C’est vrai que des Tony connus, il n’y en a pas beaucoup. Des Michel, oui, des Mickael aussi, mais des Tony, non. Pourtant, ça fait tout de suite « you’re talking to me ? », backrooms enfumées, gros cigare et nez cassé. Le prénom sonne comme une vendetta, sent, au mieux, les penne à la calabraise, au pire, le parrain gominé qui tient une sulfateuse. Et même si les mafieux se font plein de bisous tout le temps, un Tony évoque le danger et la testostérone en costume rayé. Sauf peut-être Tony Micelli, l’homme à tout faire de « Madame est servie ». Et, mine de rien, c’est un peu un homme à tout faire que nous vous présentons. Le regard noir, certes, et les bras tatoués, mais pas un de ceux qui vous glisse à l’oreille : « c’est dommage Luigi, je t’aimais bien, mais là, tu sens le mec mort ». D’abord, plus personne ne s’appelle Luigi, et puis ce Tony là a mieux à faire.
Artiste, artisan, créateur, il est une sorte de «touche à tout» insatiable qui, je le lui annonce, n’aura pas assez d’une vie pour satisfaire son imagination prolixe. Il lui faudra revenir, alors, une fois ce tour là terminé. Il prépare d’ailleurs le terrain car, sans s’acoquiner avec la mort, il la désacralise et la décode depuis quelques années déjà. Aux côtés de Guillaume Seauve, sculpteur, il créé des vanités, ou crânes, auxquels il ajoute un nez de clown comme élément charnel. Ni voyez pas d’outrage. Non, il essaie juste de faire passer la pilule et de rendre la fatalité plus douce, en nous amenant à contempler une mort plus sympathique, plus conviviale, plus déconneuse… Il propose un tête à tête, un « to be or not to be », accepte la nature transitoire de la vie, mais refuse tout net la précarité des passions humaines. Car ses passions à lui, nombreuses, laisseront des traces dans la matière : bois, résine, verre, terre, acier, peinture, il lui faut tout maîtriser, tout appréhender. Il y a 3 ans, il crée « TC Products & Limited », pour apposer sa signature sur ses diverses créations : mobilier, luminaires, escaliers, sculptures monumentales, tableaux, etc. Alors qu’il travaille le jour dans la vitrerie-miroiterie familiale, comme artisan, il se transforme, entre chien et loup, en artiste protéiforme davantage doué pour donner la vie que pour la mise à mort. L’instant est solennel car c’est une première interview officielle avec ce beau gosse que nous connaissons bien. Alors, pour cette fois, on reste sérieux… pour cette fois seulement.
Tony, raconte nous comment tout ça a commencé, depuis ta naissance, le 1er jour du printemps 83
Ca a commencé par du dessin. Apparemment, petit, je passais mon temps à dessiner, et à faire des calculs, dès que j’ai su compter. Moi, je me souviens que j’ai toujours adoré jouer avec la matière. Ma mère conserve encore un masque indien en terre que j’ai fabriqué en grande section de maternelle. Quand je le regarde aujourd’hui, je me dis qu’effectivement, mon obsession vient de loin, et qu’il y avait un truc à exploiter.
On t’a poussé sur cette voie-là ?
Non, je ne viens pas d’une famille d’artistes alors j’ai vécu tout seul mes découvertes. J’ai pris des cours, de peinture par exemple, et j’ai fait mes trucs dans mon coin, sans attendre de reconnaissance. J’ai passé un diplôme de vitrerie-miroiterie, pour aller travailler avec mon père, de l’entreprise Chartier. Mes « dons » sont passés inaperçus, jusqu’à certaines rencontres.
Quelles rencontres ?
