Champion para cycliste
LA VIE EN GRAND
Il aurait pu, c’est certain, faire du foot son passetemps dominical, et d’une séance d’abdos son train-train quotidien. Partir le week-end à Nervieux, à Chausseterre les jours de grands matchs, pour chausser les crampons entre vétérans, croire en la cohésion avant de rempiler pour une semaine de production. Se faire au passage une ou deux chevilles, trois ou quatre contusions, un syndrome méniscal et, avec un peu d’ambition, non pas un ligament mais une rupture complète après un tacle sans ménagement. Il serait parti l’été en bord de mer, l’hiver au ski, se serait plaint du sable dans la voiture puis des sodas à 15 balles dans les restaurants d’altitude. Il aurait posé des vendredis ou des lundis pour amener les gosses à Beauval ou à Disneyland Paris et, avec quelques 13èmes mois et de bonnes économies, aurait fait creuser une piscine, revêtement Acapulco ou Bora-Bora, pour mieux supporter les dérèglements du climat. Et puis, comme tout le monde, il aurait compté ses points retraite, mis en place une complémentaire, manifesté peut-être, avant d’entendre sur une chaîne de milliardaire, un ministre millionnaire annoncer qu’il n’y a plus d’argent pour financer nos arrières. Alors il se serait fait une raison, aurait espéré pour ses enfants une place dans l’administration, sans oublier de réserver le bungalow à Cavaillon, là où les melons sont si bons, avant qu’il ne lui passe sous le nez pour les prochaines vacances d’été. Avec des si, et même sans histoire de grande ville en bouteille, une vie ordinaire lui aurait été destinée. Une vie à laquelle il s’attendait, lambda, prête à porter, éventuellement à accessoiriser pour sortir du copier-coller. Et elle aurait été importante, comme l’est toute vie, elle aurait été belle, avec un peu de veine, mais… pourquoi donc en aurait-on fait un chapitre ?

Dans ce cas précis, oublions les si et les destins tracés, parce que rien ne s’est passé comme sa naissance l’avait laissé penser. Loïc Vergnaud en pinçait pour le foot, travaillait à l’usine et s’apprêtait à convoler avec sa bienaimée, quand un accident a jeté un sort nouveau sur sa fatalité. De valide, il est devenu handicapé, subitement dépossédé de sa normalité anatomique. Que faire alors, la colère n’y pouvant rien changer, de toute cette combativité alitée ? Et pourquoi pas le champion dont, même avec des si, il n’aurait jamais convoité l’étoffe ?
Loïc fut, un temps certes, un vase brisé, mais dont les morceaux n’ont pas été recollés en en cachant les cassures. Non. A l’instar de la méthode Kintsugi, cette discipline japonaise permettant de restaurer les objets abîmés avec de la poudre d’or, le jeune homme d’alors a longuement et précisément donné de l’éclat à ses lignes de failles. Une philosophie, comme un art, l’ayant hissé au sommet de la résilience et des podiums. Aujourd’hui athlète de haut niveau en paracyclisme, plusieurs fois champion du monde et doublement médaillé aux Jeux Paralympiques de Paris, il s’est accepté et transcendé, troquant la norme contre l’exceptionnel, le ronronnement contre le dépassement, et le colmatage discret contre le rayonnement d’un métal précieux.
Bonjour Loïc. Vous êtes aujourd’hui un athlète de haut niveau, récompensé à de multiples reprises sur la scène internationale. Pourtant, vous ne vous destiniez pas, je crois, à une telle carrière sportive ?
– C’est vrai. J’ai fait beaucoup de foot quand j’étais jeune mais je n’allais pas en faire mon métier, et j’ai eu un parcours « normal » … collège à la Pacaudière, car j’ai grandi à Saint-Martin d’Estraux, lycée à Roanne puis BTS électro-technique à Lyon. J’ai rencontré ma femme, on est venus s’installer à Saint-Alban-les-Eaux où j’ai travaillé pendant 3 ans à l’usine d’embouteillage.
C’est là qu’a eu lieu l’accident du travail ?
– Oui, le 21 décembre 2004. Mes jambes ont été écrasées par un charriot élévateur. On m’a plongé dans le coma et deux jours après, on m’amputait de la jambe droite. La gauche a été sauvée, avec de nombreuses opérations et traitements, et en dépit du staphylocoque qui a eu la bonne idée de s’inviter. Mais j’ai eu beaucoup de séquelles, et j’en ai encore. Je suis resté 2 mois alité et j’ai commencé à faire de la musculation, histoire, surtout, de me changer les idées. Et je suis parti appareillé à Lyon en centre de rééducation.
Qu’est-ce qui vous a porté à ce moment-là ?
– Ma combativité et mon entourage, ma femme Aurélie en particulier. On avait des projets avant, de maison et d’enfants, et on a décidé que ceux « d’après » seraient les mêmes. Alors j’ai suivi une formation de maintenance industrielle et j’ai repris le travail en intérim. Sans rien dire sur mon handicap parce que je ne voulais pas être considéré comme handicapé. Et je me suis remis au sport.
Le handbike ?
– Non, j’ai fait partie en 2008 des premiers joueurs de foot-béquilles, un sport non reconnu par la FFF mais qui m’a emmené jusqu’en Turquie pour participer à une Coupe d’Europe. Mais je n’arrivais pas à me dépenser autant qu’avant et un ami de la famille, para sportif également, m’a conseillé le handbike. L’association Handisport Roannais m’en a prêté un en 2010, et, en 2011, j’en ai acheté un d’occasion pour pouvoir commencer la compétition.
Vous avez accroché tout de suite alors ?
– Oui, parce que j’ai retrouvé les sensations que j’aimais. Au départ, j’ai pratiqué le handbike couché. Je me suis beaucoup entraîné et j’ai remporté mes premières courses, puis 2 coupes de France, en 2013 et 2015. Très vite, j’ai pensé aux JOP de Tokyo, mais pour pouvoir accéder aux courses internationales, il fallait que je passe au handbike à genoux, la catégorie qui me correspond. C’est normal de regrouper des athlètes avec des capacités comparables à performer, et le handbike couché est « réservé » à d’autres handicaps.
Mais… comment concilier le sport de haut niveau et la vie professionnelle ?
– Justement, ça devenait très difficile de progresser tout en travaillant. A l’époque, j’étais technicien cycle à Décathlon. J’étais pourtant passé à mi-temps, mais je devais, en plus des entraînements, aller frapper aux portes pour trouver des sponsors. Heureusement, en 2019, la Caisse d’Épargne Loire-Drome-Ardèche a accepté de me soutenir et j’ai arrêté de travailler. Un vrai soulagement car j’ai enfin pu m’entraîner davantage tout en ayant des temps de récupération, ce qui était impossible avant. C’est là que j’ai passé le cap. J’ai fini 2 fois vice-champion du monde et j’ai été sélectionné pour les JOP de Tokyo 2021, où j’ai gagné 3 médailles d’argent en paracyclisme sur route.

