Au début, ce n’est qu’un petit guide publicitaire tiré à 35000 exemplaires. Les frères Michelin en ont l’idée en 1900, pour marquer le coup de l’exposition universelle. Ils l’offrent pour l’achat de pneus, sans imaginer qu’il deviendra un jour parole d’évangile pour tous les pèlerins du chemin du goût. Mais Eiffel n’imagine pas non plus que sa dame de fer lui survivra comme Einstein est encore assez loin de relativiser. La mascotte Michelin, présentant un bel embonpoint, commence sa longue carrière marquée par la citation d’un poète antique: « Nunc est bibendum » (« c’est maintenant qu’il faut boire »). A l’époque, le slogan scandé est : le pneu Michelin boit l’obstacle. S’il est aujourd’hui plus élancé, en dépit de tous les restos qu’il se fait, le bibendum, Bib de son petit nom, orne toujours le guide rouge. Qui, lui, est devenu Le guide gastronomique de référence, celui qui fait la pluie et le beau temps dans les brigades et scelle le destin des chefs en quelques lignes succinctes. Celui qui n’a cure du gratin et fait, à sa sauce, rêver les Ratatouilles, graviter les étoiles, filantes parfois, rayonnantes toujours. Attablée devant un Araucaria centenaire, dans un espace doucement raffiné, chaleureusement épuré, je me dis qu’il y a de beaux métiers. Alors que je pianote « fiche métier enquêteur Michelin », les mises en bouche arrivent. Car oui, nous sommes dans le monde des bonnes surprises, des pré-entrées, des pré-desserts, des mignardises digestives, du craquant, du croustillant, du fondant, du velouté, des cerises sur le gâteau, des feux d’artifices du goût et des palais qui en tombent dans les pommes. J’oublie, en opportuniste du plaisir, la reconversion professionnelle car là, tout de suite, le premier qui me parle boulot, carrière et points retraite est mort.
Thierry Fernandes et son épouse Géraldine se sont installés il y a 18 ans dans cette bâtisse de granit au coeur du village d’Ambierle : Le Prieuré. Etoilé depuis 2009, le chef revisite notre terroir dans un style résolument tourné vers le produit. Entre jeu de pomme Granny Smith, jus de Gamay au parfum de truffes noires, crème mousseuse de carapaces ou petit beurre monté à la clémentine, la nébuleuse scintille. Quant à moi, je me fous de tout et pourrais, comme Miou Miou dans les Valseuses, courir en bords de Loire en hurlant pour que le monde m’entende : « ça y est, j’ai goûté le baba au rhum de ma vie »…
THIERRY, COMMENT SE SENT-ON APRÈS UNE 11ÈME ANNÉE D’ÉTOILE AU GUIDE MICHELIN ?
Soulagé ! On se met beaucoup de pression pour la conserver, cette étoile, alors chaque année, en janvier, lorsqu’on sait que les résultats vont tomber… nos nuits sont tourmentées. Tout est remis en question, tout le temps. Les inspecteurs passent anonymement plusieurs fois par an, il n’y a donc pas de droit à l’erreur.
COMMENT VOUS A-T-ELLE ÉTÉ ATTRIBUÉE LA 1ÈRE FOIS EN 2009?
En fait, nous avons appris en la recevant que nous étions « surveillés » depuis plusieurs années. Il faut que les inspecteurs constatent la régularité dans la qualité avant d’octroyer une étoile. C’est un travail de longue haleine. Ce n’est pas nous qui demandons à être jugés mais, une fois l’étoile obtenue, on a du mal à imaginer vivre sans…
SUR QUOI ÊTES VOUS « JUGÉS », JUSTEMENT ?
Sur l’assiette, mais nous n’en savons pas plus sur leurs critères ! On a essayé plusieurs fois de poser des questions mais ils restent extrêmement évasifs : « faites ce que vous avez envie de faire » est la seule réponse donnée… Alors voilà… je fais ce que j’ai envie de faire, avec amour et passion. C’est déjà un beau programme, ça doit être çà, en fait, la formule magique.
AVEC DU SAVOIR-FAIRE ET DE L’EXPÉRIENCE, AUSSI, SÛREMENT… QUEL EST VOTRE PARCOURS ?
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours parlé d’être cuisinier. Ce n’est pas un hasard, c’était écrit. Je suis originaire de Mably et j’ai fait mon apprentissage ici même, dans ce restaurant, auprès de l’ancien propriétaire, Monsieur Menth, qui est aujourd’hui responsable du pôle alimentation du CFA. Après des concours, j’ai travaillé avec Roger Vergé en Provence. Ensuite, je n’ai fait que des restaurants étoilés. On peut dire que j’ai été élevé au Michelin !! Quoi qu’il en soit, du début à la fin de ma formation, je n’ai rencontré que des gens qui m’ont fait aimer mon métier…
POURQUOI VOUS ÊTRE INSTALLÉS, VOUS ET VOTRE FEMME GÉRALDINE, À AMBIERLE ?
Géraldine est une enfant du pays. Mais, après avoir beaucoup voyagé tous les deux, on ne pensait pas revenir dans la région. Ma femme a fait des études en agroalimentaire, elle ne se destinait pas à la restauration, mais plutôt à la recherche en labo, ou aux services vétérinaires. Quant mon ex patron, et formateur, m’a proposé de reprendre son affaire, qui s’appelait déjà « Le Prieuré », on s’est dit que c’était un signe et avons décidé de revenir dans son village, et de travailler ensemble. C’était il y a 18 ans…
QU’EST – CE QUE CETTE ÉTOILE A CHANGÉ DANS VOTRE VIE ?
Principalement le fait que des gens viennent de loin, de Lyon ou de Saint-Etienne par exemple, pour venir goûter à ma cuisine. La région est riche, très riche, en ce qui concerne les métiers de bouche. Le tourisme gastronomique a de l’avenir ici. On peut remercier la Maison Troisgros pour çà, il a toujours été une locomotive car le talent appelle le talent. Et puis, cette étoile me permet de vivre des expériences hors du commun car les sollicitations sont nombreuses.
COMMENT QUALIFIER VOTRE CUISINE ?
Je fais une cuisine d’opportunité, dans laquelle le produit est « la star ». Je le mets en scène et le dénature le moins possible. Je privilégie le circuit court en m’adressant à des fournisseurs et producteurs locaux. J’aime respecter la saisonnalité. Ensuite, je ne me mets pas vraiment de limites dans la créativité. C’est ce que j’essaie de transmettre aux jeunes, puisque je suis formateur : en cuisine, il faut maîtriser les bases, ce que savaient faire nos mères et nos grands-mères, puis créer, jouer, innover, ne pas s’enfermer dans le classique, se faire plaisir et faire plaisir.
QUELS SONT VOS PROJETS ? UNE DEUXIÈME ÉTOILE PAR EXEMPLE ?
Des projets, des envies… les idées ne manquent pas, j’en ai même plein la tête. Mais la priorité reste nos 3 enfants, encore scolarisés. Après, on verra… Quant à briguer une deuxième étoile… il faudrait revoir toute la structure et il est très difficile aujourd’hui de trouver du personnel. Nous ne sommes que 2 en cuisine, 2 en salle, et ce côté « familial » nous convient très bien. J’espère continuer à plaire, garder l’inspiration, conserver cette étoile d’année en année. C’est déjà un très beau projet…
Restaurant le Prieuré
Rue de la Mairie – 42820 AMBIERLE
Tél :04 77 65 63 24
Email :contact@leprieureambierle.fr