Cueillette, Transformation et Découverte des Plantes Sauvages
Il fut un temps où on l’aurait appelée sorcière. Où on l’aurait imaginée écrasant des verrues d’hommes et épluchant des yeux de serpent albinos pour les touiller ensemble dans un chaudron débordant d’un liquide douteux, ou s’adonnant à des danses infernales dans un sabbat diabolique, juste avant de jeter un sort de dépérissement au seigneur de ces bois. Un temps où elle aurait vécu, sûrement, sans faire de bruit, tapie dans une cahutte sombre aux pieds de chênes prophétiques, dissimulant ses savoirs ancestraux pour ne pas finir sur le grill. Elle aurait été une mauvaise herbe, qui s’épanouit sur un sol fait pour elle, repousse si on l’arrache, nourrissant les oiseaux de passage et offrant un gite douillet au petit peuple de notre faune. Fort heureusement, cette papesse de la pimprenelle, de la reine des prés, du lierre terrestre ou du pourpier, qui vit haut perchée dans son royaume chlorophyllé, ne risque plus sa peau à puiser dans le monde végétal une inspiration vitale.
Quel pouvoir, il est vrai, que de connaître les vertus des herbes folles, et que de voir en elles un arsenal nourricier là où d’autres voient des envahisseuses à glyphosater. C’est comme ça. Nous avons, dans notre grande majorité, oublié les extraordinaires facultés des plantes sauvages. Celles dont les civilisations primitives avaient fait leur pilier et les suivantes leur pharmacopée. Leur injection létale même, parfois, comme ce fut le cas avec la cigüe poison officiel des Athéniens qui fit passer de vie à trépas le philosophe Socrate. D’autres, plus tard, firent de cette connaissance des simples la réplique des «sans-armes», distillant sur plusieurs siècles une représentation féminine de l’usage du poison à des fins perfides. Et pour couronner cet amalgame foireux, les plantes les plus dangereuses sont souvent les plus belles : l’aconitum napellus, dont on devrait bien se garder de faire des bouquets, le colchique dans les prés, qui, si on s’y prend bien, ne marque pas que la fin de l’été, l’aconite-tue-loup, que « tu ne butineras point », le ricin, dont quelques graines suffisent à nous faire manger les pissenlits par la racine, ou encore le muguet à qui l’on donne chaque 1er mai le bon dieu sans confession. Véronique Moutier, installée dans son « Ortillère » sur les hauteurs de Neaux, est à elle seule un éloge de la mauvaise herbe comestible, un plaidoyer pour l’ensauvagement du goût, un panégyrique prononcé en faveur d’une fécondité généralement piétinée, conspuée, déracinée. Sorte de druidesse panthéiste, elle honore aussi bien les jeunes fleurs de pâquerettes que l’ortie velue, la consoude vivace que le plantain lancéolé. Tout entière dévouée à la force de vie de ces générations spontanées, elle nous livre leurs secrets de mieux en mieux gardés, et nous incitent à voir dans leur grande plasticité écologique le prodigieux pouvoir de résilience de la nature. A ses côtés, les cueillettes sauvages font recettes, et l’abondance redevient un trésor de biodiversité.
Bonjour Véronique. Merci de m’accueillir chez vous, dans cet endroit aussi grandiose qu’authentique. Pour commencer, pouvez-vous me parler de votre parcours, et de ce qui l’a façonné ?
Je suis originaire d’une commune rurale, Lay. Mais mes parents ne travaillaient pas la terre et on ne peut pas dire que j’ai été élevée pour y « retourner » un jour. On cuisinait beaucoup, en revanche. Mon grand-père était chef de rang chez La Mère Brazier à Lyon, et ma grand-mère était une excellente cuisinière. Personne en revanche ne s’y connaissait en plantes sauvages, et on m’a plutôt appris à éradiquer les mauvaises herbes qu’à les laisser vivre.
Quel a été le déclic alors ?
