Liquoristerie artisanale
Secrets de spiritualité
Ah, les repas dominicaux chez les grands-parents, la famille réunie pour le meilleur, et parfois pour le pire, autour d’agapes tout aussi favorables au bon cholestérol qu’un chasseur l’est à un steak végétal ou Gérard Larcher à un choux de Bruxelles, et de conversations dont le niveau sonore s’emballe en même temps que les abus se font avec modération. Il y a ceux qui s’en souviennent comme d’une visite médicale, obligatoire, récurrente et malaisante, entre les sous-entendus glauques des uns sur l’évolution de notre anatomie, les sempiternelles railleries des autres sur une situation amoureuse dont le secret est en sursis, les escarmouches idéologiques d’une assemblée soudain experte en géopolitique, l’homophobie si bien triplée de racisme et de misogynie d’un tonton chaud pour la baston, ou encore cette légère envie de rendre, mais à qui, toutes les rasades sans scrupules d’une nuit sans répit. Et que dire des effluves d’oignons frits et de poulet grillé, de l’eau de Cologne de papi mélangées à celle des pommes de terre sautées, de la vision du saucisson aux herbes du maquis sur son lit de tucs passés, de cette coupette qu’il va bien falloir descendre si on ne veut pas se faire repérer, ou, pire, de ce canard forcé dans une eau de vie de poire du siècle passé… quand tout ce qu’on souhaite se résume à l’oubli de soi dans un canapé ? Et puis il y a ceux qui, au contraire, ont fait de ces rendez-vous d’antan de bien doux souvenirs, à deux pas certes de la mélancolie, mais sans qu’apparaisse le foireux cortège des papillons noirs. Ces gourmands-là aimaient le brouhaha, le gazouillis des petits et la chamaille des grands, jusqu’aux froufrous des jupons serviles qui s’affairaient en cuisine. Ils étaient plein d’indulgence pour les questions indiscrètes, qui finissaient en pirouette, les idées d’un autre âge, sans en faire un fromage, ou pour les blagues potaches d’un tonton chaud tout court, celles dont ils connaissaient la chute depuis 89, quand le mur l’a enfin vécue. Parce qu’il y avait de l’amour sûrement, et qu’à qui sait bien aimer il n’est rien d’impossible. Dieu que ce rôti était bon, même s’ils ont arrêté depuis la chair animale, Dieu que l’ivresse était divine à force de tournées générales, Dieu que mamie était tendre à en être proverbiale. Au diable cette poire qui les faisaient tousser, au diable le pull moche d’un cousin plein d’acné, au diable les propos lourdauds et les haleines chargées. Ils étaient ensemble, faisaient famille, louaient leur tribu, l’appartenance à un clan et la force du sang.
Ludovic Laval est de ceux-là. Qui se souviennent avec joie des festins familiaux d’une prime jeunesse révolue, et embrassent en pensée des ascendants qui ne sont plus. Mais, poussant ainsi très loin son devoir de mémoire, il a fait de cet album à feuilleter un savoir-faire ressuscité. Celui de sa grand-mère Alice qui, de ses liqueurs artisanales a longtemps arrosé un petit monde réuni en assemblée. Installés à Saint-Forgeux Lespinasse, Ludovic et sa femme Elodie ont alors tenté une aventure qui, déjà, est sur toutes les lèvres : celle des Liqueurs d’Alice, fabriquées à base de plantes et de fruits en agriculture biologique. Grand bien leur en a pris car, entre une médaille d’or et des clients conquis, leurs liqueurs 2.0 sont prêtes à conquérir la région déjà, le monde ensuite.


Bonjour Elodie, bonjour Ludovic. L’aventure des Liqueurs d’Alice est très jeune, et une première vie professionnelle la précède. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Dans la famille de Ludovic, on est agriculteur depuis 4 générations. Il est éleveur de Charolais à Changy, associé avec sa maman, et prochainement avec moi. Moi (Elodie), j’ai travaillé 12 ans dans la grande distribution, avant de réaliser que cet univers professionnel ne me convenait plus. J’ai alors fait une école de commerce à Lyon. Puis un soir, après une infusion entre amis, l’idée d’un travail en lien avec les plantes m’est venue. Tant et si bien que j’ai ensuite suivi pendant un an les cours de l’Ecole Lyonnaise de Plantes Médicinales. En décembre 2021, nous avons, Ludovic et moi, créé un site marchand de produits d’herboristerie, « Herbothera ». Mais le fait de ne pas les cultiver et les transformer nous-mêmes ne nous a pas convaincus. C’est alors que Ludovic a eu l’idée de concevoir une liqueur…

