Artiste plasticien
Sous le vent, l’asphalte
On sent bien que le soleil veut percer des restes de tempête, ou qu’il lutte pour ne pas se laisser assombrir, ensevelir peut-être sous une colère qui le dépasse. On sent bien que quelque chose se trame, de pas très catholique, ou d’apocalyptique. On sent bien que l’homme prend trop de place, sans pourtant apparaître nulle part, comme le sucre dans le lait chaud, Dieu pour sa paroisse ou le plastique dans une bimbo. Il nous semble entendre les chuchotements de la ville dans un crépuscule sauvage, ou les murmures de la nature dans une aube urbaine. Un dialogue inattendu, de sourds peut-être, entre le béton et la brume, entre l’enracinement architectural et la coupole ondoyante du ciel, entre les toits d’une cité et leur dôme tourmenté. Des univers contradictoires presque, qui finissent par se confondre à l’horizon, sans plus s’opposer.
Les toiles de Jean-Baptiste Lyonnet sont comme des oxymores, des figures de style qui associent des termes antinomiques, parmi lesquels la folle sagesse, la douce violence ou encore le silence assourdissant. Car ses villes, des illustres inconnues, se hâtent avec lenteur de faire pousser leur architecture dévorante dans la matrice conceptuelle d’une nature originelle. Il y a des clartés sombres, sans réverbères, des azurs verts, sans bateau ivre, comme des départs de feu parfois, dans un coin du ciel, ou des retours de flammes menaçant les métropoles. On y voit l’éternel dualisme entre la nature et la culture, entre ce qui est spontané et ce que nous transformons, entre la force vive et innée des éléments et l’avancée humaine, qui souvent relève du grappillage et de l’exagération. Les villes progressent dans la démesure et l’homme oublie qu’il fait partie du vivant, tant il est occupé à le dominer.
Les toiles de Jean-Baptiste Lyonnet sont comme des instants suspendus, des flottements de lumière, des instantanés figés dans l’œil du cyclone, là où la cité est encore protégée de ses conditions infernales. Au-delà de la toile, on peut tout imaginer. Que le monde va chavirer sous le choc des titans, redevenir poussière d’étoiles, s’autodétruire sans se réinventer. Ou, au contraire, qu’il va trouver ses limites et s’y conformer, échapper au déluge et laisser à la nature sa part de résilience.
Le peintre Jean-Baptiste Lyonnet vit à Ecotay-L’Olme dans la « banlieue » de Montbrison, une sorte de cité radieuse où l’état d’urgence n’est pas près d’être déclaré. Loin de l’utopie urbaine ou des illusions perdues de quartiers oubliés, il explore l’espace et voyage dans les hauteurs de terres inconnues, situées quelque part entre le rêve et le souvenir, entre le vent et l’asphalte, entre l’imminent et l’évitable.

Les rêves nomades
Jean-Baptiste est né à Abidjan en 1978, dans une famille à l’âme voyageuse et sensible au monde. Son père, enseignant passionné d’audiovisuel, est originaire de Saint-Etienne. C’est pourtant dans une vieille ferme du Puy-de-Dôme que les Lyonnet s’installent de retour en France. Leur maison ressemble bientôt à un cabinet de curiosités, remplie d’objets étranges, de sculptures exotiques, et de photographies d’ailleurs. Ce qui serait un cauchemar pour un cador de l’immobilier à la Plaza se révèle être un formidable espace de liberté, propice aux voyages intérieurs, pour le jeune Jean-Baptiste. La famille déménage plus tard dans le centre-ville de Saint Etienne. Rêveur et contemplateur (rien de plus normal pour un cancer…), il adhère peu à l’enseignement traditionnel. En 3ème, il est déjà ailleurs et s’échappe dans des chimères. Il poursuit alors ses études à l’institut Saint-Luc, en Belgique, une école secondaire publique d’art. Là, il se sent comme à la maison, sans être en décalage parmi ses camarades ni avoir de matière à bouder. On lui donne, de façon très académique, les clés dont il a besoin pour s’exprimer. Il y apprend le croquis, la perspective, l’anatomie…, s’essaie au design, aux arts graphiques, à la décoration, etc. Bachelier, il revient à Saint-Etienne, où l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts lui tend les bras. Un nouveau prisme s’ouvre alors pour sa créativité. Il part ensuite à Paris, où un job d’été dans une galerie donne le la de sa destinée. Jean-Baptiste y reste 3 ans, rencontre beaucoup d’artistes avec qui les échanges sur la thématique de la création l’incitent à mener ses propres expérimentations. Il n’avait alors jamais peint pour lui et découvre tout un monde à explorer.