Il y en a eu plusieurs en réalité. Une lecture, d’abord. Celle des différents volumes de Les Enfants de la Terre (Jean M. Auel), qui
dépeignent l’évolution d’une jeune femme Homo Sapiens élevée par des Néandertaliens. Son histoire, sur fond de savoirs ancestraux, dont la connaissance des plantes, m’a interpelée. Un sentiment tenace, ensuite : celui que ma place n’était pas en ville. J’ai fait des études de langues et j’ai passé beaucoup de temps à l’étranger, dont 5 ans à Londres. Puis j’ai travaillé et vécu 5 ans à Paris, sans que je ne trouve vraiment de sens à tout ça. Il y a eu, ensuite, une expérience fondatrice. J’ai rencontré Laurent, mon mari, lors d’un voyage au Laos. Lui est originaire de Normandie et vient du monde agricole. A l’époque, il commençait les saisons comme responsable d’alpage en Suisse. Je l’ai suivi un été. Un jour, assise parmi les vaches d’Hérens sur un parterre de fleurs, j’ai eu la certitude qu’il fallait que je change de vie.
Et comment vous y êtes-vous prise ?
J’ai quitté mon travail et j’ai fait les saisons avec lui. Puis nous avons cherché un corps de ferme à rénover dans la région. Ça nous a pris du temps car on ne voulait pas mettre de côté l’esthétisme du lieu. On a trouvé cet endroit, sur une colline de Neaux, et on en est tombés amoureux. On a commencé les travaux en 2002, et ouvert notre gîte en 2005. Entre temps, notre fils est né. J’ai de plus en plus cuisiné, et me suis intéressée de très près à toutes les plantes qui m’entouraient. Je cherchais, aussi, une occupation supplémentaire, car je passais 4 mois de l’année seule. Depuis 1998, mon mari passe toujours ses étés en Valais en Suisse…
Et c’est ainsi que vous êtes devenue « Véronique l’Ortillère », cueilleuse de plantes sauvages…
Oui. J’ai d’abord suivi des formations via la Chambre d’Agriculture,et étudié les cours d’herboristerie familiale d’un ami herbaliste, enseignant de l’Ecole Lyonnaise de Plantes Médicinales. Et, en 2010, j’ai installé mon atelier ici, pour y recevoir les gens. J’ai créé ma boutique et mon labo de transformation dans une dépendance.
Que trouve-t-on dans votre boutique ?
Le fruit transformé de mes cueillettes sauvages, principalement. J’ai aussi un jardin potager avec des plantes aromatiques. Je propose donc des sirops de plantes (menthe bergamote, sureau, hysope…), des confits de fleurs (serpolet, pissenlit…), des pestos (ortie, ail des ours…), de la soupe d’orties, des boutons floraux, des confitures (tomates vertes, mûres, courge/orange…), des sels aromatisés, des poudres de plantes et de la Frênette, un cidre de frêne emblématique de Picardie. On peut trouver mes produits à L’Echoppe de Saint-Symphorien de Lay ainsi qu’au Château de La Roche. Je suis quant à moi présente tous les vendredis matin sur le marché de Roanne.
Vous proposez également des balades botaniques en saison, soit un stage d’une journée pour aller à la rencontre des plantes sauvages comestibles. Comment se déroule-t-il ?
Il commence le matin par un « café » (à base de racines de pissenlits) pris ensemble pour apprendre à se connaître un peu. J’en profite pour expliquer les règles de cueillette : ne prélever que ce qui va être consommé, ne pas arracher les racines, déceler les pollutions humaines, etc. Nous partons ensuite en promenade autour de la ferme. Pas besoin d’aller très loin car il y a une profusion de plantes comestibles autour de nous. Je donne les clés pour les identifier, qui sont consignées dans un livret que je remets aux participants. Nous rentrons ensuite pour déjeuner à l’atelier, où je sers un repas végétal amorcé à l’avance. Nous cuisinons ensuite les plantes récoltées et étudions en même temps les confusions possibles, les valeurs nutritionnelles, etc. L’idée est que chacun reparte avec des connaissances de base et des recettes simples qui constituent autant d’alternatives nouvelles et saines à la cuisine quotidienne.
Quelles sont-elles ces plantes qui nous entourent et que nous ne voyons pas ?
Il y a par exemple l’achillée millefeuille, avec ses feuilles en forme de sourcil pour la salade ou ses fleurs pour les desserts, l’alliaire officinale, qui constitue un condiment remarquable, la berce, chez qui tout se mange, la stellaire et son goût de noisette fraîche, et tellement d’autres encore… Sans parler de leurs nombreuses vertus, autres que gustatives.
J’imagine que vous ne regrettez pas ce choix de vie ?
En effet. Même s’il s’agit d’un métier très prenant, qui ne s’arrête jamais. Mais je me sens libre de m’organiser comme je le souhaite, au rythme de la nature, sans aucune monotonie. J’ai la sensation d’être dans le vrai, et de vivre régulièrement des instants sacrés.