Meilleur Ouvrier de France
en Ferronnerie d’Art
De force et de délicatesse
Si ce n’est pas en papillonnant que l’on devient papillon, ni en végétant que l’on devient liseron, c’est bien en forgeant que l’on devient forgeron. Et il n’y a pas d’âge pour ça, toute vraie vocation n’arrivant pas précocement accolée à nos langes, eu égard au manque de ponctualité flagrant des bonnes fées de la destinée. Dans ce bas monde en effet, peu peuvent se targuer d’avoir su avant le premier bouton d’acné quel domaine allait bien pouvoir les révéler, et faire d’eux des êtres de labeur certes, puisqu’il en est ainsi, mais de labeur heureux, c’est mieux. Combien sont-ils les ingénieurs en génie civil à rêver du génie de la lampe merveilleuse, les lobbyistes de Monsanto à se dire que la vie aurait eu plus de sens en portant un autre flambeau, les dentistes qui s’imaginent la tête dans les étoiles plutôt que dans nos intimités buccales, les hommes qui se voyaient les mains dans la farine, les femmes dans des moteurs de berlines, et tous ces businessmen qui auraient voulu être des artistes, pour pouvoir faire leur numéro et chaque jour changer de peau ? La société actuelle a cela de bon qu’elle permet aux plus déterminés des mal orientés d’échapper, justement, au déterminisme, et à la fatalité d’une vie professionnelle qui les dévore davantage qu’elle ne les nourrit. L’ennui porte conseil et précède parfois des tempêtes qui nous sauvent d’une existence sans vie. Non sans ténacité ni trésorerie conciliante, d’aucuns peuvent aujourd’hui aspirer à passer du vacarme d’un atelier au silence de la sophrologie, de l’agrobusiness à la permaculture, de la politique à l’enseignement des chants cosmiques, de chauffeur de salle à tailleur de pierre… Du coq à l’âne, même, si la pratique veut bien suivre la théorie. Le tout étant de ne pas faire que passer. Car il faut quelques fûts d’huile de coude pour s’extraire de la désorientation, et ne pas s’endormir sur des lauriers fanés quand tout ce qu’on voulait c’était prendre la clé des champs, ne pas seulement respirer mais avoir le souffle coupé. « Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie » … Merci Confucius, mais cet épanouissement personnel par la méritocratie et le turbin n’est pas donné à tout le monde. Tous les talents ne se valent pas dans la grande arène des métiers dignement rémunérateurs. Et faire de sa passion un travail, c’est aussi la soumettre à la dure épreuve de la privation de liberté induite par la pression de la productivité. Bien heureuse celle qui peut s’en trouver confortée.
Dans la liste peu buissonnante des trimeurs comblés, Julien Perez est ma foi excellemment bien placé. Sorte d’Héphaïstos de la forge 2.0, sans immortalité ni difformité cependant (rappelons que ce Dieu grec de la flamme et du feu apparaissait, sous sa forme humaine, estropié…), ce Meilleur Ouvrier de France en ferronnerie d’art a su battre le fer quand il était chaud et écouter cette fièvre de l’esprit l’ayant entraîné hors des sentiers balisés. Il s’est fait seul et sans vraiment jouer sur le velours, passant de l’usinage de pièces à la création de volutes et autres arabesques nées d’un dialogue élaboré entre lui et l’acier.
Naissance d’une vocation
Julien est originaire de Coutouvre, et issu d’une famille d’artisans. Petit, il noue une relation presque filiale avec un voisin de sa grand-mère qui est maréchal-ferrant et n’a pas d’enfant. Il lui transmet, année après année, et juste pour le plaisir, le goût du travail manuel et l’amour du geste. Julien s’oriente vers un métier en lien avec le fer, et un apprentissage en tournage-fraisage. Il obtient son BTS en 2002 et commence à travailler pour des entreprises de la région, notamment à la fabrication de pièces utilisées dans l’aéronautique. Mais ses fonctions automatisées le déçoivent, et l’impression de n’être qu’un numéro, sans envergure créative, sonne petit à petit le glas de sa vie salariée. Passionné de fer forgé, il suit des stages un peu partout en France en parallèle de son travail, et se forme en autodidacte. Pour se « faire » la main, il restaure un corps de ferme à Coutouvre et y crée son atelier. Encouragé par son patron d’alors, et par un ferronnier de renom, il monte son autoentreprise et quitte son poste de technicien de méthode. 4 ans plus tard, il est installé. Heureux d’être son propre patron. Mais lui et sa femme ont envie de prendre le large pour quelques temps. L’aventure les mène dans Les Landes, près de Dax, où Julien ne tarde pas à se faire une clientèle, pour de la création ou de la restauration de patrimoine. Également investi d’un devoir de transmission, il commence à former un apprenti. Puis lui vient une idée folle, inspirée d’un besoin de reconnaissance et de mise à l’épreuve de ce savoir-faire acquis sans validation formelle. En ligne de mire : le concours du Meilleur Ouvrier de France qui, tous les 3 ans, récompense les meilleurs candidats dans plus de 200 catégories de métiers manuels. Nous sommes en septembre 2019. Après une réalisation de présélection, Julien est retenu. Il est trop tard pour faire machine arrière.
