20 000 Lieues dans les Airs
Des serres puissantes et acérées, une acuité visuelle dix fois supérieure à celle de l’homme, un sens de l’odorat subtil et imparable, des canaux auditifs ultraperfectionnés, des cris stridents à glacer certains sangs, un plumage de camouflage velouté comme une attaque silencieuse, des vols aussi feutrés que des pas de loups, une promptitude admirable, une pression de fou-furieux dans les pattes, un bec assez tranchant pour réduire en lambeaux les cartilages récalcitrants… on pourrait croire à un super-héros un peu flippant, voire à un remake de « Les Dents de la Mer» recyclé en «Les Griffes de l’Air». Pourtant, rassurez-vous, ces oiseaux-là ne vous feront aucun mal, l’homme n’ayant pas encore été déclaré «met de choix» dans le règne volatile. Nous en avons fait, au contraire, des alliés pour illustrer notre puissance conquérante. Symboles de force, d’immortalité et de clairvoyance, les rapaces sont des emblèmes privilégiés de nos civilisations. Sur les blasons, armoiries, drapeaux, insignes et autres blousons de bikers, l’aigle a toujours eu sans conteste plus de succès qu’un phasme ou un alpaga. De la même façon, les adeptes de la transe chamanique préfèreront se voir affubler d’un faucon en animal totem plutôt que d’une crevette. Ainsi, éternellement peut-être, le pygargue à tête blanche, autrement appelé « l’aigle américain », nous fera penser à l’oncle Sam, le caracara du nord à des fajitas/tequila, « l’aigle fédérale » aux heures sombres des bottes allemandes, et un aigle blessé à… Johnny… Dans la mythologie même, le Phénix, semblable à un aigle royal et incarnation du Dieu Soleil, renaissait de ses cendres après chaque trépas (unique solution quand on n’a pas de femelle pour se reproduire).
Hélas, tous ces signes d’admiration n’ont pas empêché l’homme de persécuter ces grands prédateurs. Alors, pour recadrer les saccageurs du monde sauvage, il a fallu, comme souvent, légiférer. Depuis 1972, une loi protège donc les rapaces de France, qui continuent cependant à mal digérer les polluants ingérés par leurs proies, ou les collisions avec les lignes à haute tension. Si de nombreuses mesures sont adoptées pour préserver leur habitat, beaucoup vivent aujourd’hui dans des parcs naturels ou des réserves. D’autres, vivant en captivité (la détention d’un rapace est interdite pour le commun des mortels mais autorisée dans le cadre de la chasse au vol) sont sauvés de l’abandon ou de la maltraitance par de bonnes âmes passionnées. De celles que l’on croise à la Volerie du Forez à Marcilly-le-Châtel. C’est là, au cœur du Château Sainte Anne, que nous vous emmenons, pour un voyage unique au pays des Phénix, rapaces diurnes ou nocturnes, perroquets et autres oiseaux en mal de nids. Pas d’Hippogriffe ni de Maître Corbeau, mais, assurément, des spectacles immersifs aussi sensationnels qu’insolites, en présence de fauconniers autant à l’aise en voltige équestre que pour nous enseigner le respect d’une nature insoumise (à ne pas soumettre, donc).


