Vignoble de la Côte Roannaise
Le temps des bulles
L’humanité a un truc avec les bulles. Une sympathie instinctive, une inclination, une sorte de compérage induit. Vedettes incontestées des bains moussants ou des jeux d’enfants, complices royales des rêveurs contemplatifs, alliées solidaires des bédéistes ou des souffleurs de verre… elles amusent, captivent et inspirent depuis la nuit des temps. Et pour le temps qui est le leur. Ephémère souvent, durable en de rares occasions. Car, assurément liées à l’urgence de savourer, elles nous claquent entre les doigts en catastrophe. Et, parfois, c’en est une. Fulgurances irisées et beautés fugitives, ces prouesses de l’air, du gaz et de la vapeur réinventent la sphère à chaque apparition. Tandis que celle dans laquelle nous nous réfugions nous abrite des vents contraires, comme le fit sa consœur matricielle durant les mois de notre gestation. Mais, parmi toutes les bulles que le monde veut bien laisser flotter dans son atmosphère, il est une bande de joyeuses trublionnes que les festins s’arrachent. Je ne parle pas, bien entendu, de celles provoquées par du vinaigre sur un morceau de craie, qui peuvent nous amuser 5mn mais ne feront pas tout le spectacle, mais bien de celles que le vin invite à venir le bousculer. Celles qui donnent au gaz carbonique, largement décrié dans un contexte de réchauffement climatique, une occasion de se racheter une conduite. Celles dont la région Champagne n’a finalement que le monopole de l’appellation. Car figurez-vous qu’il existe sur la côte roannaise des bulles toutes aussi fines et toutes aussi légères en bouche que celles de Reims, dont Lily Bollinger parlait en ces termes : «J’en bois quand je suis heureuse et quand je suis triste. Parfois, j’en bois quand je suis seule. Si j’ai de la compagnie, j’estime que c’est mon devoir. Si je n’ai pas faim, je joue avec, et j’en bois quand je suis affamée. Sinon, je n’y touche jamais, sauf si j’ai soif».
Ces bulles là nous viennent de la Maison J.B. Clair qui, entre Dom Pérignon et Lanson, a choisi Renaison. Attachée à notre terroir viticole depuis 1536 (au moins), elle en connaît l’histoire, ses malheurs et ses succès, du phylloxéra qui l’a dévasté à la fin du XIXème siècle à l’AOC qui l’a récompensé en 1994. Entourées de cèdres et de Douglas centenaires qui leur font comme une coquille de soie, ses caves voûtées se démarquent depuis 1896, couvant la transformation du vin tranquille en vin effervescent. Pionnière en la matière, et quelle matière, la Maison J.B. Clair a alors adopté la méthode traditionnelle qui a fait des bulles un des fleurons de notre civilisation. Quelques 130 ans plus tard, et tandis que des générations d’ouvrières arachnides se sont succédé au tissage d’un isolant duveteux, la fraîcheur des lieux continue d’accompagner le processus divin. Qui fera monter la pression et s’entrechoquer les flûtes.
De Clerc à Clair: un savoir-faire séculaire
Nous sommes devant un acte de vente vieux de 500 ans, précieusement conservé sous un cadre de verre. Car c’est en 1536 qu’Anthoine Clerc, alors vigneron à Renaison, achète une vigne à la Croix-Saint-Paul, près de Saint-Haon-le-Châtel. Un siècle plus tard, en 1635, l’un de ses descendants s’installe sur la même commune au lieu-dit Chambon, à l’endroit même où Claudine Clair nous reçoit.
Si le patronyme a changé d’orthographe au cours de l’histoire, il reste commun aux générations de vignerons qui, pendant des siècles, se sont succédé. Parmi eux: Jean-Baptiste Clair, toujours en avance sur son temps et qui, en 1896, trouve l’idée de son siècle pour développer son activité. Le vignoble de la Côte Roannaise est alors très étendu et Jean-Baptiste, l’arrière-grand-père de notre hôte, veut se différencier des autres. Il imagine donc de tirer en effervescent quelques bouteilles de sa production. Pour ce faire, et le faire bien, il s’adjoint les services d’un expert champenois, au nom qui l’a échappé belle: Léopold Bouché. Le succès est immédiat et s’ensuit la construction de 4 caves voûtées surmontées de grands celliers. Jean-Baptiste est resté très lié aux maçons employés lors de la construction du barrage de Renaison, achevé en 1891. Il fait appel à eux pour construire les caves, qu’ils achèvent en 1896, et les baptise de leurs noms (cave Tachon, cave Gillet et 2 caves Lebraud). Le chantier se termine en 1923, peu avant l’extraordinaire millésime de 1929, tiré à 100 000 bouteilles, dont quelques-unes sont encore conservées à ce jour. Le domaine est ensuite transmis à Antoine et Marthe Clair, grands-parents de Claudine, puis à son père Henri, que tout le monde a toujours appelé Jean-Baptiste. Si elle baigne depuis sa tendre enfance dans l’univers viticole, Claudine choisit tout d’abord une voie quelque peudifférente : elle est longtemps journaliste agricole, puis conseillère agricole. Son mari Guido d’Antonio, rencontré lors de ses études, se passionne pour le vin et intègre la maison J.B. Clair en 2001, année de la construction d’un cellier d’expédition distribué sur 2 étages. En 2007, il en devient le chef d’exploitation. Bientôt rattrapée par l’atavisme, et le besoin de « produire quelque chose au rythme de la nature, du raisin à la vente », Claudine prend la décision formelle de rejoindre son mari à la disparition de son père en 2019. Celle qui avait déjà beaucoup appris auprès de lui termine actuellement son processus d’installation sur le domaine, persuadée qu’un palais féminin ne sera jamais avare de subtilités. 130 ans après JeanBaptiste, elle et son mari poursuivent le travail de champagnisation de leurs vins, et de ceux de quelques collègues vignerons.
