Plaisir terrestre, nectar céleste
Alors comme çà, ce sont les Egyptiens qui ont appris aux Grecs à cultiver la vigne? Ainsi donc, ce sont les Grecs qui l’ont implantée en Gaule en 600 avant J-C, puis les Romains qui l’on développée? Ben voyons. Ceux-là, le jour où ils ne la ramèneront pas sur l’origine de quelque chose… Tiens, même la cornemuse, dont on parle dans un prochain article, aurait voyagé d’Egypte en Europe avec eux. Toujours à fourrer leur nez partout. Mais là, quand même, avouez que c’est gros. Un peu comme si on disait que la pizza Margherita était née en Alsace. Ca met un coup. Mais il n’empêche que la France est devenue, du Moyen-âge au XIXème siècle, pour des raisons historiques et politiques, une référence en oenologie, et que le vin a été longtemps une sorte d’eau potable pour les pochetrons que nous sommes. Du vin de messe à la rasade dans la soupe de bon matin, du ptit blanc qu’on boit sous les tonnelles à « du pain, du vin, du boursin »… même l’Académie Nationale de Médecine déclare en 1915, que « la norme tolérable de consommation se situe autour de 50 à 75 centilitres de vin pris par repas ». Bon, depuis, elle s’est rétractée, avant que ça finisse dans un vin de sang avec l’OMS. Toute modération gardée, si l’homme est « le seul animal à boire sans soif », ce n’est quand même pas grâce à la Suze ! Jusqu’à preuve du contraire, le vin nous attire plus d’amis que l’eau et est, à ce titre, un formidable « lubrifiant social ». En somme, entre Jean qui rit et Jean qui pleure… il n’y a peut-être qu’une histoire de choix de boisson.
Et la Côte Roannaise dans tout ça ? Là encore, notre vignoble n’échappe pas à une origine gallo-romaine. Les premières traces remontent à 970, sur l’actuelle commune de Villerest. Le territoire s’agrandit au Moyen-âge grâce aux bénédictins d’Ambierle et aux comtes du Forez. Si elle a longtemps fourni un vin « alimentaire », alors déclaré, non sans connotation vinaigrée, « vin de table », ses vignerons travaillent dès les années 80 à donner le meilleur de leur terroir, pour lui extraire un aliment intellectuel racé issu de cépages métissés, et un sang chargé de plaisirs sensuels. Tant et si bien qu’ils obtiennent l’AOC en 1994 et que la quantité de vin labellisé double en 10 ans. Tout vin à point à qui sait attendre. La Côte Roannaise n’est plus le parent pauvre des régions viticoles, et ses vignerons sont aujourd’hui des artistes au même titre que les grands de ce monde. Parmi eux, Yann Palais, poète parmi les poètes, nous a ouvert les portes du « Domaine des Palais », là où il écrit chaque jour les vers que nous buvons sans soif, mais avec une faim féroce d’en apprécier sans fin les rimes. Bienvenus en terres sacrées, celles de la nature qui transforme le fructose en éthanol, l’eau gorgée de soleil en vin et nos humeurs en brèves savoureuses.