Un château pour quartier
C’est vrai, difficile de rêver mieux pour ces hôtes-ou convives- ailés. La première impression est de se croire arrivé au bout de la Terre du Milieu, et ce Château Sainte-Anne ne manque pas d’à-propos pour ces Seigneurs des Oiseaux. Les premières références faites à cette citadelle remontent à 1010. Tenue alors par les comtes du Forez, elle se dresse face au repaire des Couzan, et offre une vue imprenable. Demeurée imprenable. Tour à tour assailli, démantelé, négligé… le Château Sainte-Anne est racheté au XIXème siècle par le stéphanois Hyppolite de Sauzéa qui le fait reconstruire de façon peu conventionnelle, mélangeant les styles autant que les matériaux. Il laisse cependant une œuvre inachevée lorsqu’il décède en 1883. S’ensuit un siècle d’abandon au milieu des ronces. Dans les années 80, une SCI en devient propriétaire et préserve les vestiges de cette enceinte médiévale. Pierre Dégaret, maître fauconnier, et sa femme Claudine, y installent leurs oiseaux en 1988. « La Volerie du Forez» est créée et les premiers spectacles de rapaces voient le jour. Petit à petit, le château renaît car la SCI et l’association Adamas y organisent chaque année des chantiers. En 2012, Stéphane Meyer, issu du monde du spectacle (équestre-voltige-magie), intègre les lieux. Passionné de chevaux autant que d’oiseaux, il apprend tout de l’art de la fauconnerie auprès de Pierre. Tant et si bien qu’il devient en 2014 le tout jeune directeur de cette volerie haut perchée.
Depuis, très attaché au bien-être animal, Stéphane s’attelle sans relâche à faire de chaque volière un espace rassurant et adapté à ses pensionnaires particuliers. Il crée également de nouveaux décors, élabore des spectacles atypiques mêlant voltige et fauconnerie, se spécialise dans le sauvetage de perroquets et autres animaux… Si la Volière du Forez est ouverte au public d’avril à novembre, lui et son équipe -5 personnes au total- travaillent à l’année au bienvivre des volatiles, à l’entretien de ce site exceptionnel, ainsi qu’à la préparation de numéros spectaculaires dans lesquels seuls les humains sont amenés à se travestir. Les animaux, eux, ne sont pas là pour amuser, mais pour étourdir, et délivrer peut-être un message pédagogique qui manque souvent au monde.
Une équipe aux noms d’oiseaux
Ici, beaucoup d’oiseaux sont issus de sauvetage (90% pour les perroquets), les autres sont nés sur place. Aucun n’est prélevé dans la nature. La Volerie du Forez s’engage au contraire dans la protection de la biodiversité en soutenant des programmes d’élevage, de conservation et de recherche. Les pensionnaires, pour la plupart, ont donc été abandonnés, donnés ou saisis sur décision de justice pour maltraitance ou détention illicite. Un perroquet, par exemple, a passé les 15 premières années de sa vie enfermé dans une cage. « C’est d’une cruauté sans nom car ces oiseaux volent pour le plaisir et ont besoin de leurs congénères pour être équilibrés. Nous avons dû lui réapprendre à voler et, encore aujourd’hui, il ne s’aventure que sur quelques mètres». Tous les oiseaux ne participent pas aux spectacles, c’est impossible pour certains, mais la plupart volent en liberté tous les jours avant de rejoindre leur volière. C’est un apprentissage, et une organisation. Impossible de lâcher un aigle royal en même temps que les perruches, pour d’évidentes raisons de fiabilité incertaine. Nous apprenons ainsi que les rapaces, eux, ne volent pas pour le plaisir et qu’une certaine flemmardise les pousserait volontiers à faire du gras dans leur nid s’ils n’avaient pas à le chasser d’abord. Ici, ils sont bien entendu nourris, mais ne sont pas contre quelques friandises en récompense de leur vol… Chaque volière a une fonction et des pensionnaires particuliers : volière d’immersion pour les nouveaux arrivants, volière de convalescence, volière des bébés, des petits individus, des rapaces retraités (de la chasse), des rapaces nocturnes (à ne pas déranger), ou encore des couples occupés à la reproduction ou par le fruit de leurs amours. Là, au beau milieu d’une tour, un pygargue de Steller, le plus gros aigle au monde, celui aux 300kg de pression dans les serres, nous invite cordialement à garder nos distances, tandis que sa femelle lui prépare une descendance. Au total: 150 oiseaux nourris comme les seigneurs qu’ils sont: cacatoès, perroquets Nestor Kea, aras, grands-ducs de Sibérie, harfangs des neiges, faucons, milans, serpentaires africains, buses de Harrys… Sous les cris et chants incessants: les deux bergers suisses de Stéphane, deux chiens-loups de Tchécoslovaquie issus de sauvetage, quatre chevaux et un chameau, Tolstoï, profitent des quelques 14 hectares de pâture autour du château. Lesquels donnent, d’ailleurs, du foin bio… Et puis, bien sûr, quelques humains pour gérer cette joyeuse troupe: professionnels du spectacle en fauconnerie, soigneurs, animateurs, metteurs en scène, comportementalistes animaliers, photographes, écrivains…


Un parc et ses spectacles
Le Château Sainte-Anne se visite donc comme un parc animalier, où vous découvrez, de volières en tours, les différentes espèces accueillies. Deux spectacles, régulièrement renouvelés, viennent ponctuer ce rendez-vous en terres inconnues. Le premier, «Festif’», vous entraîne à l’air libre dans l’univers décalé de la Volerie du Forez, «au rythme des sabots, des plumes (de rapaces et de perroquets), et des mots». Le second, «L’école des oiseaux magiques», vous présente des rapaces nocturnes dans la tour fermée du Château Sainte-Anne. Il mêle sons, lumières, projections et magie dans une atmosphère insolite qui n’a rien à envier à Poudlard… Pour ce faire, les fauconniers instaurent tout au long de l’année un lien de confiance très fin avec les rapaces, voire d’affection avec les perroquets.« Il faut 2 à 3 mois d’entraînements quotidiens pour un vol basique, 2 à 3 ans pour un vol avec ascendances thermiques». La Volerie du Forez propose également des baptêmes ou des stages de fauconnier, ainsi que des journées découvertes en compagnie des oiseaux. Patience, respect, bienveillance et passion sont les maîtres mots de Stéphane pour chérir ces espèces, dont beaucoup sont en danger à l’état sauvage. Les spectacles, qui jamais ne font passer les oiseaux pour des pigeons, ont également une portée pédagogique. Si les artistes font les guignols, et le font avec art, ils nous rappellent aussi, ou nous apprennent, qu’il y a plus grand que nous, et que «l’homme se doit d’être le gardien de la nature, non son propriétaire».

Ouvert du 16 avril au 6 novembre 2022
1540 Route de St Anne, Le Château,
42130 Marcilly-le-Châtel
04 77 97 59 14 – 06 62 12 94 30
www.volerieduforez.fr