Et vous avez rempilé pour Paris 2024…
– Exact. J’ai intégré l’équipe de France des Douanes en 2022 et les podiums se sont enchainés.
Mais encore ?
– Et bien, j’ai été 1 fois champion du monde, 6 fois vice-champion, 1 fois champion d’Europe, 3 fois vice-champion, et j’ai ramené 2 médailles d’argent des JOP de Paris, une en contre la montre, l’autre sur la course en ligne.
J’imagine que les entraînements doivent être intenses pour obtenir de tels résultats. Où et à quelle fréquence ont-ils lieu ?
– Autour de Roanne la plupart du temps, et seul puisque les membres de l’équipe sont aux 4 coins de la France, mais on fait au moins un stage ensemble dans l’année. J’ai des sessions en montagne aussi, et au Creps de Vichy, où il y a un simulateur d’altitude. C’est pratique car on y est très entourés. Sinon, mon quotidien c’est entre 40 et 120 km par jour, avec de la musculation en plus, 6 jours par semaine…
Vous avez je suppose toute une équipe autour de vous ?
– Oui bien sûr, il y a mon entraîneur principal, Vincent Terrier, mon préparateur physique Thibault Thomas, mais aussi une diététicienne, une préparatrice mentale, un kiné… et Aurélie, qui s’occupe de l’intendance, de la com, etc. D’ailleurs, quand je me déplace, c’est surtout en camping-car, pour qu’elle puisse m’accompagner, avec nos 2 enfants.
Ils doivent être fiers de vous ?
– Oui et non… ils sont nés dedans et pour eux, c’est presque normal que leur père participe aux JO… Mais ils font du sport aussi et on partage beaucoup de choses. Surtout, ils ne me voient pas comme un handicapé. Moi non plus d’ailleurs, et j’aimerais qu’on me considère avant tout comme un athlète de haut niveau. Je m’entraîne autant qu’un valide, et les performances ne sont pas moindres. Même si je gagne beaucoup moins d’argent…

Justement, diriez-vous qu’il reste du chemin à parcourir pour la visibilité du para sport ?
– Oui, il faudrait une médiatisation plus importante pour que le para sport soit plus soutenu. Les athlètes ne sont pas toujours pris au sérieux et doivent souvent cumuler vie professionnelle et entraînement. Heureusement, depuis 2022, il existe un revenu minimum pour tous ceux inscrits dans le cercle de hautes performances. Mais il faut de toutes façons trouver des sponsors.
Que peut-on vous souhaiter ?
– Des podiums jusqu’en 2028, date à laquelle j’ai décidé d’arrêter. Lorsque j’aurai 50 ans. Après… juste l’épanouissement.
Grâce, ou plutôt à cause d’un accident qui a rabattu les cartes, j’ai déjà réalisé mon rêve de gosse…