Et quelle est l’histoire de cette première liqueur ?
J’ai (Ludovic) toujours rêvé de reproduire la verveine de ma grand-mère, mémé Alice, qui nous la servait à chaque réunion de famille, comme ses bouchées à la reine ou sa salade de fruits. Une liqueur exceptionnelle dont elle a transmis le secret à ma mère. C’était pour moi une façon de cultiver la mémoire de ceux qui ne sont plus là, et de rendre un hommage posthume à cette femme courageuse, aux maigres ressources, qui luttait déjà contre le gaspillage en transformant les plantes et fruits de son jardin en liqueurs.
Quand avez-vous produit votre première bouteille Les Liqueurs d’Alice ?
A l’été 2022. Avant, il a fallu faire de nombreux tests et se mettre en règle avec les douanes. Nous avons démarré avec nos économies, et des limonadières ! Nous avons commencé à faire les marchés, puis Le Flacon des Halles (Diderot) nous a appelés pour participer à la soirée d’inauguration RTO en octobre 2022. Le succès de nos liqueurs a été tel que nos limonadières ont vite montré leurs limites… Bref, il fallait passer à la vitesse supérieure.
Vous voulez dire augmenter le volume des contenants ?
Entre autres choses, oui. Il a fallu faire un choix entre une production confidentielle et l’investissement que supposait un rendement plus important. Nous avons décidé d’y aller à fond, en contractant un prêt et en achetant du matériel professionnel, et nous avons mis en sommeil Herbothera. Nous avons également fait appel à Eva Braga (« Comigo ») pour ses conseils en graphisme et en communication. Elle a donné du caractère à nos étiquettes, qu’elle a modernisées et féminisées. Pour contribuer à dépoussiérer l’image de la liqueur…
Quelles recettes aviez-vous au départ ?
Nous avions 4 références, en agriculture biologique : fraise/basilic, framboise/estragon, menthe et verveine. Nous avons également proposé une liqueur de Noël à base d’épices et de pommes… 80 kg consciencieusement épluchés par nos soins le soir…
C’est avec elle que vous avez remporté la médaille d’or au Concours International des Spiritueux de Lyon en mars 2023 ?
Oui ! C’était incroyable ! Nous avons cru à la chance des débutants, car nous étions finalement des « apprentis liquoristes », mais nous avons également eu une médaille d’argent pour la fraise, une autre pour la framboise !


C’est vrai, quelle notoriété en si peu de temps ! Et les commerçants vous ont vite fait confiance…
Nous avons pour l’instant 52 points de revente dans la région, dont Roanne (Les Vins de Sylvain, Le Flacon des Halles), Montbrison (Le Repaire du Sommelier), Charlieu (La Cave de Marius), Renaison (Comptoir des Vignes), et nos liqueurs sont proposées chez des restaurateurs. Nous faisons partie, depuis octobre dernier, du collectif indépendant et militant « Artisans de Qualité » créé par le Collège Culinaire de France. C’est pour nous une belle reconnaissance de notre travail puisque notre adhésion a été approuvée à l’unanimité, dont par le Président Alain Ducasse.
Vous vous positionnez davantage sur la qualité que sur la quantité n’est-ce pas ?
Exactement. Tout est maîtrisé localement, des étiquettes au packaging, en passant, bien entendu, par les produits qui entrent dans la composition des liqueurs (fraises bio de La Pépinière, plantes ou pommes du jardin…), qui sont sans colorants ni additifs.
Comment vous répartissez-vous les rôles ?
Ludovic se charge de l’élaboration des recettes, sans alambic mais avec de l’alcool pur à 96°, des tests, du filtrage et de l’embouteillage (en 50cl, ou 20cl pour les coffrets). Je m’occupe moi de l’étiquetage, du cachetage à la cire et de la commercialisation.
Vous avez je crois étoffé votre offre ?
Oui, nous proposons, en plus des liqueurs « historiques », les recettes suivantes : orange/café, mûres sauvages/feuilles de cassis, verveine/chanvre (appelée La Dinguerie de Mémé), et la liqueur de pralines, dont nous sommes très fiers ! Nous l’avons d’ailleurs présentée aux lyonnais le 27 novembre dernier lors d’une soirée à l’hôtel Mercure Centre Beaux-Arts. D’autres sont à venir, comme la liqueur citron/feuille de mélisse. L’idée est de toujours combiner un fruit et une plante.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
De continuer à rajeunir et à féminiser l’image de la liqueur. Et puis… afin de ne plus être à l’étroit, nous voulons réhabiliter l’intégralité de la maison où se trouve notre site de production, celle de mon autre grand-mère, Juliette. On imagine un bel atelier, un showroom, un espace de stockage et un grand jardin pour y cultiver nos plantes. Chaque liqueur vendue nous permettra de réaliser les travaux, nous prévoyons une rénovation sur du long terme. Surtout, nous voulons poursuivre cette aventure exaltante, et faire revivre mémé Alice dans chacune de nos créations…
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.

07 63 45 64 18
www.les-liqueurs-alice.fr