Talent massif
Peu de spécialités recherchent l’imperfection. La tendance est davantage à la suréminence, au nec plus ultra, au bastingage lustré, aux parcours sans encombre. La société préfère un bon petit soldat énarque à un hurluberlu adepte des semences paysannes. On nous enjoint d’être impeccables, résistants, irréprochables, bien polis, bien proprets. De planquer nos faiblesses, nos accidents, nos luttes. L’éloge de la malfaçon n’est pas pour demain. Et pourtant.
Je viens d’apprendre ce qu’est la loupe de bois : « un ensemble de nodosités tourmentées et capricieuses dans le jeu de ses veines ». Lorsqu’un arbre est traumatisé par une piqûre d’insecte, une plante parasite, une blessure, un défaut de circulation de la sève… il produit une excroissance appelée « loupe », comme une bosse, un noeud, un rejet à l’endroit même de l’offense qui lui est faite. Ces irrégularités, que nous avons tous constatées sur certaines essences, forment des complications, comme dans le mécanisme d’une montre, donnant des dessins uniques et singuliers. Foirade de la nature ou esthétisme de la résilience ? Ces « perturbations », ou extravagances, sur la silhouette d’un érable, d’un noyer, d’un frêne…, sont autant de cicatrices faisant tout le caractère du bois. Les ébénistes sont les premiers à en connaître la richesse, loin d’une perfection chimérique, mais au plus près de l’extraordinaire. L’orme, en particulier, est connu pour fournir un bois d’oeuvre exceptionnel, et une loupe aux veinages complexes.
Ce bois raréfié et plein de surprises est un des préférés de Jean-Sylvain Masse, ébéniste créateur de « L’Orée du bois », dont l’atelier est actuellement installé à la Cure de Saint-Jean-Saint-Maurice. Entièrement dévoué à la cause de la sublime imperfection, cet artisan d’art façonne les courbes et les rondeurs qui viennent réchauffer nos intérieurs. Au coeur de ce métier séculaire : la préservation de toute la majesté du bois. Ce matériau noble, ayant jadis permis à l’homme la conquête du feu, mérite des mains aussi habiles que caressantes pour apprécier sa texture, son histoire, son savoir. Facteur essentiel de notre évolution, il offre encore ses veines, ses cernes, sa chaleur et sa résistance aux outrages, à qui sait lire entre ses lignes.


Des Arts Appliqués au Métier d’Art
Jean-Sylvain nous vient de Besançon. Jeune, il est sensible et créatif. Il veut être designer d’objets et fait des études d’Arts Appliqués, de Création Industrielle, puis complète son cursus à l’Institut Supérieur Couleur Image Design de Montauban. Par son approche interdisciplinaire et transversale, cette formation lui apporte une grande ouverture d’esprit. Mais une fois dans le grand bain de la vie active, il lui semble percevoir une dissonance entre ce qu’il attendait du design et sa résonnance réelle. « Le design, c’est une idée, un discours, un beau packaging sur une chose au final assez creuse ». Lui, ce qu’il veut, c’est mettre les mains à la pâte et créer un objet de A à Z. L’imaginer, lui donner vie et le laisser partir. Ne pas vendre un concept. Alors il fait pendant quelques années des jobs alimentaires, tout en travaillant en parallèle sur un projet de luminaire : une suspension lumineuse à monter comme un jouet. La combinaison du bois et de la lumière l’inspire mais il appelle ça, jusque-là, « du bricolage ». Installé dans la région, où sa compagne a trouvé du travail, il découvre en 2015, lors de la Biennale des Bijoutiers, le bâtiment de la pépinière de La Cure. Sur une vitrine : un appel à candidature. Il n’en faut pas davantage pour qu’il décide de se lancer, et ne pas « nourrir d’amertume toute sa vie ». Via un congé individuel de formation, il prépare un CAP d’ébénisterie, qu’il obtient juste après que sa candidature à la pépinière ait été retenue. En septembre 2017, il intègre le pôle Métiers d’Art de Saint-Jean-Saint-Maurice et ouvre son atelier, « L’Orée du Bois », où il amène progressivement toutes les machines nécessaires. Il sait qu’il devra, d’ici un an, laisser la place à un autre aventurier des temps modernes. Mais après 4 années passées à La Cure, qui lui a offert une formidable visibilité, il doit, en toute humilité, trouver un espace plus grand. Sa clientèle se construit sûrement, l’atelier se sent à l’étroit et les créations exposées jouent gentiment des coudes.
Des créations à l’échelle de sa réflexion
Jean-Sylvain aime visualiser facilement un volume. Son inspiration s’oriente naturellement vers les objets et le petit mobilier, même s’il réalise ponctuellement de grandes pièces pour des commandes spécifiques. « L’Orée du bois » est à la fois un lieu de création, du crobar initial à l’objet final, et une boutique mettant en scène des pièces uniques. Parmi elles : luminaires, boîtes, coupes, plateaux, tabourets, bibliothèques, tables… Le bois est ici envisagé sous son aspect naturel, sans travestissement d’aucune sorte. « Selon l’essence sélectionnée, aucune planche ne sera jamais identique. Ce matériau est fascinant, plein de surprises dans ses nuances, ses teintes, ses veines, etc. Son toucher, aussi, est remarquable, tout en rondeur et douceur ». Jean-Sylvain réalise également des meubles ou objets sur mesure, car le bouche à oreille s’est largement activé, et que les gens prennent conscience de la perniciosité du tout jetable. Pour les professionnels (collaboration avec un architecte d’intérieur, agencement de magasin, pegboard…) ou les particuliers, il prend plaisir à échanger et à construire entièrement un projet. Ses créations personnelles se retrouvent quant à elles sur les salons auxquels il participe régulièrement, dans la boutique éphémère de l’AMAR (Association des Métiers d’Art du Roannais) au mois de décembre, ou exposées lors du « Noël des Métiers d’Art » dans la cour d’honneur du lycée Jean-Puy.

Authenticité et durabilité
D’influence minimaliste, les créations de « L’Orée du Bois » jouent avec les propositions du bois, l’espace, le volume et la rondeur. L’ébénisterie d’art repose, forcément, sur des valeurs d’authenticité et de durabilité. Le respect de l’environnement, et bien entendu des forêts, est un point crucial. Ce sont donc des essences de bois régionales qui sont privilégiées : hêtre, frêne, chêne, châtaignier. S’il a un fournisseur attitré, Jean-Sylvain est également adepte des ressourceries et du rachat d’anciens stocks. Il n’utilise ainsi pas de bois exotique, sauf s’il s’agit de seconde main. Cette « contrainte » n’en est pas une puisqu’il affectionne les nuances claires des bois locaux, qui offrent un aspect décoratif naturel et varié. Ses créations associent parfois différentes essences, ou d’autres matériaux, comme le liège, la paille ou le papier. L’important est qu’elles s’épanouissent, toujours, dans un univers à la fois esthétique et chaleureux. Quatre ans après le début de l’aventure, Jean-Sylvain, « qui n’en espérait pas tant », a totalement adopté notre région et fait partie d’une dynamique des Métiers d’Art insufflée par La Cure. « On ne se sent pas seul mais partie prenante d’un tout ». Entouré des bonnes personnes, il a la sensation d’avoir trouvé sa place. Même s’il doit, bientôt, en changer et voir plus grand, elle restera parmi nous.

Pépinière Métiers d’Art, 42155 Saint-Maurice sur Loire
06 70 64 27 70
www.atelierdebenisterie.fr
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