminicide.
Il y a urgence. Depuis le début de l’année 2022, statistiquement, 15 femmes ont dû perdre la vie sous les coups. Il y a urgence à décourager dès l’école les comportements sexistes, urgence à mettre à l’abri celles qui vivent sous emprise, urgence à extraire leurs enfants de ce vortex de violence. Il y a urgence à accorder foi aux survivantes et à leur offrir un lieu où se réparer, où renaître, où se projeter. Le terrorisme domestique n’est plus une fatalité. Pourtant, il est encore bien souvent fatal.
Dans un petit village de la région Roannaise, une maison revit, qui s’appellera « Chez Ailes ». Pour accueillir bientôt des rescapées de la violence de genre, des amazones saccagées en quête de résilience. Elles et leurs enfants y trouveront une oasis secrète, un port hospitalier, un nid où faire éclore d’autres projets, d’autres histoires, loin de la double peine violence/précarité. Manuelle Bornibus est la fondatrice de l’association « Les Amies de l’Echappée Belle », qui depuis 7 ans maintenant, porte à bout de bras ce projet sans précédent. En pleine ruralité, la sororité a désormais un nom, « Chez Ailes », fait d’espoirs et d’envolées.

Bonjour, Manuelle Bornibus. Vous êtes la fondatrice de l’association Les Amies de l’Echappée Belle. Vous en êtes aussi la présidente. Quelle est la genèse du projet « Chez Ailes » ?
– La culture de l’accueil est dans mon ADN. J’ai été élevée dans l’idée que notre porte devait rester ouverte à ceux qui en avaient besoin. Nous vivions dans une grande maison de village, un ancien relais de poste, qui se prêtait à la convivialité solidaire. Plus tard, une fois adulte, j’ai beaucoup voyagé. A mon retour, j’ai gardé cette maison, et l’habitude d’y loger des amis, ou inconnus, de passage. J’ai eu l’occasion aussi d’accueillir assez longuement une famille. J’ai pu constater que les gens du village savaient faire preuve de solidarité et d’ouverture d’esprit.
Depuis quand travaillez-vous sur le projet « Chez Ailes » ?
– Depuis 2015. Avec l’expérience, j’ai réalisé que les femmes et les enfants étaient les principales victimes des violences domestiques. Et qu’il n’existait aucune structure adaptée en milieu rural. J’ai donc eu l’idée de monter un projet qui aurait pour « terre d’accueil » cette maison… Avec une quinzaine d’autres femmes (du village ou non et de tous horizons professionnels), nous avons créé « Les Amies de l’Echappée Belle » pour porter le projet « Chez Ailes », visant à offrir aux victimes un endroit, tenu secret, où se reconstruire avec l’appui d’un réseau d’associations et de partenaires institutionnels.
Il aura donc fallu 7 ans pour que les bases soient solidement posées ?
– Oui, car il a d’abord fallu monter des dossiers, se faire connaître auprès des grandes instances et obtenir le soutien de la région. La maison, que je n’habite plus et qui appartient dorénavant à l’association, doit être réhabilitée pour accueillir jusqu’à 10 personnes réparties dans 4 logements privés. Tout cela nécessite des ressources humaines phénoménales, et un budget conséquent : 120 000 € pour l’achat de la maison et 360 000 € de rénovations et d’aménagements. Et l’argent ne se trouve pas en un jour.
Justement, auprès de qui l’avez-vous trouvé ?
– Auprès de la Région, la Fondation de France, la Fondation Vinci, RTE, la Macif, Accor Solidarity ou auprès de partenaires comme « Fonds pour les Femmes en Méditerranée » ou encore Cobaty, un réseau solidaire d’acteurs du bâtiment. Notre projet a profité du nouvel incubateur Ronalpia, qui accompagne les entrepreneurs sociaux, et du soutien de la FNLV (Fédération Nationale des Lieux de Vie et d’Accueil) ainsi que du GERPLA (Groupe d’Echange et de Recherche sur les Pratiques en Lieu d’Accueil). Eligible au mécénat et reconnue d’intérêt général, l’association a également pu solliciter les entreprises du territoire. « Chez Ailes » a aussi donné lieu à deux campagnes de financement participatif via la première plateforme de crowdfunding dédiée à l’habitat solidaire et aux associations : Les Petites Pierres. Grâce à tous, bénévoles compris, les travaux de réhabilitation, menés par l’architecte Virginie Cherpin, commenceront ce printemps, pour une livraison des lieux en 2023. Soit 8 ans de travail au total, et une aventure humaine extraordinaire, qui ne fait finalement que commencer.