Avec ma femme d’abord, qui a toujours cru en moi et m’a incité à me lancer. Avec Guillaume Seauve, un sculpteur de Saint-Just-Saint-Rambert avec qui nous avons créé la signature « GT », celle des vanités. Travailler avec lui m’a beaucoup appris, c’est lui qui m’a permis de donner vie à mes crânes à nez de clown. On utilise la résine, avec une grande importance accordée aux finitions, qu’elles soient en chrome, velours, peinture ou bronze… Quand on détourne une représentation de la mort, il faut le faire sérieusement, et c’est une pièce qu’on fera, probablement, à vie. J’ai ensuite pu exposer ce travail à la Galerie Deza à Roanne, qui l’a emmené sur ses salons d’art contemporain. Cela m’a permis d’être visible et de faire de nouvelles rencontres…
Et cette sculpture monumentale d’un Jimmy Hendrix qui s’extirpe, bien vivant, d’un mur ? Tu nous as souvent mis l’eau à la bouche avec ça !
Encore une histoire de rencontre… je n’aime pas travailler seul en fait ! Avec Brat, un artiste que j’adore qui est aussi présent à la galerie Deza, et toujours Guillaume, nous avons créé « la ligue », pour sculpter à 6 mains. On voulait faire une grosse pièce qui parlerait d’une icône. On a mis un an pour sculpter un prototype en terre. Puis sont venus le moule, le tirage, la patine, le processus est très long. Mais le résultat est là, et Jimmy est bien parmi nous, avec sa guitare. La première pièce est partie tout de suite. On est en train de terminer la deuxième. L’idéal serait de réaliser 8 exemplaires et 4 épreuves d’artistes. On a d’autres idées, en restant dans ces échelles, pour une collection « reborn ».
Vous travaillez où tous ensemble ?
Chez les uns et chez les autres. J’ai un atelier chez moi, mais j’utilise aussi beaucoup le matériel et l’espace ailleurs. On ne peut pas tout s’acheter, les machines coûtent très cher, alors on se prête, on mutualise !
Qu’est-ce-que tu réalises ?
Ce qu’on me demande, tout peut m’inspirer : table, escalier, luminaire, bibliothèque, présentoir, socle… même une passerelle en verre ! Mais je manque de temps, car je travaille seul sur TC Products, et je ne sous-traite rien.
Comment tu t’organises avec toutes ces activités ?
J’ai besoin de peu de sommeil, heureusement. Les journées sont bien remplies, j’alterne entre mes différents projets et mon travail au sein de Chartier. Qui est un complément de matière aussi, et une belle entreprise familiale. J’ai besoin des deux. Avec TC, je peux créer un meuble à partir d’une histoire, ou l’inverse, ce qui n’est pas le cas avec une fenêtre en PVC. Mais c’est vrai que c’est une sacrée gymnastique !
Les meubles, justement, parlons-en
J’ai toujours créé des meubles, pour moi, pour des amis. Là encore, ma femme a été d’un grand soutien, et j’ai monté ma marque « TC Products & Limited » il y a 3 ans. J’adore travailler les matières nobles, le bois, les métaux, la pierre, le verre et je fais du sur-mesure, pour les professionnels comme pour les particuliers.
Tu as d’autres projets ?
Oui, ouvrir un atelier d’artistes et embaucher, pour répondre au volume demandé. J’ai signé avec Carré d’Artistes mais je manque de temps pour tout réaliser. Et puis, explorer d’autres formes d’art… la photo par exemple, comme je l’ai déjà fait.
Tu ne t’arrêtes jamais ?
Je suis un passionné, c’est comme ça. J’aime apprendre, tout le temps, en direct, dans les bouquins, ou sur la chaîne Museum. J’aime acheter des oeuvres, et si je ne peux pas, tout savoir de l’artiste et de sa technique. Il ne faut pas attendre qu’on nous y autorise pour pousser les portes…
Tu as un rêve en grand ?
Que mes oeuvres partent un peu partout dans le monde. C’est déjà le cas avec Genève, Bruxelles, New Delhi ou même la Slovaquie. Je fais tout çà pour faire rêver et en retirer de la reconnaissance. Je vis de ma passion, et si j’ai un Graal, ce serait de signer un jour des oeuvres avec mon fils…
Oeuvres visibles à Roanne à la Galerie Deza
11 rue Alexandra Roche, Roanne