UN MODÈLE CULTUREL EN PLEINE RURALITÉ
NOUVELLE ÉDITION LES 2, 3 ET 4 AOÛT 2024
Longtemps, l’accès à la culture est resté une prérogative urbaine. Aux grandes cités les opéras de Verdi et les musées qui claquent, aux bleds les beuglantes éméchées de Riri sur fond de Louise Attaque et La Maison de la Charentaise ouverte tous les vendredis treize. Aux métropoles les découvertes insolites et le Crazy Show de Dita Von Teese, aux trous paumés la fête de la cerise et Riri qui nous entonne « Tout tout tout, vous saurez tout sur ma …. ». On connaît la chanson : d’un côté les citadins qui, pour peu qu’ils aient du fric, peuvent passer d’une conférence sur l’Egyptomanie à la portée émotionnelle d’un orchestre philarmonique, de l’autre, les cul-terreux, dont nous sommes, qui, pour peu qu’ils n’en aient pas, doivent bien se contenter des analyses géopolitiques de comptoir et des reprises foireuses de Johny Guitar.
Pour en parler, il faut l’avoir vécu, ce petit bal perdu, dont les flonflons finissaient souvent sur des airs de castagne, les rouges limés rendus au premier virage ou au premier talus, et les oraisons de buvette rarement dans le programme d’hypokhâgne. Il faut l’avoir connu, ce petit bar ringard, où Riri, toujours lui, nous tenait le crachoir, quand ce n’était pas Lolotte, qui, au moindre coup de cafard, remplissait son ardoise de tournées de poivrote. Il faut s’en souvenir, de ce concours de bûcherons, qui enquillaient les pintes plus vite que les tronçons, de ce jeu du jambon suspendu, pauvre hère maudit dont il fallait deviner la hauteur contre un panier garni, ou de ce défi lé de chars, nec plus ultra de la créativité populaire, qui s’achevait dans la liesse par une bataille de confettis. Il y avait les anciens qui nous parlaient de leur temps, des étoiles, des neiges parfois, plein les yeux, et de la fois où le ptit Jean de la ferme du Grestavan avait foutu la frousse aux allemands. Il y avait les jeunes qui ne savaient plus danser et restaient accoudés, leur disant d’arrêter de radoter toutes ces histoires dont ils avaient soupé. Nous étions loin, c’est sûr, des soirées parisiennes, plus proches, peut-être, des soirées belles à Sienne. Sans drogues de synthèse ni mixologie autre que celle consistant à mettre un fond de cassis dans une mondeuse tiède, sans glaçons venus des fjords ni DJ autre que Francis 4L pour nous annoncer le quart d’heure musette.

Et pourtant. Quelle acmé poétique dans ces brèves savoureuses, ce folklore suranné et cette griserie pastorale qui, le temps d’une chanson, nous permettaient de nous aimer. Aujourd’hui, la culture dite « dominante » s’invite de plus en plus dans les campagnes, en profonde mutation sociale. C’est une avancée bien sûr, à l’initiative souvent des acteurs locaux, un « chamboule tout » des préjugés qui crée des ponts entre les mondes, pour une nature humaine qui de partout est la même. Nous avons adoré, et adorons encore, cette contreculture rurale et ses artistes patentés, mais avouons qu’un marathon des contes, un cinéma itinérant, un atelier d’arts plastiques ou encore un récital en plein air sont à prendre plus qu’à laisser. Et peut-être d’autant plus à l’heure de l’exode
inversé. Il se trouve qu’il existe au cœur du Forez, à Trelins exactement, un festival de musique qui concilie engagement sociétal, implication écologique, bamboche intergénérationnelle et culture. Le bien nommé Foreztival fêtera bientôt ses 20 printemps, ce qui, au vu de son ardeur à mettre le feu, lui arrive tous les ans. Ce plaidoyer du vivre ensemble, qui cette année aura lieu les 2, 3 et 4 août, célèbre la musique et le pouvoir qui est sien. Laure Pardon, sa directrice, et Marion Berthet, sa responsable de communication, nous parlent, de concert ça tombe bien, de son histoire, de ses valeurs, de ses fiertés, et de son ambiance folle à tout envoyer valser.


Bonjour Laure, bonjour Marion. Quand et comment a commencé l’aventure du Foreztival ?
Le projet a été initié en 2004 par des jeunes du territoire qui voulaient organiser chez eux un évènement musical de qualité. Ils se sont rapprochés de l’APIJ, l’Association pour l’Intercommunalité des Jeunes, pour les jeunes et par les jeunes, qui les a fédérés autour de leur rêve de gosse : passer 3 jours dans les champs de Trelins à écouter de la musique live. La première édition a eu lieu en 2005 et a rassemblé 3 500 personnes. Le Foreztival était né et, l’année suivante, le nombre de festivaliers avait déjà doublé, avec Dionysos en tête d’affiche… Jusqu’à arriver à 40 000 personnes en 2023…
J’imagine que vous avez dû, entre temps, vous structurer et « repenser le projet » ?