Le chantre des grandes étendues
Tout de suite, des formes s’imposent, qui doivent tendre des pistes, emporter le spectateur. Abstraite d’abord, sa peinture commence à modeler des espaces, des paysages lunaires dans lesquels apparaissent, petit à petit, des prémices de villes. L’eau, le ciel, la terre, le sable, la pierre marquent les contours de cités imaginaires que chacun peut associer à un lieu, à un souvenir. Toujours en recherche de technique, il crée la sienne propre, jusqu’à la faire devenir secondaire, estimant qu’il n’y a rien de pire que de peindre avec rigueur. Il pose de toutes petites tâches qui, vues de près, sont ce qu’elles sont, pour devenir, de loin, des paysages qui prennent tout leur sens. Il implique notre corps dans la lecture du tableau, nous incite à prendre du recul, comme lui le fait constamment en peignant. Il fait cohabiter l’infiniment grand et l’infiniment petit, les fait se rencontrer dans la profondeur créée. Il « écoute les messages venus de temps enfouis, de rêves et de souvenirs, d’ambiances à retrouver ». Puis « guette sur la toile l’instant décisif où doit naître, comme une apparition, la force évidente de l’énergie vitale, un instant volé à l’éternité». Et ça marche. Son jeu de funambule est comme sécurisé par l’acrylique, qui lui permet de revenir sans cesse sur son œuvre, d’enlever, de rajouter. De créer l’accident parfois, qui peut être bienvenu et le pousser vers d’autres voies. Qui toujours le ramènent à « l’émotion ressentie devant la force brute des éléments naturels en coexistence avec la complexité vibrante des cités, devant le fragile équilibre de notre cohabitation ».



La bulle créatrice
Après avoir habité Lyon et l’Auvergne, entre autres, Jean-Baptiste est venu il y a 5 ans installer sa famille sur les hauteurs de Montbrison, où il a trouvé son propre compromis entre la nature et la ville. Il a construit son atelier juste à côté de sa maison et y fait ses gammes, tous les jours, en musique. Il s’essaie, entre deux toiles sans représentation humaine, à la sculpture de personnages androgynes, qui sont comme des spectateurs devant ses œuvres en devenir. Depuis 20 ans qu’il vit de son art, Jean-Baptiste répond parfois à des commandes dans des tiers-lieux (comme l’été dernier dans l’église de Montarcher) et est présent dans de nombreuses galeries: XXIe à Montbrison, Estades à Lyon, Cygne Noir à Tours, Albane à Nantes, Art Symbol à Paris, Cécile Chiorino à Aigues-Mortes ou encore Art By Céline à Valence. A la fois solitaire et épicurien (rien de plus normal pour un cancer…), il aime tout autant le calme de son atelier que le temps des célébrations. Il aime les mots, aussi, et n’en choisit aucun par hasard pour titrer ses toiles. Pourtant, il n’intellectualise rien en peignant, se raconte des histoires, en plein lâcher prise. Il se perd parfois dans ses villes, dans ses cadrages très cinématographiques, puis s’étonne de voir ses cieux se colorer toujours davantage. Il ne revendique pas consciemment une culture de l’humilité face à ce qui est supérieur. Mais on se sent facilement tout petits, grisés même, devant ses « grands espaces aux horizons noyés». Et si l’instant d’après doit marquer le prologue d’un cataclysme, d’une tornade ou d’un séisme, profitons de la beauté féroce des éléments avant le déchaînement. «Je peins le ciel, l’océan, les roches et sa poussière, les immeubles et leurs reflets, venus des mondes nébuleux de la mémoire, remettant en question mon rapport à l’univers».

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