Chef du Restaurant Etoilé Le Château d’Origny
Le Virtuose des Quatre Saisons
Ces confidences sous la toque nous ont appris que la légende noire précédant les chefs, étoilés ou non, mais damnés soient-ils, aurait bien pu nous coûter le plaisir de cette rencontre. Car il faut soi-disant se les fader, ces maudits gradés qui font monter la sauce et jouent de la corde vocale pour mater des troupes déjà terrorisées. Ces gueulards qui, sous couvert d’exigence, conspuent toute pédagogie, toute finesse, quitte à ramasser leur brigade à la petite cuillère, pourvu qu’ils aient l’art, tant pis pour la manière. Ces autorités colériques qui font du cauchemar en cuisine un projet satanique, et de leurs ouailles des automates promptement sujets aux ulcères gastriques. Tout ça pour faire d’une ratatouille une œuvre cubiste, d’un œuf poché une gloire aubergiste, ou d’une mise en bouche un opus illusionniste. Il faut ce qu’il faut pour rester le calife des califes en sa cuisine, le généralissime en sa cantine ou le grand manitou de fourneaux infernaux.
Il existe heureusement un pendant sage à cette description folklorique, une version édulcorée, et largement sociabilisée, du chef gastronomique. Tous ne sont pas des fous-furieux ou des satyres narcissiques qui attendent leur second au tournant et, de pied ferme, l’erreur de débutant pour mettre toutes les rates au court-bouillon. Non. Certains ont dû mettre, c’est probable, de l’eau dans leur vin à force de mauvaise réputation et de désertion dans leurs rangs. D’autres ont dû, tout naturellement, sans que le code du travail ou la rupture de l’omerta ne les y obligent, préférer être admirés plutôt que craints, attendus plutôt que fuis et cultiver la passion plutôt que de tuer dans l’oeuf toute vocation.
Julien Laval, un temps convaincu que la maltraitance en cuisine était une fatalité inhérente aux étoiles, ou à leur poursuite, a tout d’abord visé une carrière traditionnelle, à la portée de sa sensibilité et loin de la cyclothymie des cordons bleus les plus zélés. Et puis… sa route a croisé par hasard celle d’un chef, ambitieux certes, mais tout aussi doué pour gravir des sommets que pour lui inspirer l’envie de trouver son propre Everest. La graine était semée, et son destin chamboulé.
Julien Laval, dordognot d’origine, ouchois d’adoption, est le chef du restaurant gastronomique Le Château d’Origny depuis son ouverture en mars 2022. Connu déjà pour ses chambres d’hôtes au caractère millésimé, le lieu, dirigé par Melinda et Werner De Clippel, méritait une table éminente à l’ambition à peine voilée. Un an après le début des agapes, soit en mars 2023, Julien et sa brigade décrochaient la timbale qui allait de nouveau faire de Ouches une commune étoilée. Le guide gastronomique de référence a reconnu en lui l’étoffe d’un chef à porter au pinacle, en moins de temps qu’il n’en faut normalement pour espérer seulement cette consécration. Que la lumière soit faite, donc, sur cette étoile montante qui, sur un malentendu, voulait rester sur terre.
Bonjour Julien, une question directe pour commencer : avez-vous toujours rêvé d’une étoile ?
– Pas du tout ! Plus jeune, j’avais en tête les clichés sur les chefs étoilés, tyranniques et cassants. J’étais timide et cassable alors je me disais que la haute gastronomie n’était pas faite pour moi. Ce que je voulais, c’était me faire plaisir dans un restaurant traditionnel.
Et avez-vous toujours rêvé d’être cuisinier ?
– Assez tôt en tous cas. Mes parents m’ont suivi dans mes choix, même s’ils supposaient un sacrifice de leur part. J’ai commencé par faire sport-études en basket, mais j’ai effectué mon stage de 3ème dans un restaurant et je suis tombé en amour pour cette profession. A l’époque (j’ai 38 ans), je n’aurais pas su dire pourquoi, c’était instinctif, naturel. Aujourd’hui je sais qu’il s’agit du plaisir des sens et de ce qu’il induit de création.
Quel est, justement, votre parcours depuis cette « révélation » ?
– J’ai fait l’école hôtelière en Dordogne, ma région natale. J’ai ensuite choisi de faire les saisons, pour voir du pays. J’ai travaillé les étés dans un restaurant traditionnel du bord de mer, à Soulac-sur-Mer, et les hivers, un peu par hasard, à Courchevel auprès du chef Alexandre Ongaro. Il cherchait l’étoile et je ne le savais pas… Sinon, moi qui ne voulais pas de pression, car je la vivais mal, je n’y serais pas allé. Et là… surprise… il m’a appris la rigueur et le dépassement de soi sans que cela me coûte outre-mesure. C’est même devenu une drogue et je suis revenu chaque année. C’est lors de ma 5ème saison qu’il a obtenu l’étoile. J’étais passé sous-chef et ça a été une première grande fierté.