Bien sûr, au fur et à mesure que des paliers étaient franchis, il a bien fallu être à la hauteur de l’enjeu. On est sortis de l’APIJ en 2014, pour créer l’association Foreztival, au sein de laquelle il n’y avait alors que des bénévoles. Marion est venue faire un stage en 2016 et, comme on ne pouvait pas se permettre de la perdre, elle a été la première salariée, en même temps que les festivals devenaient de partout en France un outil d’attraction touristique, et plus seulement un « repère de jeunes drogués » dans l’imaginaire collectif. Mais on n’arrivait plus à équilibrer financièrement le festival alors on a préféré ne pas faire de 13ème édition en 2017, pour repenser intelligemment le projet.
C’est à ce moment-là que toi, Laure, tu es devenue la directrice du Foreztival ?
En fait, je suis arrivée comme bénévole en 2006 et j’ai pris la présidence de l’APIJ en 2008, puis de l’association Foreztival à sa création. Je suis salariée et directrice depuis 2018, l’année de tous les changements. Celle où on a retravaillé le lien avec le territoire pour créer des partenariats et de l’intersectorialité. On est rapidement passés de 2 à 4, puis 6 salariés. On est 10 aujourd’hui, car on a développé aussi d’autres activités, et pas moins de 650 bénévoles.
Comment avez-vous vécu les années covid ?
Disons qu’on est resté fidèles au principe de liberté… le festival a été annulé bien sûr en 2020, puis on a dû changer notre fusil d’épaule au dernier moment en 2021, lorsqu’ont été imposées des jauges qui n’étaient pas compatibles avec cet évènement. On a alors réalisé un tour de force et organisé un tour du Forez en 87 jours, finalement ramené à 49 en raison des décisions du gouvernement. Ce projet fou, de programmer une proposition culturelle gratuite sur chaque commune, a eu un succès de dingue et nous a donné une vraie légitimité sur le territoire.
Et depuis ? C’est un rythme de croisière ?
L’année de vraie reprise, 2022, a été très…sport en interne, mais finalement très réussie, avec un public ravi de réinvestir les champs. 2023 a été celle de la stabilisation, et de la consécration, avec 40 000 personnes reçues. Et des améliorations dans tous les domaines !
Notamment en termes de lutte contre les violences sexistes et sexuelles non ?
Oui, même si on est tous conscients des problématiques que peut engendrer un festival et qu’on travaille depuis le début à la prévention des risques, on a voulu accélérer la cadence en ce qui concerne la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en milieu festif. On a mis en place des formations, des chartes de bienveillance y compris pour les artistes, des procédures d’intervention, et le matraquage « festival safe et tolérance zéro » a porté ses fruits. On a près de 70 professionnels à nos côtés tout au long du week-end pour secourir, accompagner, rassurer, soigner, écouter les festivalier·e·s. Dont les bénévoles de l’association Giddy’Up, qui est spécialisée dans ce domaine-là. Et même le public se mobilise pour ne rien laisser passer.
Le Foreztival porte des valeurs fortes, de solidarité, de découverte et de partage. Vous pouvez nous en dire quelques mots ?
C’était le postulat de départ, et il est inchangé. L’humain est vraiment au centre de l’évènement. Ce n’est pas du marketing. Le public est intergénérationnel et la bienveillance est au cœur de nos actions. C’est un festival inclusif qui unit les gens. Et puis, on est très fiers de pouvoir susciter des vocations et de montrer à nos jeunes qu’il y a des débouchés culturels sur notre territoire.
Le festival est également engagé pour une culture indépendante et… éco-responsable…
Oui, dans un contexte de domination du marché par les multinationales, c’est crucial que le Foreztival reste indépendant. Il est d’ailleurs autofinancé à plus de 95%. En bref, il existe par et pour les festivaliers. Quant à son impact écologique… il a lieu en pleine nature sur des champs agricoles, avec un camping gratuit, alors il est évident qu’il doit s’inscrire dans une culture soutenable et durable. Ça passe par la gestion et le tri des déchets, des toilettes sèches, des gobelets réutilisables, des circuits courts qui permettent tout autant de limiter l’empreinte carbone que de valoriser nos partenaires locaux, etc.
Parlons programmation… qu’en est-il pour cet été ?
Elle est, comme chaque année, très diversifiée, avec un croisement entre des têtes d’affiche et de belles découvertes. On y travaille depuis des mois, et on peut d’ores et déjà annoncer PLK, un rappeur incontournable de la scène française, Dub Inc, qui est devenu sans conteste le groupe le plus emblématique du reggae made in France, la Fonky Family, légende du rap français, Pomme et son univers poétique, etc.
Que peut-on vous souhaiter ?
De participer, encore et toujours, à l’attractivité de notre territoire, à cette culture itinérante qui suscite tellement d’innovations, d’interactions, de vitalité. De propager les valeurs du Foreztival qui font son ambiance folle et, bien entendu, d’accueillir des générations de festivaliers heureux !

