D e s s i n a t e u r
Nancy Wake » ou la résistance au féminin
Si l’on en croit le nombre de femmes, 6, figurant parmi les 1038 Compagnons de la Libération nommés par le Général de Gaulle… nul doute que la résistance était une affaire de bonhommes. Comme l’ouverture des huitres, la charge mentale du barbecue ou les poignées de mains écrase-phalanges. Supposément donc, celles qui n’ont pas été tondues en 45 ont dû soit attendre que ça se passe sans broncher, soit, au taquet de leur courage, préparer pour les maquisards les casse-croûtes au topinambour et laver leurs bandages. À 6 exceptions près, dans l’honneur et par la victoire : Marie Hackin, Berthy Albrecht, Laure Diebold, Marcelle Henry, Émilienne Moreau-Évrard et Simone Michel-Lévy. Des mascottes presque, comme les Mabrouk, Junior et Mabrouka de 30 Millions d’Amis.
Il faut dire que les Lucie Aubrac, Olga Bansic, Germaine Tillion, Geneviève Anthonioz-De-Gaulle, Madeleine Riffaud et autres Marie-Madeleine Fourcade n’étaient alors pas considérées comme des citoyennes à part entière, mais comme des mineures civiles probablement assignées à des tâches traditionnelles. Sans parler de la masse des anonymes au féminin qui ont pâti
de l’oubli de la mémoire offi cielle, celles qui ont servi d’agents de liaison, de secrétaires, d’opératrices radio, de francs tireurs ou franches-tireuses, de meneuses d’hommes même, et ont participé activement à la création des mouvements de libération, au ravitaillement, à l’aide apportée aux juifs persécutés ou aux résistants traqués. Elles ont pourtant payé, sans assignation de genre cette fois, un lourd tribut pour leur sédition : environ 9000 ont été déportées dans des camps de concentration, dont la moitié ne sont pas revenues. Mais alors que s’est-il passé pour que l’histoire tarde tant à leur rendre hommage ? Bien sûr, au sortir de la guerre, il y a eu celles, nombreuses, qui ne l’ont pas ramenée, la couronne de laurier étant rarement un apanage ambitionné par les femmes. La société d’alors a aussi, et surtout, procédé à une mise à l’écart de leur engagement, relégué au rang de coup de main sans panache, de broutille, de détail de l’histoire et « malheur aux détails, la postérité les néglige tous ! ». Fort heureusement depuis, de nombreux travaux universitaires ont redonné une substance à ces braves effacées, et le Panthéon même s’est ouvert pour veiller le repos éternel de certaines d’entre elles.
» Il n’est pas nécessaire de jouer au masculin pour être une femme forte ». Cette phrase aurait pu être prononcée par Nancy Wake, prodigue en son temps en punchlines, qui elle aussi lutta contre le bruit des bottes allemandes. Cette journaliste, australienne d’origine, écuma les fêtes de Paris jusqu’à ce que l’antisémitisme et l’occupation ne la fassent s’engager dans la résistance. Son habileté à échapper longtemps à la Gestapo lui valut le surnom de « souris blanche ». Finalement arrêtée, torturée puis relâchée, elle multiplia les missions périlleuses, armes à la main souvent. Elle fut, d’ailleurs, la femme la plus décorée de la seconde guerre mondiale. Après toute une vie de farouche liberté, elle mourut en 2011 à presque 99 ans, déclarant peu avant : » Si un gars comme Saint-Pierre existe, je vais lui faciliter la tâche tout de suite : je plaide coupable pour absolument tout. «
Elle avait écrit son histoire. Le boënnais René Fréry en a fait une pièce de théâtre, récemment adaptée en bande dessinée par le roannais Frédéric Mure. Un hommage, en attendant le femmage, en noir et blanc, pour une souris qui s’en est prise au chat. 99 ans dans la vie d’une femme.

Bonjour Frédéric, vous avez sorti votre premier album BD aux portes de la cinquantaine… s’agit-il d’une révélation ou avez-vous pris le temps de la maturité ?
– J’ai pris le temps de la maturité je crois. Je m’étais jusque-là laissé détourner de mon chemin… Après les études et l’armée, j’ai dû trouver un job alimentaire, qui s’est finalement transformé en carrière alimentaire. C’était encore vrai il y a quelques mois. Mais j’ai réalisé que je ne pouvais pas passer indéfiniment à côté de ce que j’aime.