« Chez Ailes » pourrait servir de prototype pour d’autres zones rurales ?
– Exactement, c’est aussi l’idée. Nous avons d’ailleurs commencé à essaimer le concept en région Lyonnaise, pour que d’autres petites communes puissent à terme proposer ce genre d’accueil. Face au nombre atterrant de féminicides, il y a urgence.
Qu’est-ce que ce concept a de novateur ?
– Son point d’ancrage déjà : au cœur d’un village, pour faciliter la mixité sociale et un retour à la vie plus serein. Ensuite, « Chez Ailes » ne sera pas un centre d’accueil d’urgence, mais une véritable résidence pour les femmes en quête de reconstruction. Quatre logements privés, modulables et totalement indépendants seront proposés. Celles qui le souhaiteront pourront, quand elles le voudront, rencontrer les autres dans les parties communes : bibliothèque, espace de jeux pour les enfants, jardin d’hiver, véranda… Enfin, et surtout, l’association veut aller au-delà du « minimum de survie » et donner à ces femmes les moyens d’être porteuses de projets, plutôt que des précaires à vie. Elles auront le temps de leur ambition.
Un vrai lieu de résilience, en somme…
– Oui. Il le faut, car malheureusement, la précarité est souvent une condamnation supplémentaire pour les victimes. Il est primordial de restaurer sur le long terme la santé physique, psychique et affective des femmes et de leurs enfants. Comme il est capital de réparer les liens entre eux, ou au sein des fratries. Le retour à l’autonomie doit se faire doucement, et via la construction d’un projet de vie.
Comment ces femmes arriveront jusqu’à vous, et comment s’organisera leur nouvelle vie ?
– Ce seront des femmes de la région orientées par nos partenaires : les services sociaux du département de la Loire et des départements limitrophes, l’association des Familles Rurales, Accueil Paysan, La Sauvegarde, etc. Une fois mises à l’abri « Chez Ailes », la permanente de l’association (une professionnelle qui aura bénéficié d’une formation spécifique pour l’accompagnement des femmes victimes de violences), ainsi que les bénévoles, feront le lien avec les professionnels, psychologues, médecins, formateurs, etc. Ce séjour « de transition », durera de 3 mois à 2 ans, durant lesquels l’accent sera mis sur la prévention et l’écoute, ainsi que sur un accompagnement social, juridique et psychologique. Nous- les femmes de l’association- avons pris conscience des limites des réponses habituellement apportées aux femmes, et à leurs enfants, en profonde détresse. C’est pourquoi nous voulons offrir un hébergement et une aide adaptés à leurs besoins spécifiques. Sans aucune discrimination sociale, car la violence touche indifféremment tous les milieux.
Qui sont-elles, justement, les femmes de l’association « Les Amies de l’Echappée Belle » ?
– Ce sont des femmes engagées qui ont, bien entendu, une sensibilité particulière sur la question, ayant ou non subi elles-mêmes des violences par le passé, y ayant ou non assisté. Venant de tous horizons professionnels, de 25 à 75 ans, elles n’ont pas la posture d’un travailleur social, mais la ferme volonté de transformer l’expérience en action. Avec pour socle la culture de l’engagement collectif et solidaire.
Comment vous aider aujourd’hui ?
– En nous rejoignant au sein de l’association, en contribuant d’une façon ou d’une autre, en parlant de nous… Toutes les énergies sont bonnes à prendre, et les hommes sont les bienvenus ! Je précise que nous sommes libres de toute obédience religieuse ou politique, et totalement éloignées d’un fonctionnement sectaire. Certes, nous sommes féministes mais nous sommes surtout des femmes qui voulons en aider d’autres, à ne plus avoir peur de leur ombre, à se réparer en tant qu’êtres humains et en tant que mères.

CREFAD LOIRE
40 Rue de la Résistance
42000 SAINT-ETIENNE
chezailes.echappeebelle@gmail.com
07 77 07 08 93