La Méthode Traditionnelle
La Maison J.B. Clair, qui emploie 2 salariés, dispose de 6,5 hectares de vignes répartis sur Renaison, Villemontais et Ambierle. Les raisins, issus de cépages nobles (Chardonnay, Gamay Saint-Romain et Pinot Noir) lui permettent de produire du vin tranquille mais encore, et surtout, du vin effervescent en rosé et blanc, brut ou demi-sec. Les vendanges manuelles se font tôt car les bulles ont besoin d’acidité. C’est ensuite la méthode traditionnelle (car il est interdit de parler de méthode champenoise hors de la Champagne) qui est appliquée, depuis 1896. Après avoir passé l’hiver dans des cuves en inox, où la fermentation alcoolique a lieu, les vins tranquilles sont assemblés puis mis en bouteille. Ceux destinés à pétiller un jour connaissent alors un sort différent : des levures naturelles sont ajoutées lors de l’embouteillage. Elles vont se nourrir de sucre et produire du gaz carbonique naturellement : c’est la prise de mousse. Les bouteilles vont alors être empilées et vieillir « sur lattes », où la deuxième fermentation va avoir lieu. Cette méthode ancestrale, au rendu très impressionnant, demande un savoirfaire que peu maîtrisent encore. Le vin repose alors longuement (de 9 mois à 3 ans) sur ses lies, soit le dépôt formé par les levures mortes. Un mois avant leur commercialisation, les bouteilles sont inclinées sur des pupitres, puis tournées d’un quart de tour par jour afin que les levures se dirigent vers le goulot. Vient ensuite l’étape du dégorgement durant laquelle le dépôt, préalablement congelé, est expulsé grâce à la pression. Le liquide perdu est remplacé par du sucre de canne dont le dosage dépend des caractéristiques souhaitées (1% pour du brut, 2% pour du sec et 4%pour du doux). Les bouteilles sont alors définitivement bouchées, muselées par un fil de fer de 25cm, lavées, puis étiquetées. La différence entre cette méthode traditionnelle, qui suit les préceptes de la méthode champenoise, et la méthode dite ancestrale réside principalement dans le fait que la fermentation se fait en bouteille et non pas dans un grand volume. Le goût final n’est pas le même, le degré d’alcool est plus élevé (12° contre 7°) et la finesse des bulles est incomparable.
Visites et dégustations
Il est des visites qui ne se refusent pas. Celle-ci en fait partie. Les caves chargées d’histoire et de fraîcheur, les secrets de la seconde fermentation, les saveurs au repos attendant que la magie, ou la chimie, opère, les machines anciennes témoignant, en doyennes, des siècles passés, le petit musée en préparation, les photos de famille argentiques qui jalonnent le parcours… Tout incite à prendre le temps, d’imaginer les agapes révolues, tout en projetant celles qui s’annoncent. La dégustation, avec plaisir et modération, peut commencer. Celle, d’abord, de cette Côte Roannaise produite depuis 1536, du rouge et rosé AOC, ainsi qu’un Charcôte Vin de Pays d’Urfé blanc IGP. Celle, ensuite, de ces vins effervescents de méthode traditionnelle, pour ne pas l’appeler autrement, dont cette cuvée prestige, vieillie en fût de chêne… A côté, 200000 bouteilles attendent leur heure, qui seront à 80% vendues directement au caveau (10% partent à l’export, 10% chez les restaurateurs et cavistes). La Maison J.B. Clair souhaite étendre raisonnablement son domaine à une dizaine d’hectares, développer ses ventes aux professionnels et construire de nouveaux bâtiments sans dénaturer l’âme des lieux. Les portes-ouvertes, prévues les 17 et 18 décembre prochains, promettent de nous donner l’inspiration de repas de fête arrosés de bulles légères provenant d’un terroir aussi racé que méritant. Pour savourer l’instant béni et suspendu entre la déflagration d’un bouchon qui rend les armes et le temps des célébrations.
Pour la visite des caves voûtées du XIXème, la dégustation et la vente, ouverture du lundi au vendredi de 8h30 à 12h30 et de 14h30 à 18h30,sur rendez-vous les samedis, dimanches et jours fériés au 06 66 04 69 81.
100 Passage du Chambon, 42370 Renaison
06 85 92 10 82 (Claudine)
06 66 04 69 81 (Guido)
https://sites.google.com/site/maisonclair