Justement, comment vous est venu cet amour pour la bande-dessinée ?
– Enfant, j’ai adoré Les Schtroumpfs, Gaston Lagaffe, Achille Tallon, Tintin… J’allais le dimanche au marché de Riorges avec mes parents, où il y avait un bouquiniste qui m’a fait découvrir plein de choses. Dont Rahan, ce personnage qui sortait du cadre, et qui, à l’époque déjà, dénonçait à sa façon les fakenews. Et je me suis dit : voilà ce que je veux faire de ma vie, être dessinateur de BD.
Vous avez suivi un cursus artistique n’est-ce-pas ?
– Oui, j’ai, d’aussi loin que je m’en souvienne, toujours dessiné. Alors j’ai passé un Bac littéraire et artistique au Lycée Jean Puy de Roanne, puis j’ai intégré l’école Emile Cohl à Lyon, où j’ai connu 4 années d’apprentissages fabuleux. Après… il y a eu l’armée, qui m’a fait découvrir l’âme humaine, puis le retour à Roanne, où je me suis vu coupé du milieu artistique. Et, comme je l’évoquais, j’ai peu à peu perdu le lien avec ma vocation première.
Qu’est-ce qui vous a reconnecté alors ?
– Les enfants qui grandissent, la vie qui passe, le travail qui n’a plus de sens… disons que je me suis réveillé et que j’ai vu, dans ce cycle qui se terminait, l’opportunité, la dernière peut-être, de faire ce que je voulais.
Et vous voilà donc illustrateur de Nancy Wake, dont l’auteur est René Fréry. Comment est née cette collaboration ?
– René Frery est un ancien professeur de biologie et physique qui a toujours été très impliqué dans la vie culturelle. On lui a demandé il y a quelques années de transformer en pièce de théâtre le livre écrit sur la vie de Nancy Wake, journaliste et résistante pendant la seconde guerre mondiale. Un travail de plusieurs mois. Il se trouve que René est un ami de mon père et que, de passage à la maison, il a eu l’occasion de voir mon travail « amateur », que je n’ai jamais cessé. Et, très vite, il m’a proposé la mise en BD de sa pièce. J’ai accepté !
Vous en êtes également le scénariste ?
– Oui et non. Là aussi résidait une partie du challenge : il n’y avait pas de scénario et je suis donc parti de la pièce écrite par René pour construire mes planches. 51 au total. Je me devais d’aller au bout, c’était ma chance.
Le sujet vous a donc forcément inspiré ?
– Immédiatement. Parce que les parcours de femmes sont peu racontés et parce que celui-ci parle de rébellion face à la marche naturelle de l’histoire. Le thème de la résistance m’a toujours intéressé et, puisque nous vivons une période charnière, la mise en lumière de personnalités frondeuses m’apparaît presque comme un investissement pour l’avenir de l’humanité. Il est important de rappeler que la désobéissance civique est possible.
Pourquoi avoir choisi le noir et blanc ?
– C’était une évidence pour contextualiser, la couleur aurait cassé le propos.
L’album Nancy Wake est sorti fin 2023, à compte d’auteur, dans les librairies de Roanne et alentours. Que s’est-il passé pour vous depuis ?
– J’ai participé à des séances de dédicaces pour la première fois de ma vie. C’est une forme de valorisation, et un véritable exercice, pour un timide comme moi. J’ai intégré l’Apart (Atelier de Pratiques ARTistiques) à Riorges et je m’y essaie à plein de choses. Mais, surtout, je ne lâche rien et j’ai deux projets en cours, l’un en tant qu’illustrateur, l’autre en tant que scénariste. Je dessine tous les jours et me confronte aux autres, pour apprendre d’eux.
Avez-vous un thème de prédilection ?
– Le fantastique oui, et la science-fiction qui, sous prétexte de nous parler du futur, questionnent en réalité notre présent.
Pourra-t-on vous voir au Festival de BD d’Ambierle les 21 et 22 septembre ?
– Oui, j’y serai, avec Nancy Wake et d’autres choses. Et je ne suis pas peu fier.
Que peut-on vous souhaiter ?
– De pouvoir continuer à me dire « tu as eu raison de chercher à retrouver ton chemin ». On met du temps, parfois, mais l’arrivée n’est que plus savoureuse.
fredericmure@rocketmail.com