Vous êtes ensuite entré dans la brigade de Serge Vieira à Chaudes-Aigues dans le Cantal. Vous aviez donc pris goût à la haute gastronomie…
– En effet et, à ses côtés, j’ai entre autres choses appris à relativiser. J’ai commencé en 2009, pour l’ouverture du restaurant, en tant que demi-chef de partie. J’ai monté les grades au fur et à mesure, en même temps que Serge Vieria obtenait une première étoile en 2010, une seconde en 2012. Grâce à ce chef hors-pair, décédé prématurément en 2023, je me suis libéré de la pression pour me concentrer sur la création. Je suis resté dans sa brigade jusqu’en 2017, j’étais alors second de cuisine et chef pâtissier.
Pourquoi être parti ? Vous vouliez voler de vos propres ailes ?
– C’est un peu ça, oui, il me fallait un nouveau défi . J’ai pris mon premier poste de chef au Château d’Augerville, un hôtel 5 étoiles près de Paris. Je me suis laissé le temps de découvrir mon propre style et, après la période compliquée des confinements successifs, j’ai décidé de chercher l’étoile. Là où j’étais, c’était assez difficile de se concentrer sur cet objectif car on faisait tout à la fois : gastro, brasserie, banquets, etc. Je savais qu’il me fallait un établissement sans cuisine centralisée.
C’est à ce moment là que vous avez rencontré Werner à Ouches ?
– Oui, en 2021. Je n’avais pas d’attaches géographiques et le courant est passé tout de suite. Son projet m’a plu et il me laissait carte blanche. J’avais tout à inventer, à ses côtés bien entendu, et on était sur la même longueur d’ondes. En bref, on voulait l’étoile mais, avec une ouverture du restaurant gastronomique en mars 2022, on ne l’espérait pas avant… 2025 au moins, car il faut beaucoup de régularité pour la mériter.
Et pourtant, vous l’avez obtenue en mars 2023… comment l’avez-vous appris ?
-Le guide Michelin nous a appelés pour nous inviter à la cérémonie de remise des prix à Strasbourg, mais sans nous dire pourquoi. Enfin… si… ils nous ont dit que c’était pour « échanger avec nos pairs ». On ne savait pas exactement à quoi s’attendre. Finalement, après beaucoup d’excitation, mêlée à la peur d’être déçus, on a entendu « Julien Laval, Château d’Origny : une étoile ». J’ai mis un moment à réaliser, jusqu’à ce qu’on me remette la veste officielle, et là, ça a été l’explosion de joie.
Savez-vous sur quel critère vous avez été choisi ?
– Non, le Michelin reste très discret et il n’existe pas de cahier des charges. Ce que je sais en revanche, et même si c’est un lieu commun, c’est qu’il faut fournir beaucoup d’efforts, viser l’émotion culinaire, et qu’il s’agit du travail de toute une équipe.
Parlons-en, de cette équipe. Avez-vous recruté depuis l’étoile ?
– Nous avions commencé juste avant de la décrocher car la clientèle avait subitement pris de l’ampleur, et nous n’étions que 3 en cuisine, dont Werner. Mais en effet, depuis l’étoile, c’est exponentiel. On travaille aujourd’hui à la conserver avec une brigade de 4 professionnels et 3 apprentis, et le Chef Sommelier et Maître d’Hôtel Jean-Noël Rahmani, qui est là depuis le début de l’aventure.
Vous parliez d’émotion culinaire. Comment définir celle que vous procurez à vos convives ?
– C’est propre à chacun, mais je m’attache à signer une cuisine de saison, noble et délicate, qui allie tradition française et modernité. J’aime les créations inventives qui respectent l’équilibre des saveurs, et je ne m’enferme pas dans un « plat phare », justement pour me laisser toute la liberté dont j’ai besoin. J’essaie de faire voyager les gens d’un bout à l’autre de la France et au fil de ses saisons. Mon pays est un vrai terrain de jeu pour moi, et je n’éprouve pas le besoin d’aller voir ailleurs. Certains produits utilisés sont plus que frais, puisqu’on a maintenant un jardin potager en permaculture, avec un jardinier dédié, pour les légumes, les fleurs comestibles, les plantes aromatiques et même quelques fruitiers… La nature m’apprend beaucoup, je lui suis reconnaissant et fais en sorte de sublimer ce qu’elle m’offre, qu’il s’agisse d’une carotte ou d’un met dit « noble ».
Que peut-on vous souhaiter ?
– De continuer à faire évoluer ma cuisine, d’y prendre toujours un plaisir renouvelé, de conserver cette étoile, qui est constamment remise en cause, et … qui sait…
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CHATEAU D’ORIGNY
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