In Vino Veritas
C’est bien sur les terres de ses grands-parents, à Ambierle, que Yann a planté ses 6 hectares de vignes il y a 20 ans. Pour autant, il ne vient pas d’une famille de vignerons. Mais son passé de cancre lui a jadis montré la voie de sa vocation. L’éducation nationale, ne sachant que faire de ce « trublion», l’envoie en lycée agricole en 1987. Il y trouve un sens, une ambiance qui lui convient et son rapport à la nature s’intensifie. La viticulture l’emporte pour lui sur tous les autres domaines étudiés. Il choisit donc de faire un BTS « viticulture-oenologie », durant lequel il se constitue un réseau « de fou », à base de gais lurons issus des grandes régions viticoles. Il fait ensuite de nombreux stages, et s’oriente un temps vers l’enseignement, après une licence « sciences de l’éducation ». En 2000, après avoir âprement défendu son projet auprès de banques septiques, il s’installe sur les terres familiales, autrefois exploitées en vignes par les moines du village. Aidé par sa femme Sylvie, il doit attendre 2003 pour produire les premiers vins du domaine. Il a d’emblée choisi de diversifier les cépages, pour rendre possibles différents assemblages. Il a d’ailleurs été le premier à implanter du Viognier dans notre vignoble. Gamay, Syrah, Roussanne, Gewurztraminer et, donc, Viognier, constituent aujourd’hui la base de ses 12 cuvées intégralement biologiques, en mono-cépage ou assemblées. Chacune a un nom, et chaque nom a une histoire, racontée sur une étiquette emblématique du domaine. 4 carrés de couleur qui en font un grand, symbolisant l’ancien jardin des moines et les 4 cultures traditionnelles alors réparties sur 4 parcelles : le potager, les plantes médicinales, les plantes aromatiques et la vigne. Le logo change de couleur suivant la cuvée et sa particularité aromatique. Ainsi, « Le temps des Griottes », une parcelle de Syrah exposée plein sud et bordée d’une haie de griottiers sauvages, dégage des notes de fruits rouges témoignant d’une probable communion entre la vigne en fleur et les griottes voisines.
La magie de la vinification
Yann se considère comme un « coach » de la nature, aidé de ses moutons qui paissent entre les rangées de vignes, des mauvaises herbes qui n’en sont pas : « la nature a peur du vide et une plante n’est jamais là par hasard, elle est toujours bio indicatrice ». Dans le Domaine des Palais, pas de pesticides, pas de chimie mortifère. On laisse faire la nature, tout en l’écoutant attentivement. A la mi-août, un « réfractomètre » permet de déterminer la date des vendanges en donnant une lecture précise du taux de sucre contenu dans le raisin. Quand il est à maturité alcoolique et phénolique (peau et tanins), il est récolté puis acheminé le plus vite possible vers les cuves afin de limiter l’écrasement. Pour obtenir un vin blanc, le raisin, rouge ou blanc, est immédiatement pressé après foulage, puis mis à fermenter. Pour un vin rouge ou rosé, la macération est une étape permettant aux éléments contenus dans la peau, dont les levures, de se diffuser dans le moût. Elle ne dure que quelques heures pour un rosé, quelques jours pour un rouge. Une première fermentation commence avant le pressage, durant laquelle le fructose se transforme en éthanol. Une fois pressé, le « vin de goutte » alors obtenu rentre dans une deuxième phase de fermentation, dite « malolactique », qui permet de diminuer l’acidité du vin et dure de un à deux mois. Une fois le vin biologiquement stable, Yann l’élève 6 mois en fût de chêne avant de le mettre en bouteille. Cette étape permet aux arômes d’évoluer et au vieillissement de continuer sa transformation de la matière.
Oenotourisme et transmission
Sans passer du coq au vin, mais au contraire dans un souci de cohérence et de complémentarité, Sylvie et Yann ont transformé le cuvage servant autrefois à la vinification, en site oenotouristique. Jouxtant la cave où les dégustations ont lieu dans une ambiance on-ne-peut-plus immersive, la salle de 200 m2 a été entièrement restaurée pour accueillir diverses manifestations : charpente magistrale apparente, façade en douelles de cuves, matériaux modernes et grandes ouvertures. Le site est magnifique, situé sur un parc de 2000m2 qui s’épanouit au pied des vignes. Par ailleurs très impliqué dans la découverte touristique du vignoble, Yann sévit dans de nombreuses associations, telles que La Maison de Pays d’Ambierle, dont il est le président, l’Association Viticole Forez-Roannais, ou encore Loire Volcanique, dont nous vous parlions il y a peu. Son domaine est classé « Vins d’Abbayes » et labellisé depuis peu « Vignoble et Découvertes ». Des distinctions, ou reconnaissances, qui l’aident à transmettre sa passion de la « plante domptée » et du vin maîtrisé. D’ailleurs, et puisque autant en emporte le vin… quelle heure est-il ?
Domaine des Palais, Charpinot, 42820 Ambierle
04 77 65 60 31 / 06 19 14 28 80
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.