Le concours du MOF :
En 2020 cependant, une maladie infectieuse émergente bouleverse la quasi-totalité des agendas, et ce n’est qu’en juillet 2021 que Julien reçoit son sujet de qualification, soit la restauration d’une console de marquise sur la Villa Majorelle. Il y travaille tous les week-ends jusqu’à sa convocation devant un jury parisien le 19 novembre. Le stress est pour lui d’une rare intensité, mais il sait un mois plus tard qu’il est qualifié pour la 27ème édition du concours. Le thème du travail imposé, à rendre et à soutenir en novembre 2022, lui parvient en janvier : « Etude et réalisation d’un portillon sur le thème du végétal, pour une école maternelle dénommée Jean de la Fontaine ». S’il se demande d’abord dans quelle galère il s’est embarqué de plein gré, Julien se laisse vite gagner par l’inspiration. En effet, une thématique végétale offre davantage de libertés qu’une thématique classique, beaucoup plus codifiée, et millimétrée. Après maintes recherches sur le poète et son époque, celle de Louis XIV, Julien réalise de nombreux croquis, se laissant également porter par la résurgence de souvenirs issus de ses courses dominicales dans les bois. En avril, son projet final est posé sur papier à l’échelle 1/1. Il met son entreprise en sommeil et s’attelle alors, jusqu’en novembre, à la réalisation de sa pièce maîtresse. Tous les jours. Quelque 700 heures de travail. Une dizaine de kilos en moins. Puis vient l’instant crucial, l’oral du 19 novembre 2022, au CFA des Compagnons du Devoir de Colomiers, vers Toulouse. Une équipe de TF1 est là, pour un reportage diffusé le 24 juin 2023. Après des mois de travail acharné, presque délirant, il est sacré à 42 ans, avec un autre candidat, Meilleur Ouvrier de France, alors qu’il n’y avait pas eu de lauréat en ferronnerie d’art depuis 2015. Tandis que son apprenti devient, lui, Meilleur Apprenti de France la même année. Julien obtient son grâle, son diplôme d’excellence et la validation qu’il attendait tant : celle de ses pairs.
Le retour aux sources
Après 6 ans de climat landais, Julien et sa petite famille (il a 3 fils) retrouvent le nôtre. Tous réinvestissent le corps de ferme coutouvrais, et l’artisan ferronnier d’art établit fin août 2023 son atelier rue de Charlieu, dans un local de 250m2 de l’ancienne zone Ultra-Demurger. A l’entrée trône la création récompensée : une interprétation du Corbeau et du Renard, faite de mille détails à la douceur invincible et porteurs d’une symbolique d’espoir, de paix, d’endurance. Et de ce mot « école » forgé pendant les épreuves. Plus loin se trouve une forge magistrale, prête à rougir pour la bonne cause. Celle de l’alliance du feu et de l’acier, qui donne vie aux marquises, aux sculptures, aux garde-corps, aux verrières, aux targettes, au mobilier ou à tout ce que l’on peut imaginer. Auréolé de son nouveau titre, Julien se constitue sa clientèle ici ou de partout en France, et répond à des commandes de restauration de monuments classés. Cette récompense ultime ne met cependant pas un terme à son apprentissage et lui donne au contraire les ailes pour se perfectionner davantage, toute sa vie durant. Animé par cette « mise en mouvement » de son savoir-faire, il transmet ses gestes passionnés à son apprenti de 22 ans, Nathan, et lors de stages de longue durée, qui peuvent sceller des destinées. Entre la forge classique et la forge libre, plusieurs métiers se côtoient : le forgeage à proprement parler, fait de force exercée à froid ou à chaud sur une barre de métal, le repoussage, un procédé de modelage à froid, ou encore l’étampage, permettant d’imprimer en relief des moulures sur le fer chauffé. Ajoutons bien sûr la dimension artistique, qui transcende la matière et force la délicatesse, tout autant que le respect. Alchimiste des temps modernes, maître du numéro atomique 26, Julien perpétue une histoire séculaire qui, à l’ardeur des flammes, sait créer du velours là où il n’y a que froideur métallique. Une ode à la ferme douceur, en somme, à la noble volonté de faire, qui, comme la délicatesse, vient à bout de n’importe quelle porte de fer.